Les satisfactions et les difficultés de la pluriactivité
Souvent pointée comme une solution pour les entreprises dans le secteur agricole, la pluriactivité n'en cache pas moins de nombreuses contraintes, comme le fait de devoir effectuer des choix stratégiques qui ne sont pas toujours liés aux résultats économiques. Exemple au Centre botanique de la Presle, au coeur du vignoble champenois.
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« Le jardin est notre enfant (après Rémi et Marion), c'est aussi notre danseuse. Mais si nous l'arrêtons, la pépinière ne fonctionne plus. Par souci de simplification, nous avions quasiment cessé l'activité d'entreprise du paysage au début des années 2000 et nous avons, là aussi, perdu des clients pour les végétaux. Des villes qui avaient choisi de s'approvisionner autrement. Des particuliers souhaitant disposer d'une prestation complète avec livraison de végétaux et plantation et étaient, du coup, allés voir ailleurs. Peut-être en Belgique, toute proche, et qui offre des prix moins élevés que les nôtres. » Dominique Brochet, qui dirige avec son épouse Édith le Centre botanique de la Presle, à Nanteuil-la-Forêt, près de Reims (51), illustre ainsi la difficulté de faire des choix lorsque l'entreprise doit gérer plusieurs activités.
Mieux vaudrait d'ailleurs parler d'entreprises au pluriel : entre leurs multiples prestations, la pépinière, l'entreprise du paysage, le jardin, la boutique et la vente de végétaux via internet, voire la formation ou le bureau d'études, ce sont quatre bilans qu'Édith et Dominique Brochet doivent réaliser chaque année. Pas forcément très simple ni économique en temps, mais comment faire autrement ? Les prestations de services et l'incontournable activité d'achat-revente de végétaux, passent, par exemple, par une SARL. Pour le jardin, une association a été créée : elle offre plus de souplesse pour disposer d'emplois aidés, une condition sine qua non pour que la structure puisse survivre.
Le jardin, plus « rentable » dans d'autres régions ?
En pleine zone de vignoble champenois, au coeur du parc de la Montagne de Reims, le jardin attire en effet à peine 5 000 visiteurs par an. Ils viennent essentiellement d'un rayon de 100 km, sont « des gens branchés plantes » et sont parfois regroupés en associations horticoles, « mais elles sont rares ». Les plus curieux viennent de région parisienne, à moins de 2 heures de route, de Belgique, du nord de la Picardie, d'Alsace, de Lorraine, quelquefois de l'étranger en saison estivale.
Une minorité, les fidèles, s'acquitte des 10 euros qui donnent droit à un accès illimité toute l'année, que ce soit pour la simple visite du jardin ou pour les différentes manifestations qui animent le site pendant les quatre saisons. Pour les autres, le droit d'entrée est de 5 euros. L'ensemble permet de financer les deux emplois aidés de 20 heures par semaine qui entretiennent les 2 hectares du jardin. « Ce genre de projet est tenable économiquement, mais vraisemblablement plus facilement dans certaines zones », constate Dominique Brochet. Ce dernier pense à la Haute-Savoie, où il songe prendre sa retraite, et à d'autres régions dont le niveau de vie est élevé et la densité de population plus forte ; où la sensibilité à un jardinage écologique et à l'environnement est peut-être aussi plus importante qu'ici ; où se conjuguent agriculture intensive et vignoble haut de gamme.
L'autre difficulté à gérer lorsque l'on navigue dans les eaux de la pluriactivité est l'emploi du temps. Pas facile, au printemps, à cinq ou six personnes, de suivre le jardin, la pépinière, la vente sur place, la VPC et les foires aux plantes, qui représentent une activité importante... « On doit trouver sans cesse des compromis », explique le chef d'entreprise.
Un projet de passion et de passionnés
Mais, au final, l'ensemble offre une palette homogène construite autour de la passion des créateurs du site pour les végétaux et des différentes sources de revenus que l'activité peut générer. Cette palette et cette passion ont été récompensées par un prix régional du réseau Farre (Forum des agriculteurs responsables respectueux de l'environnement) en 2003. Le jardin, aux visages multiples – botanique (il est labellisé Jardin botanique de France), esthétique (labellisé Jardin remarquable), conservatoire (voir l'encadré sur les collections), ainsi que pédagogique (accueil de scolaires et surtout des participants aux formations professionnelles consacrées aux plantes vivaces herbacées, aux calcicoles... dans le cadre du CNFPT – Centre national de la fonction publique territoriale – ou du FAFSEA – Fonds d'assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles) colle à l'image de la pépinière. Celle-ci cultive sans produits phytosanitaires une large de gamme de rosiers anciens et arbustifs, la passion d'Édith, d'arbustes, de vivaces et d'alpines, avec le souci du détail qui permet d'optimiser la qualité. Les rosiers, par exemple, sont greffés sur Rosa laxa pour ses caractéristiques techniques : enracinement en terrains secs ou/et calcaires, résistance aux fortes amplitudes thermiques et hydrométriques, longévité. Ce porte-greffe permet une production de qualité, même s'il impose un arrachage profond en raison de son important pivot racinaire. Cette opération n'a lieu qu'aux environs de la Toussaint, tant pour ne pas avoir à utiliser de produits chimiques pour faire tomber les feuilles que pour optimiser la qualité des plants, qui sont ensuite, pour la plus grande partie, conditionnés en motte à filet coton-latex. Ce processus a donné lieu à un label expliquant cette production, joint à chaque rosier et chaque commande, et qui a permis à la pépinière d'obtenir le premier écotrophée du parc naturel régional de la Montagne de Reims en 2011.
Le fil conducteur de la production : des végétaux capables de résister au climat à tendance continentale et de s'adapter aux sols calcaires et peu profonds de la Champagne crayeuse. Une gamme végétale est d'ailleurs disponible au catalogue sous le vocable des « Calcicools ». Cette aptitude est, dans la région, durement mise à l'épreuve : les affleurements dans les vignes de production de champagne (les plus proches sont à quelques centaines de mètres de la pépinière) montrent à quel point les terres locales sont superficielles et « posées » sur la roche mère de calcaire brut. Le quart du volume cultivé est vendu via des fêtes aux plantes « nationales », à l'instar de Courson-Monteloup (91) ou Saint-Jean de Beauregard (91), mais aussi d'autres moins connues comme celle du parc de Schoppenwihr, à Colmar (68). L'entreprise participe à cinq manifestations au printemps, un peu moins à l'automne. Cette année, les ventes sur internet ont bien progressé : les expéditions représentent désormais le tiers du chiffre d'affaires. Le reste de la commercialisation a lieu sur place.
Une cession qui se profile, mais n'est pas évidente
Quel est l'avenir de l'ensemble de l'activité multiforme que représente le Centre botanique de la Presle ? La question se pose, car Édith et Dominique Brochet envisagent de céder l'entreprise pour assouvir une autre passion : la vie à la montagne. Leur fils a d'ores et déjà repris l'activité paysage et souhaite développer des actions en faveur du tourisme, notamment oenologique, avec un label HQE (Haute qualité environnementale). La production pourrait-elle accompagner ce projet ? Pas sûr, mais elle pourrait être reprise par un jeune salarié passionné. « Il n'est pas simple d'en fixer une valeur, qu'elle soit financière ou d'intérêts plus larges », précise Dominique Brochet. On ne peut que le croire : l'exercice constitue déjà un obstacle dans le cas d'entreprises plus classiques !
Pascal Fayolle
Faire des choixDominique Brochet, qui dirige l'entreprise avec son épouse Édith, a tenté de diminuer l'activité de paysage. Mais la pépinière en a souffert. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Suivre ses passionsLes rosiers anciens et arbustifs, la passion d'Édith Brochet, représentent une activité importante pour le Centre botanique de la Presle. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Respecter la traditionLa Champagne-Ardenne présente un savoir-faire historique en matière de travail du saule, une espèce qui offre des atouts esthétiques pour le jardin. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
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