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L'eau d'irrigation : ce n'est pas qu'une affaire de volumes !

Mettre en place un bassin de récupération des eaux de pluie n'offre pas seulement une solution quantitative pour l'irrigation de la culture, mais également qualitative. L'eau de pluie a une conductivité proche de zéro. Diluer son approvisionnement avec de l'eau de pluie permet de résoudre des problèmes d'eau trop chargée ou trop alcaline.PHOTO : VALÉRIE VIDRIL

L'irrigation influence l'état de la culture par les volumes d'eau apportés, mais également par sa qualité. La connaissance des paramètres physico-chimiques de son eau permet au producteur de mieux gérer la fertilisation et de comprendre les évolutions susceptibles de se produire au sein de son substrat et de sa culture.

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Trois composantes sont essentielles à un bon développement des plantes : l'eau, le substrat et la fertilisation. L'importance de l'eau n'est souvent considérée qu'à travers les quantités apportées : un manque d'eau responsable du flétrissement, un excès provoquant son asphyxie racinaire... Or, sa qualité – biologique et physico-chimique – joue un rôle tout aussi primordial pour la santé de la culture. Selon l'origine de l'approvisionnement, des systèmes de filtration et de désinfection permettront d'obtenir une eau claire dépourvue de contaminants biologiques. Restent d'autres paramètres que le producteur a tout intérêt à connaître : concentrations en éléments minéraux, conductivité électrique, alcalinité et dureté, éléments phytotoxiques... Objectifs : choisir le fertilisant et le substrat en conséquence, et anticiper d'éventuels problèmes liés à la qualité de l'eau. Ces derniers s'intensifient et la marge d'erreur se réduit avec la dégradation de la qualité de l'eau.

1 L'ANALYSE DE L'EAU, UN PRÉALABLE INDISPENSABLE.

Une toute première étape consiste à envoyer un échantillon d'eau d'irrigation (500 ml à 1 litre) à un laboratoire spécialisé. Cela coûte entre 30 € (pour l'analyse de base : pH, conductivité, N, P, K, Ca++, Mg++, SO4--) à 60 € (analyse complète avec oligoéléments, bicarbonates, chlorures, abaissement de pH) par analyse, la qualité de l'eau pouvant changer au fil du temps selon la source d'eau. Il suffit de remplir un récipient en plastique propre jusqu'en haut et de le fermer hermétiquement en évitant d'y laisser de l'air. L'analyse doit être effectuée dans les plus brefs délais. En plus du pH, de la conductivité et de l'alcalinité/dureté, l'analyse informe sur les quantités d'éléments minéraux présents plus ou moins nécessaires au développement de la plante. Selon les concentrations révélées, elle permet d'anticiper d'éventuels risques de toxicité (excès de sodium, de bore, de chlorure) ou de carences (en soufre par exemple, si l'eau d'irrigation contient moins de 48 ppm de sulfates), de difficultés de maintenance du réseau d'irrigation (entartrage, corrosion, dépôts de fer), de perte d'efficacité des pesticides et régulateurs de croissance. Les problèmes les plus courants rencontrés avec de l'eau d'irrigation sont une alcalinité trop élevée ou trop faible, sa pauvreté en calcium ou magnésium, sa teneur élevée en bore ou en sodium...

Les résultats de l'analyse aident à savoir si une acidification de l'eau est nécessaire et à choisir une formulation d'engrais et un substrat adaptés. Le fertilisant apportera la quantité d'éléments nutritifs nécessaire pour compléter les doses apportées par l'eau et, avec le substrat, corrigera éventuellement les défauts de qualité de l'eau. « Quand nous mettons en place un plan de fertilisation avec le producteur, nous réalisons une analyse d'eau (EC, pH, NPK, oligoéléments, alcalinité) et nous sélectionnons ensuite l'engrais en fonction des résultats, des besoins de la plante et des caractéristiques de la production », illustre Vincent Jacquin, ingénieur promotion et développement chez Compo France.

2 PH DU SUBSTRAT ET PH DE L'EAU.

La surveillance continue du substrat sur une base hebdomadaire ou bihebdomadaire, particulièrement importante pour les cultures de longue durée (poinsettia, cyclamen, pieds-mères, pépinière...), permet au producteur d'être en alerte en cas d'évolution anormale de son pH ou de sa conductivité EC (tendance à la hausse ou à la baisse), et de réaliser des mesures correctives. Il peut prélever des échantillons de substrat et les soumettre à un laboratoire (20 euros pour une analyse de pH et d'EC). Il peut également réaliser sa propre solution de substrat (voir le Lien horticole n° 759 « Contrôler la conductivité et le pH du substrat des plantes en pot » pp. 10-11) pour y effectuer les mesures à l'aide d'un pH-mètre et d'un conductimètre, ou positionner plusieurs préleveurs (microlysimètres) au sein de sa culture. Chaque association substrat-engraisculture exige un suivi séparé.

Le pH, qui mesure la concentration en ions hydrogène (H+) de la solution, influence la forme et la disponibilité des éléments nutritifs pour la plante. L'échelle de mesure s'étend de 1 à 14. Avec un pH du substrat entre 5,5 et 6,5, la disponibilité de la majorité des microéléments (fer, bore, zinc, molybdène, manganèse et cuivre) et macroéléments (NPK, calcium, magnésium et soufre) est optimale pour la plupart des espèces végétales. Au-dessus de 6,5, il existe des risques de carence notamment en fer et en phosphore, et de toxicité au molybdène très soluble à pH élevé ; en dessous de 5,5, il existe un risque de toxicité au manganèse (et à l'aluminium pour des pH inférieurs à 4). « Il est donc nécessaire d'adapter le pH du substrat aux exigences de la culture », explique Vincent Jacquin. « Ainsi, une tourbe blonde naturellement basse en pH sera tamponnée avec une base carbonate. De plus, la majorité des cultures ont des besoins élevés en calcium, qui joue un rôle sur la qualité des parois cellulaires. Même sur culture de terre de bruyère, des apports en calcium sont nécessaires. »

L'effet du pH de l'eau sur le substrat est « tamponné » par ce dernier. « Cet effet tampon est réel sur les substrats à forte capacité d'échange cationique (CEC) comme la tourbe noire et la terre de bruyère », précise Matthieu Valé, responsable du service Recherche et Développement en agronomie à SAS Laboratoire (Ardon - 45). Sur des substrats plus inertes (tourbe blonde, fibre), il y a moins d'effet tampon. Par ailleurs, « cet effet tampon ne dure pas : à partir de deux mois de culture en moyenne, l'eau commence à influencer le pH du terreau », ajoute Vincent Jacquin. Le pH de l'eau doit surtout être pris en compte lors de l'utilisation de certains produits chimiques (produits phytopharmaceutiques, régulateurs de croissance), qui peuvent nécessiter un ajustement du pH pour offrir un effet optimal. « Mais pour la culture, ce qui est important, c'est la conductivité de l'eau et sa teneur en bicarbonates, qui influencent le choix de l'engrais et du type de chélate de fer », conclut Vincent Jacquin.

3 CONDUCTIVITÉ DE L'EAU ET APPORT D'ENGRAIS.

La conductivité EC (exprimée en milliSiemens/centimètre ou mS/cm) mesure la capacité de l'eau à conduire le courant entre deux électrodes. La mesure de la conductivité permet donc d'apprécier la quantité totale de sels dissous dans l'eau, présents sous forme d'ions chargés électriquement : nitrate NO3-, calcium Ca++, potassium K+, sulfate SO4--, chlorure Cl-, bicarbonate HCO3-... Plus l'EC est élevée, plus l'eau contient des ions en solution. L'eau de pluie a une conductivité approchant 0 mS/cm.

« La mesure de l'EC de l'eau avant ajout d'engrais soluble indique la 'place' restant pour l'apport d'éléments fertilisants. L'EC de l'eau d'arrosage enrichie en engrais doit se situer entre 0,5 et 2 mS/cm en fonction du stade et de la culture, et l'EC du substrat ne doit pas dépasser 1,5 mS/cm (norme française) », explique Vincent Jacquin. « Moins l'eau est 'salée', plus cet apport peut être important. » Une eau dont l'EC dépasse 1 mS/cm est considérée comme de piètre qualité en production ; entre 0,5 et 1 mS, l'eau n'est pas recommandée pour les semis ou les cultures en circuit fermé recyclé. Une eau trop chargée peut entraîner une accumulation d'éléments dans le substrat, avec brûlures racinaires et dessèchement : « Le système racinaire perd son eau au profit du substrat chargé en sels. »

Un procédé physique permet de purifier l'eau à l'aide d'une membrane semi-perméable : l'osmose inverse ; on obtient une eau à 0,1-0,2 mS/cm. Mais la solution la plus simple reste de mettre en place des bassins de récupération et de diluer l'approvisionnement avec de l'eau de pluie.

4 ALCALINITÉ.

L'alcalinité décrit la capacité de l'eau à neutraliser les acides du fait de sa teneur en bicarbonates ; elle représente en quelque sorte le « pouvoir tampon de l'eau ». « pH de l'eau et alcalinité sont liés. Une eau alcaline a une teneur élevée en HCO3-, responsable d'un pH basique », souligne Vincent Jacquin. Les bicarbonates Ca(HCO3)2 peuvent être neutralisés par des acides (nitriques, phosphoriques...) sur une base 1 : 1 (mol/mol de base). L'acidification de l'eau pour neutraliser l'alcalinité produit de l'eau (H2O), du dioxyde de carbone (CO2) ainsi que le cation accompagnateur (calcium, magnésium) : par exemple, Ca(HCO3)2 + 2 H+ - > Ca++ + 2 CO2 + 2 H2O. L'ajout d'acide libère ainsi le calcium et le magnésium emprisonnés par le carbonate, et les rendent disponibles pour la plante.

Le producteur a besoin de connaître l'alcalinité totale de l'approvisionnement en eau pour maintenir un niveau de pH de son substrat approprié. L'alcalinité de l'eau, comme sa conductivité, dépend de son origine (eau de surface, de source, de forage, de ville, de pluie). « Nous recommandons une teneur en HCO3- entre 0,5 et 1 meq/l, soit une plage d'alcalinité de l'eau entre 30 et 60 mg/l ou ppm », indique Matthieu Valé. À ce niveau, l'eau est assez tamponnée pour aider à protéger le substrat contre les fluctuations du pH brusques ou rapides, qui peuvent se produire, par exemple, dans des tourbes blondes lors de brusques variations d'humidité ou lors d'un apport d'engrais acidifiant. Dans le cas d'approvisionnement en eau avec un niveau d'alcalinité inférieur, un mélange d'engrais basique (ou un mélange de substrat enrichi en chaux) contribue à tamponner l'apport d'eau et à prévenir les baisses du pH du substrat.

Si les niveaux d'alcalinité sont élevés, l'acidification de l'eau permettra d'éviter une augmentation du pH du substrat. Il faut savoir toutefois qu'au-delà d'une durée de culture de deux mois, le pH du substrat finira toujours par augmenter, même avec une eau d'irrigation naturellement douce ou une eau alcaline préalablement acidifiée : « L'augmentation de pH constatée provient de la dégradation de la matière organique du substrat, qui génère du CO2 dissous qui précipite en HCO3- », explique Matthieu Valé. Dans ce cas, le producteur peut choisir un substrat moins riche en carbonates, qui résistera à la montée naturelle du pH. Côté fertilisant, Vincent Jacquin recommande d'utiliser des engrais acidifiants à base d'azote ammoniacal (attention aux températures d'utilisation) et des oligoéléments capables de supporter des pH importants, comme les chélates de fer Eddha (fer chélaté par la méthode Eddha qui rend le produit facilement assimilable, même en cas de pH élevé).

Valérie Vidril

En culture longue, une eau alcaline finit par augmenter le pH du substrat et entraîner des problèmes d'assimilation du fer. Ici, symptôme de carence en fer sur rosier.

PHOTO : COMPO FRANCE

Les valeurs d'alcalinité ou de conductivité acceptables pour une espèce dépendent également de la taille des contenants. Les contenants de petit volume sont plus sensibles à une eau de mauvaise qualité (eau chargée, forte teneur en bicarbonate...) que ceux de gros volume : une petite quantité de substrat offre en effet moins de pouvoir tampon, et les arrosages y sont plus fréquents.

PHOTO : VALÉRIE VIDRIL

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