Stratégies collectives : ensemble pour aller plus loin
Formelles ou non, à court ou long terme, superficielles ou implicatives... les nombreuses formes de collaboration, y compris en horticulture, laissent entrevoir une filière plus apte à l'action collective qu'on ne pourrait le penser au premier abord.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Il existe de multiples façons de travailler ensemble. Et, en dépit de l'individualisme présupposé de l'horticulteur français, la filière offre de nombreux exemples de collaboration entre entreprises. Ces dernières procurent des avantages concurrentiels au groupe et permettent aux partenaires de faire face aux évolutions du marché. Mais le travail en collectif oblige à faire des concessions et le risque d'échec existe, en particulier si les différents « coéquipiers » n'ont pas réfléchi sérieusement aux tenants et aboutissants de leur partenariat.
Évolution du marché et nécessaire organisation des producteurs
Face à la concentration de la distribution, une organisation de producteurs peut obtenir de meilleurs prix ou des conditions commerciales plus favorables que ne le pourrait un producteur individuel. Dans un contexte où GMS (grandes et moyennes surfaces) et jardineries sont devenues des acteurs majeurs de la distribution horticole, la coordination des différents acteurs de la filière – de la production à la commercialisation des produits – devient également essentielle pour réduire les coûts logistiques, garantir la qualité des produits ou encore faciliter la traçabilité. Pour travailler avec cette clientèle, les producteurs doivent s'organiser afin de pouvoir fournir des approvisionnements constants en volumes et en qualité. Kérisnel, Fleuron d'Anjou, Cultiplante... sont quelques noms de structures collectives dont la clientèle se compose majoritairement de jardineries spécialisées, GMS, mais aussi de collectivités. Les appels d'offres comportent des quantités ou une diversité de végétaux auxquelles un producteur seul ne peut pas répondre ; ce dernier voit alors le marché lui échapper au profit des « machines organisées » que sont, entre autres, les pépinières italiennes et allemandes, et les marchés néerlandais.
Pour répondre aux exigences des distributeurs, voire des consommateurs constamment en recherche de nouveautés, les producteurs peuvent s'appuyer sur de nouvelles technologies. Elles permettent d'accélérer les étapes, mais font appel à des outils de plus en plus perfectionnés et coûteux (plate-forme de phénotypage, séquençage...). De sorte que le montage de projet en commun devient quasi-obligatoire d'un point de vue financier, d'autant que certaines aides (Fonds unique interministériel) ne sont accessibles que dans le cadre de projets collaboratifs intégrant recherche, enseignement et entreprises privées. Les projets Brio (Breeding, Research and Innovation on Ornementals) ou Eurogeni pour la sélection variétale, ou Plantinov'ser pour les serres, illustrent ce partenariat consacré à la recherche et développement.
Au service d'un objectif commun
S'associer permet donc aux entreprises d'atteindre ensemble des objectifs qu'elles ne pourraient pas remplir seules. La société Plandorex a été créée pour permettre aux entreprises sociétaires de se développer à l'export. La société commerciale J'nov regroupe trois entreprises (pépinières Desmartis, Kérisnel et Travers) autour d'une véritable stratégie marketing sur les innovations variétales : site Internet dédié avec un espace pro donnant accès au disponible, merchandising, concours pour les jardineries... Les producteurs angevins de plantes en pot et à massif qui adhèrent au service Uni'T cherchent à optimiser les expéditions de rolls grâce à une gestion centralisée des livraisons. C'est parce qu'ils ont travaillé de concert pour élaborer un cahier des charges spécifique que les producteurs de tubercules de dahlias Ernest-Turc et Jeanne de Laval, et leurs partenaires mettent aujourd'hui dans les rayons des produits Label rouge. Quand la mise en commun concerne la main-d'oeuvre, cela se traduit par la mise en place de groupements d'employeurs, comme Forval (49), Pluralis (45) ou Geiq Vert toulousain (31).
Différents degrés de coopération
Le travail en collectif peut aller du simple échange d'expériences à la création d'entreprise, en passant par tous les degrés possibles de collaboration : signature d'un contrat (d'approvisionnement, de franchise, accord-cadre), d'une cession de licence, adhésion à une coopérative, groupement momentané d'entreprises, création d'un consortium pour la recherche, d'une joint-venture... Le candidat au partenariat doit s'interroger sur le degré d'interdépendance qu'il est prêt à accepter, de mise en commun des ressources, de formalisation et d'échelle de temps. La contrepartie d'un regroupement peut être une perte d'identité, d'indépendance ou encore de réactivité. Les questions juridiques, les considérations organisationnelles et les facteurs personnels (confiance, équité, transparence) influeront sur le choix du type de collaboration. Pour Pascal Flament, horticulteur à Prémesques (59), le but, en adhérant à la coopérative Horti Flandre, était de pouvoir se concentrer sur la production. Mais, comme il l'avoue, le risque est d'être complètement déconnecté du commerce.
Des organisations informelles...
Les organisations de producteurs peuvent être formelles ou informelles. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de participer à un groupe de travail (Végépolys, Plante & Cité, stations d'expérimentation...). Le simple fait d'échanger des expériences, de partager des informations en matière de production ou de marché permet aux producteurs de sortir de « l'isolement de l'entrepreneur ». D'autres formes de collaboration informelle peuvent être mises en place. Jérôme Botella, horticulteur héraultais, organise des mini-salons sur l'exploitation avec des collègues aux gammes complémentaires. Objectif : attirer les visiteurs pour qu'ils découvrent l'entreprise. Le producteur ouvre également ses portes à des artistes qui exposent leurs oeuvres. Jeunes plants du Val de Loire a créé un catalogue commun avec d'autres entreprises. En Région Centre, ce sont pas moins de dix-neuf producteurs qui se sont mobilisés pour créer une base de données Internet (Végéstock) permettant de connaître les disponibilités de leurs entreprises. Les stands communs sur les salons sont un autre exemple de collaboration entre professionnels de l'horticulture. Mais le partage peut aussi se faire avec d'autres secteurs d'activité : une jardinerie qui s'ouvre à des cours de cuisine, une opération de marketing menée avec d'autres producteurs locaux...
... ou des organisations formelles
La formalisation a l'avantage de donner un cadre (partage des responsabilités...), des droits et des devoirs (imposition, règles à respecter...). Elle peut être plus ou moins onéreuse : apport financier, cotisations, pourcentage prélevé sur les ventes... Le partenariat peut se réaliser par la signature d'un simple contrat, chaque entreprise signataire restant une entité juridique autonome. Le contrat offre aux partenaires une souplesse dans la formalisation de leurs obligations réciproques ; son contenu peut évoluer selon les besoins des cocontractants. Dès lors qu'un groupement d'entreprises a vocation à mutualiser des ressources et/ou des moyens, mieux vaut lui allouer un statut juridique : coopérative, société (SA, sarl...), association... Au sein du monde horticole, on rencontre différentes structures juridiques. Le GIE (Groupement d'intérêt économique), structure à mi-chemin entre l'association et la société, réunit des entreprises indépendantes préexistantes qui mettent en commun des moyens pour développer l'activité économique de ses membres ; son but n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même. Le GIE Cultiplante, par exemple, qui regroupe dix producteurs, existe depuis vingt-cinq ans déjà. Plus récent, le GIE Pépinières franciliennes (sept adhérents) vise à proposer un seul interlocuteur commercial à des clients recherchant de grosses quantités sur un marché de proximité. L'association de type 1901 est une convention par laquelle plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que celui de partager des bénéfices. On peut citer en exemple Horti Pépi créée en 1998 pour permettre aux producteurs de Basse-Normandie d'échanger et d'améliorer leurs pratiques. Anjou Hortipole est née fin février 2012 pour promouvoir les entreprises des territoires horticoles de Briollay, Soucelles et Tiercé, avec des actions de réseautage, de mutualisation (dépenses, initiatives) et de promotion.
Mais l'organisation formelle de producteurs la plus connue est sans doute la coopérative, association de membres et entreprise commerciale à la fois, dont la propriété est collective et dont le pouvoir est exercé démocratiquement (« une société, une voix »). Citons Fleuron d'Anjou, Horti Flandre, la Sica (*) Vivaplante, les trois entités Kérisnel, Armor Végétal...
Une stratégie collective à définir
Il est important, pour le bon fonctionnement de la coopération, que les futurs partenaires définissent clairement les objectifs communs et la répartition des tâches. Afin qu'un partenariat puisse fonctionner en permanence, les bénéfices de la collaboration (réduction des coûts, croissance des revenus...) doivent en dépasser les charges (restrictions d'action, investissements, coûts de coordination...), et ce pour tous les intéressés. Des règles de fonctionnement bien définies au départ permettent d'éviter bien des problèmes. Elles sont opposables aux membres en cas de conflit. Enfin, toute coopération doit être accompagnée de moyens de contrôle permettant d'évaluer si les objectifs communs sont réalisés ou non, d'identifier le plus rapidement possible les dérives et prendre les mesures correctives adéquates, et de vérifier si les règles de fonctionnement ont été respectées.
L'art du collectif
Comme le dit le proverbe africain, « si tu veux aller vite, va seul ; si vous voulez aller loin, allez ensemble. » Choisir cette dernière option c'est accepter de mettre en commun son savoir-faire, ou au moins une partie, ses compétences, ses ressources. Le collectif oblige chaque partenaire à s'ouvrir aux autres, pour passer de la défiance à la confiance et dépasser la culture du secret.
Dossier réalisé par Pascal Fayolle, Odile Maillard et Valérie Vidril
(*) Société d'intérêt collectif agricole.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :