Login

Demain, pourrait-on s’éclairer à l’aide de plantes lumineuses ?

Depuis quelques années, des équipes de chercheurs tentent de mettre au point des végétaux bioluminescents. Peut-être seront-ils un jour vendus par les pépiniéristes ou jardineries aux particuliers ou aux collectivités...

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Lire un livre à la lumière de sa plante de chevet, se balader la nuit dans les rues éclairées par des arbres luminescents… Ces idées a priori farfelues sont développées par plusieurs chercheurs à travers le monde. Et pas n’importe lesquels : une équipe du prestigieux MIT (Institut de technologie du Massachusetts, aux États-Unis) s’est spécialisée dans la mise au point de plantes bioluminescentes, en publiant récemment de nouvelles avancées sur le sujet. Elle n’est pas la seule.

Si ces recherches ne verront sans doute pas d’application directe ces prochaines années, elles s’apparentent de moins en moins à de la science-fiction. D’ailleurs, les équipes de recherche fondamentale ne sont plus les seules à s’intéresser à ce sujet, des start-up viennent grossir les rangs. C’est le cas par exemple en France de Woodlight, du Fab Lab de biotechnologie Biotech-Lab de l’Université de Strasbourg (67). Elle travaille à la création de plantes bioluminescentes, sans en dévoiler le procédé en détail. Un peu dans la même veine, Algaé est une jeune pousse qui développe un sérum biodégradable nutritif qui rend les fleurs phosphorescentes sous l’effet de la lumière noire. Les plantes n’émettent pas de lumière, mais sont fluorescentes dans le noir, à l’image de celles visibles dans le film Avatar. L’entreprise avait fait parler d’elle après avoir gagné en mai 2018 un concours organisé par le parc d’attractions Disneyland Paris. Le projet était d’y implanter des végétaux dans l’idée de créer des jardins lumineux, afin de mieux mettre en valeur les parades.

Plantes nanobioniques contre transgéniques

Différentes techniques peuvent être employées afin de rendre les plantes luminescentes : la modification génétique, qui consiste à introduire dans leur génome un ADN provenant d’autres êtres vivants bioluminescents, ou la nanobionique végétale, où des nanoparticules sont insérées dans l’objectif de conférer d’autres capacités, en l’occurrence l’émission de lumière (lire l’encadré). Cette dernière approche est celle développée par l’équipe de Michael Strano, ingénieur et professeur en génie chimique au MIT.

Dès 2017, les scientifiques avaient mis au point une première génération de plantes bioluminescentes. Ils avaient déjà réussi à cultiver une pousse de cresson de dix centimètres qui émettait une petite quantité de lumière lors d’une période maximale de trois à quatre heures. « Le but est de créer une plante qui fonctionnera comme une lampe de bureau, qui n’a pas besoin d’être branchée. La lumière est alimentée par le métabolisme énergétique de la plante elle-même », expliquait alors Michael Strano sur le site du MIT. Si l’annonce était impressionnante et prouvait la faisabilité du concept, la quantité de lumière restait bien trop faible pour une quelconque application. Les chercheurs ont estimé qu’elle représentait seulement un millième de la quantité utile pour pouvoir lire. Ils ont donc poursuivi leurs recherches.

En septembre 2021, l’équipe a publié une nouvelle étude. Non seulement les chercheurs ont multiplié la quantité émise de lumière par dix, mais cette deuxième génération de plantes bioluminescentes est dotée de nouvelles fonctions : désormais, elles peuvent absorber la lumière, la stoc­ker, puis la diffuser graduellement.

Le basilic sur la table de chevet, l’Alocasia pour l’éclairage public

S’ils ont effectué leurs premiers tests sur du cresson, leurs résultats indiquent qu’un grand panel de plantes pourraient devenir luminescentes de la même manière : basilic, tabac… mais aussi l’Alocasia (surnommée « oreille d’éléphant »), qui a des feuilles bien plus grandes. Les auteurs de l’étude estiment que leur taille conviendrait par exemple à de l’éclairage public, alors que le gabarit du basilic ou du cresson les réserve davantage à des applications de type « plante de chevet ».

La prochaine étape est d’augmenter l’intensité lumineuse ainsi que la durée. En effet, si les avancées sont notables sur le plan scientifique, les quantités émises ne sont toujours pas suffisantes pour envisager une application commerciale. Il faudra certainement attendre encore plusieurs années avant de voir ces plantes arriver en culture ou dans les rayons, même s’il est de plus en plus probable que cela se produira un jour.

Plantes transgéniques lumineuses

L’approche par modification génétique est également prometteuse. Une équipe internationale de chercheurs et la start-up russe Planta ont annoncé en 2020 qu’ils avaient réussi à obtenir des plantes luminescentes grâce à l’insertion d’ADN provenant de champignons bioluminescents. Jusqu’alors, les efforts reposaient sur des végétaux génétiquement modifiés afin d’exprimer le gène de la lucifé­rase. Cependant la lumière produite était très faible. Ici, c’est le gène de l’acide café­ique qui est activé.Les chercheurs disent que ces plantes émettent beaucoup plus de lumière­, et ce, tout au long de leur vie. En comparaison, celles du MIT, qui ont reçu des nanoparticules, ne peuvent en diffuser que pendant un certain laps de temps, avant d’être rechargées. La start-up russe envisageait de commercialiser plusieurs variétés de plantes luminescentes : des essais ont montré que la méthode était efficace avec les roses, les pétunias et les pervenches.

Rester attentifs aux limites

Si cette approche semble avoir des avan­tages en termes d’efficacité, elle risque de se heurter à une législation plus stricte que pour la nanobionique végétale, car les plantes obtenues sont génétiquement modifiées.

Mais de manière générale, d’autres questions se posent, notamment les effets sur le végétal lui-même de cette bioluminescence. L’équipe du MIT a cherché à savoir si les nanoparticules interfèrent avec leur biologie. Dans une période de dix jours, il semblerait que les plantes étaient en capacité de photosynthétiser normalement et d’évaporer l’eau à travers les stomates.

Dans le cas d’un éclairage public avec de grandes plantes bioluminescentes, se poseraient d’autres interrogations, comme la perturbation de la biodiversité et le concept de la trame noire*. Des débats qui ont déjà lieu actuellement autour l’éclairage public classique. Autre incertitude : les vé­gétaux constituent une écosystème accueillant usuellement une biodiversité, constituée de petits oiseaux, de chauves-souris, d’insectes et de micro-organismes trouvant refuge dans leur ombre. Ceux-ci pourraient être perturbés par l’émission de lumière de l’ensemble de leurs organes photosynthétiques.

Il sera nécessaire de bien suivre les avancées de la science avant que cette solution « verte » ne se généralise et de mener des tests afin d’évaluer les potentielles conséquences de cette nouvelle génération végétale, afin de ne pas se rendre compte trop tard qu’elle n’était finalement qu’une fausse bonne idée.

Léna Hespel

*Trame noire : ensemble des corridors écologiques caractérisés par une certaine obscurité et empruntés par les espèces nocturnes et crépusculaires.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement