Aux Callunas d'Alsace : un seul produit ultraspécialisé vendu sur deux mois !
À Bischoffsheim, l'entreprise Les Callunas d'Alsace se bat sur le marché des bruyères de Toussaint depuis des années. Un combat à armes inégales face à l'Allemagne, en particulier, mais dans lequel la société française sait faire valoir ses atouts : innovation et inventivité.
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En dehors de son aire naturelle et de son emploi au jardin (production en pépinière), Calluna vulgaris forme essentiellement une « plante de Toussaint », fleurissant les cimetières à côté des chrysanthèmes, cyclamens et autres plantes à coupe. Sa période de vente est concentrée. La callune est cultivée comme une bisannuelle sur deux voire trois saisons, avant d'être vendue pour une utilisation de courte durée, au mieux un hiver. C'est sur ce créneau ultraspécialisé que sévit l'entreprise Les Callunas d'Alsace : un seul produit, vendu sur deux mois de l'année. Une spécificité qui vaut le détour.
Teintées à la demande du client
Près de 90 % des callunes produites par Les Callunas d'Alsace sont teintées. « Ce sont les clients qui nous ont demandé de la couleur, raconte Brigitte Martinel, responsable commerciale. Nous avons inventé la coloration pour pouvoir mieux les vendre en France et en prolonger l'usage en décoration. L'investissement est devenu intéressant pour le consommateur : une plante naturelle reste attractive trois semaines, une plante teintée dure six mois, et, à condition de l'arroser régulièrement, on peut la replanter au jardin ! Mais nous avons à coeur de toujours proposer des teintures haut de gamme, qui ne dénaturent pas la plante et la laissent vivre. » Cette opération s'effectue au mois de septembre avec une machine spéciale. En un passage par bande, l'outil, qui aspire les plantes pour les relever, émet un brouillard qui colore toute la hampe flo rale. Les teintures sont élaborées à base de pigments naturels et d'eau. Elles sont biodégradables. La plante peut donc continuer à pousser. Il faut environ deux ans pour mettre au point une nouvelle coloration, trouver le bon pigment, le dosage adéquat. Naturellement, une callune en fin de saison ne perd pas ses fleurs ; celles-ci deviennent brunes et sans attrait. Au départ, la teinture a été réalisée dans la couleur d'origine, rose pourpré, pour prolonger la durée de vie de la plante. Au-delà, cette technique protège, rend moins fragile, notamment pour le transport. D'autres couleurs sont ensuite apparues : l'orange, demandé en concordance avec Halloween, le jaune, le rouge, puis le vert et le bleu. Ne gelant pas, Calluna vulgaris conserve un aspect décoratif tout l'hiver, que ce soit sur les tombes ou, de plus en plus, en décoration hivernale dans des massifs ou des jardinières.
L'export bridé par les coûts français
La commercialisation se fait essentiellement par l'intermédiaire des grossistes sur l'ensemble de la France. « Pour eux, notre callune est un produit de complément de gamme. Ce sont des professionnels de la vente, pas nous, donc nous les laissons faire », commente David Freimann, responsable de la production. « Nous ne faisons pas de coupes, ce n'est pas notre métier. Nous pouvons faire de l'étiquetage spécifique, des changements de pot si un client souhaite avoir une version personnalisée, et nous reconditionnons à la demande sans faire de packaging », ajoute Brigitte Martinel.
De 30 à 35 % de la production est exportée, avec des difficultés à se maintenir sur ce marché sur lequel les végétaux français ont du mal à être compétitifs. Environ 40 % du coût du produit provient de la main-d'oeuvre et les charges qui pèsent sur les salaires sont très lourdes comparées à celles de l'Allemagne, le principal pays concurrent. Or, les producteurs allemands ne connaissent pas les mêmes conditions sociales que la France. Si les salaires sont sensiblement identiques, sur les charges sociales, des abattements spécifiques à l'agriculture, l'horticulture et le maraîchage changent la donne : en France, une heure de travail au Smic coûte 13 € tout compris à un employeur, contre 7 € outre-Rhin. « Ce n'est pas le salarié qui est payé trop cher, ce sont les charges qui sont trop élevées, explique David Freimann. Cette différence permet aux horticulteurs allemands de réinvestir dans leur outil de travail notamment, et nous prenons du retard en France. Les établissements ferment, n'ont pas de repreneurs et nous sommes de moins en moins nombreux. » Il y aurait en Allemagne 150 producteurs de callunes, non teintées essentiellement.
La diversification des pays acheteurs est une des solutions recherchées. La Scandinavie et les pays nordiques aiment bien la couleur. La Pologne et les pays de l'Est sont de nouvelles cibles. Dernier marché en date, la Turquie. « La ville d'Ankara a réalisé des massifs de Calluna teintées cet hiver », ajoute Brigitte Martinel.
Créer de nouveaux marchés
Si David Freimann est serein, il s'interroge toutefois sur l'avenir. « La distorsion des coûts de main-d'oeuvre fait que nous nous posons des questions. Nous nous tournons vers de nouveaux marchés à l'export, mais les Suisses, par exemple, sont revenus aux callunes naturelles. En France, la plante teintée est par contre devenue incontournable dans toutes les jardineries. Elle est facile à travailler et n'a pas de remplaçant à l'automne. Elle marche très bien dans certaines régions, moins dans d'autres, comme à Paris où les ventes sont aujourd'hui marginales. » « Nous avons par ailleurs des débouchés au sein des parcs d'attractions. Les callunes y offrent des décorations fleuries tout l'hiver », complète Brigitte Martinel. Pour la responsable commerciale, il faut sans cesse inventer : « Avec de l'imagination, les envies et les nouveaux marchés nous pouvons les créer. Il y a toutefois un manque de dynamisme parmi les acteurs horticoles, mais nous avons notre avenir entre nos mains. »
Cécile Claveirole
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