Les mycorhizes : un réseau à la mode végétale
Elles sont présentes à l'état naturel et colonisent la majeure partie des végétaux... Pourtant les mycorhizes n'ont jamais été aussi médiatisées que ces derniers mois, présentées - ou, plus exactement, leurs spores - comme un ingrédient incontournable des fertilisants organiques et des terreaux.
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La mycorhize (qui tire son origine du grec mukês et rhiza signifiant respectivement champignon et racine) désigne l'association mutualiste mise en place entre des champignons mycorhiziens et les végétaux. Ces mycorhizes se retrouvent à l'état naturel chez près de 95 % des plantes terrestres. Seules quelques familles se passent de leurs services comme les crucifères, les caryophyllacées, les joncacées, les chénopodiacées...
Si elles sont effectivement incontournables et spontanées chez la majorité des plantes horticoles, pourquoi le producteur en entend-t-il autant parler ?
1 DES BÉNÉFICES RÉCIPROQUES.
Les champignons mycorhiziens colonisent les racines et établissent une relation généralement symbiotique (1), c'est-à-dire donnant-donnant avec la plante : ils apportent eau et nutriments au végétal qui les fournit en sucres. Les fins filaments mycéliens (hyphes) du champignon peuvent augmenter jusqu'à mille fois le volume de sol exploré par la plante : « C'est l'effet le plus important de la mycorhization », souligne Claude Plassard, chercheuse à l'Unité mixte de recherche Eco&Sols (Écologie fonctionnelle & Biogéochimie des sols), à l'Inra de Montpellier (34). Outre l'eau et certains éléments minéraux (azote, manganèse, cuivre, zinc...) puisés dans des endroits inaccessibles au système racinaire, le réseau mycélien permet à la plante d'augmenter sa nutrition phosphatée. En effet, le phosphate minéral soluble utilisable est très souvent peu abondant dans l'eau du sol. Les hyphes, en augmentant le volume de sol exploré et en sécrétant parfois des composés qui augmentent la solubilisation de phosphate minéral, absorbent le phosphore éloigné des racines et le conduisent dans les mycorhizes. Par ailleurs, suite à la symbiose, la plante crée des systèmes de transport spécifiques du phosphore (qui disparaissent si la symbiose disparaît).
« Qui dit meilleure nutrition phosphatée, dit meilleure photosynthèse, donc une résistance renforcée aux stress (sécheresse, salinité...) », explique Claude Plassard. Par conséquent, la mycorhization augmente le taux de survie à la transplantation, permet une meilleure reprise des plants et un développement végétatif plus robuste, et ce avec des apports diminués en eau et en engrais. Autre bénéfice des champignons mycorhiziens : ils améliorent la structure du sol (agrégation par les réseaux d'hyphes et la production de glomaline, une protéine spécifique des endomycorhizes créant une sorte de « colle » biologique), avec pour effet une meilleure circulation d'air et d'eau dans le sol, favorable à la croissance des racines.
2 LES APPORTS DE L'INOCULATION ARTIFICIELLE.
Alors pourquoi chercher à inoculer « artificiellement » les plantes, si les mycorhizes s'installent spontanément ? Les champignons mycorhiziens sont menacés par l'utilisation excessive d'engrais, de fongicides et les effets de certaines pratiques culturales (labour...). Dans certains sols agricoles ou urbains perturbés, la pauvreté en champignons mycorhiziens est telle que l'inoculation devient nécessaire. En culture hors-sol, les substrats inertes ou stérilisés ne contiennent pas de champignons mycorhiziens.
« L'installation du réseau mycorhizien prend du temps, d'où l'intérêt d'inoculer la plante le plus tôt possible », explique Claude Plassard. La mise en place de la mycorhization passe en effet par un certain nombre d'étapes : germination des spores, croissance des tubes germinatifs, échanges de signaux entre la plante et le champignon, pénétration des hyphes dans la racine... « Si le sol est stérile (par exemple, un terril), l'inoculation ne peut qu'être bénéfique, ajoute la chercheuse. Dans un sol présentant des souches naturelles, il n'y a certes aucune garantie que le champignon introduit se maintienne, mais l'inoculation prépare la plante à accueillir la symbiose avec les souches présentes dans le sol. » En outre, une racine mycorhizée, donc « déjà occupée » en quelque sorte, sera moins sensible à l'attaque d'un champignon pathogène.
3 INOCULER : QUAND ET AVEC QUOI ?
« Pour une mycorhization homogène, il vaut mieux inoculer sur des racines jeunes en croissance, idéalement sur des jeunes plants, continue Claude Plassard. Mais il est possible d'inoculer à tous les stades. Simplement, dans le cas d'un arbre, la mise en contact de l'inoculum avec les racines en croissance s'avère plus difficile et aléatoire. Et plus la plante est grande, plus la mycorhization prend du temps (de plusieurs semaines à plusieurs mois). »
« Hormis quelques rares cas, la spécificité entre un champignon et son hôte est beaucoup moins stricte que celle existant dans la symbiose fixatrice d'azote permettant de noduler les légumineuses », affirme la scientifique. C'est particulièrement vrai pour les endomycorhizes à arbuscules. Il est donc théoriquement possible d'inoculer une même espèce végétale avec différents champignons mycorhiziens. Cependant, chaque couple végétal/souche de champignon présente malgré tout des caractéristiques qui rendent les partenaires plus ou moins compatibles entre eux et/ou avec le substrat. L'UMR (2) Inra/CNRS (3)/Université de Bourgogne « Plante, microbe, environnement », à Dijon (21), entretient donc une collection de champignons endomycorhiziens à arbuscules pour faciliter la recherche de compatibilités symbiotiques.
« Des expériences sur le terrain ont démontré que la productivité de l'écosystème augmente avec la diversité des espèces mycorhiziennes... », continue Claude Plassard. Ainsi, il y aurait intérêt à inclure dans une préparation deux ou trois souches de champignons mycorhiziens pour un effet optimal sur le développement de la plante.
4 PRÉPARATION D'UN INOCULUM.
La stratégie d'inoculation et de préparation des inoculums est très différente selon le type de symbiose. Dans le cas de la symbiose ectomycorhizienne, il est par exemple possible de mettre en culture in vitro (sur milieu nutritif) un fragment de carpophore, préalablement identifié avec précision, puis de multiplier les cultures pour obtenir l'inoculum, ou encore d'appliquer directement un broyat de carpophore sur les racines. Les endomycorhizes à arbuscules, en revanche, sont des symbiotes obligatoires. Leur multiplication doit s'effectuer à l'aide d'une plante hôte qui va produire du mycélium extraracinaire, lieu de la production des spores. Le substrat de culture contenant les spores et les fragments de racines endomycorhizées constitue ainsi un inoculum. La production in vivo nécessite cependant des analyses sanitaires de la part du fabricant d'inoculums pour assurer l'absence de contamination par des agents infectieux. La production in vitro, qui offre des conditions de fabrication industrielles et axéniques, s'est donc développée (essentiellement pour les champignons du genre Glomus), que ce soit pour les propagules (à partir de racines de plantes transformées produites in vitro) ou pour les spores.
5 FERTILISANTS ET SUPPORTS DE CULTURE ENRICHIS.
De par leurs effets sur la croissance de la plante, les fabricants de fertilisants ont cherché à intégrer les inoculums mycorhiziens dans leurs préparations. Les homologations garantissent la composition mycorhizienne (c'est-à-dire la présence de spores ou propagules de champignon mycorhizien), son innocuité et son efficacité dans le respect des conditions d'utilisation. Les fertilisants vendus sans homologation spécifique, sous la norme obligatoire « amendement organique » ou « engrais », ne peuvent pas – à ce jour – être enrichis en micro-organismes, y compris des mycorhizes. Certains en contiennent pourtant et sont autorisés à la vente : le broyat de racines mycorhizées incorporé est considéré comme un ingrédient organique, matière première possible d'un engrais ou d'un amendement organique. Dans ce cas, la composition mycorhizienne (par exemple, en nombre de propagules par gramme) renseignée sur l'étiquette engage le fabricant, qui ne peut cependant revendiquer aucun effet particulier des mycorhizes. Les préparations se présentent sous la forme de poudre ou de granulés à mélanger au substrat ou au pralin avant plantation, à injecter dans le sol ou à incorporer dans l'eau d'arrosage. La consigne à respecter : les spores doivent entrer en contact physique avec les racines qu'elles colonisent. Depuis la parution de l'amendement A4 à la norme supports de culture NF U 44-551, en septembre 2010, les supports de culture peuvent être commercialisés avec des préparations microbiennes, donc des inoculums mycorhiziens (4). Ces préparations doivent avoir fait l'objet d'une homologation pour l'usage support de culture. « Ce qui fait la qualité d'un terreau enrichi en propagules mycorhiziennes, c'est la quantité de spores qu'il contient, affirme Claude Plassard. Il faut pouvoir connaître cette quantité. »
6 SUIVI DE LA MYCORHIZATION.
Au moment de l'inoculation, que ce soit par l'intermédiaire d'un fertilisant organique ou du substrat, le producteur doit prendre des précautions. Il peut observer un net effet bénéfique sur sa culture... ou pas. D'où l'intérêt de contrôler la mycorhization. L'UMR « Plante, microbe, environnement » développe ainsi des sondes moléculaires pour identifier et évaluer quantitativement les champignons mycorhiziens dans les substrats et les racines. En 2009, Plante et cité (plate-forme nationale d'expérimentations et de conseils techniques à destination des services espaces verts, collectivités territoriales et entreprises du paysage) et l'Inra-Nancy ont mis en place une procédure simplifiée pour permettre aux gestionnaires d'espaces verts d'évaluer le statut mycorhizien (taux de mycorhization et type de mycorhizes) des arbres en ville.
L'installation et l'évolution des mycorhizes dépendent de nombreux facteurs, qui restent à préciser. Soumises à l'influence des conditions de travail du sol, de fertilisation, d'irrigation, de pollution..., les mycorhizes interagissent également avec des bactéries du sol – appelées bactéries auxiliaires à la mycorhization –, ainsi qu'avec les autres mycorhizes et champignons, voire même avec certains prédateurs et parasites aériens des plantes.
Valérie Vidril
(1) La relation mycorhizienne n'est pas exclusivement symbiotique ; elle peut évoluer de la symbiose au parasitisme en passant par la saprotrophie, selon le stade de développement du champignon, les conditions du milieu... (2) Unité mixte de recherche. (3) Centre national de la recherche scientifique. (4) Deux autres types d'additifs sont autorisés : les substances humiques et les stimulateurs de croissance et/ou de développement des plantes. Ils s'ajoutent aux additifs précédemment admis : les engrais (homologués ou conformes à une norme obligatoire), les mouillants et les hydrorétenteurs.
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