Du cimetière traditionnel au cimetière paysager, le nouvel espace vert
La gestion écologique des cimetières traditionnels constitue une vraie gageure pour les services des espaces verts. Une problématique qui devrait inciter les collectivités à renouveler leur regard à l'occasion d'une extension ou de la conception d'un nouveau cimetière.
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Dès 1870 en Europe du Nord, les cimetières étaient aménagés comme des lieux de promenade, boisés, avec des cheminements gazonnés. La France, de son côté, a hérité de cimetières traditionnels clos de murets, ordonnés, aux alignements de dalles polies, et dont l'entretien s'avère problématique, en particulier lorsqu'il s'agit de diminuer le recours aux herbicides. L'aménagement de nouveaux cimetières offre une chance de concevoir des espaces à la fois adaptés au recueillement, végétalisés et nécessitant peu ou pas de traitements chimiques. Malgré tout, dans de nombreuses réalisations actuelles, la priorité est donnée à l'optimisation de l'espace, ce qui engendre des « parkings » de tombes, avec peu de plantations, des allées droites, des clôtures bétonnées... Or, « aujourd'hui, les gens veulent être au plus près de la nature, un endroit plus serein reliant le monde des vivants et celui des morts », explique Frédérique Garnier, paysagiste et enseignante à Agrocampus Ouest (49), à l'occasion d'une journée technique organisée en novembre dernier au pont du Gard (30) par le Smage des Gardons et la Fédération départementale des Civam du Gard. « On me demande de travailler sur des jardins du souvenir, où répandre les cendres du défunt. Les mauvaises herbes d'autrefois commencent à être tolérées par les familles. Forcément nos cimetières vont aller vers des lieux de vie... » Cette évolution des usages et la recherche d'une gestion de plus en plus raisonnée des espaces verts nécessitent de réfléchir sur les aménagements.
1 DES LIEUX DE MÉMOIRE AUX MORTS...
fréquentés par les vivants. Les cimetières sont des lieux de recueillement, d'hommage aux morts, qui doivent être équipés pour le public : bancs, zones ombragées – surtout en secteur méditerranéen –, accessibilité aux personnes à mobilité réduite (PMR). Certains, de par leur patrimoine architectural ou la présence de tombes de célébrités, constituent même des lieux touristiques. Par ailleurs, « environ 30 % des gens choisissent la crémation aujourd'hui. Nous sommes obligés de réfléchir à de nouveaux aménagements », précise Frédérique Garnier, qui a conçu le cimetière de Verrières-le-Buisson (91). Livré en 2012, il a été imaginé comme un parc aux souvenirs, avec la présence de plaques pour y déposer des fleurs. L'ancien cimetière « traditionnel », toujours présent, permet l'inhumation. Le jardin du souvenir a été conçu sur la base d'une thématique : renouer avec les anciens vergers. Ces derniers ont donc été dégagés, la collection de fruitiers a été complétée, des chemins forestiers ont été tracés, avec en écrin la forêt de Verrières. Le site (espace sensible protégé par les Architectes des bâtiments de France) a mis sept ans à voir le jour.
2 DE NOMBREUSES CONTRAINTES.
Au-delà des aspects d'usage, la collectivité doit prendre en considération de nombreuses contraintes réglementaires. L'arrêté du 12 septembre 2006 – qui introduit un délai de rentrée après application de pesticides de 6 à 48 heures selon la dangerosité des produits – et celui du 27 juin – qui interdit l'utilisation de certains produits dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables – justifient d'anticiper l'entretien du site : ses allées, intertombes, massifs et plantations diverses. La commune a aussi tout intérêt à mettre en place une politique volontaire concernant les concessions perpétuelles en abandon. À Lyon, un tiers du budget de fonctionnement du service cimetière est consacré aux reprises administratives. Outre un nombre d'emplacements obligatoire, la municipalité doit prévoir de construire un ossuaire ou un lieu de crémation, suite à la loi du 26 décembre 2008 sur les reprises administratives des ossements. Autres aménagements à ne pas oublier : lieu de collecte de déchets verts, bâtiment de service, local technique, WC...
3 UN CIMETIÈRE À VOCATION DE PARC : LA GRANDE-MOTTE.
« À La Grande-Motte, un tiers du territoire communal est végétalisé », raconte Patrice Thiebaut, responsable du service des espaces verts. Le cimetière de 12 000 m² a été créé en même temps que la ville au début des années 1970, et dès sa conception il a eu vocation de parc. Les alignements de pins parasols et cyprès en constituent la trame arborée. Des haies végétales forment les clôtures externes. Des courbes dessinent des mini-placettes ceinturées par des haies de laurier rose, Pittosporum ou fusain du Japon. Les concessions sont rapprochées, ce qui diminue la surface d'enherbement. L'enrobé des allées principales a pris de la patine. Les allées secondaires sont en sable stabilisé avec un liant hydraulique, compact. Les seules interventions chimiques ont lieu aux abords des bureaux et du columbarium. Des paillages naturels (broyats fabriqués sur le site, aiguilles de pin) sont utilisés. Le gardien assure l'entretien courant journalier des espaces verts. En complément, une équipe de cinq à six agents vient réaliser un gros chantier de taille et de nettoyage, deux fois dans l'année, au printemps et à l'automne. Ces chantiers durent deux à trois jours pour le premier et une bonne semaine pour le second. Pour l'extension future, les pins parasols dont le système racinaire pose problème seront remplacés par des chênes verts. Cistes, pistachiers, couvre-sols, lierres sur talus augmenteront la diversité végétale. Les haies de fusain qu'il faut tailler régulièrement seront supprimées. « Notre objectif est de passer au zéro phyto d'ici deux ans. »
4 LE CHOIX DU REVÊTEMENT DES ALLÉES.
Les columbariums où sont déposées les urnes, les cavurnes (petits caveaux enterrés destinés à recevoir une ou plusieurs urnes), les enfeus (tombes encastrées dans l'épaisseur du mur d'un édifice religieux)... constituent des éléments structurants dont il faut tenir compte pour dessiner les allées. Celles-ci doivent être claires, de façon à limiter la signalétique et permettre au public de se repérer facilement. « Il est important de privilégier les revêtements de qualité, en rapport avec le patrimoine », précise Florence Binesse, consultante et formatrice (cabinet Enfora). Ce peut être des pavés placés sur une toile géotextile, des dalles alvéolées... Si le choix se porte sur un revêtement perméable, il faut prendre en compte son entretien. « Pour les allées carrossables, il y a plus esthétique – et plus coûteux – que le bitume, par exemple les revêtements à base de liant de nature végétale (prix de l'ordre de 40 à 50 euros par mètre carré). » Les allées secondaires peuvent être engazonnées. Il existe aussi une gamme de végétaux couvre-sol qui peuvent être piétinés. Le cimetière doit procurer des espaces intimistes, des lieux de repos permettant le recueillement, en évitant les grands pans de ciment et préférant les alcôves végétalisées. Concernant les monuments funéraires, comme les columbariums, le choix peut se porter sur des architectures variées encadrées avec du végétal, et des matériaux différents du granit, par exemple la pierre locale.
5 DIVERSIFIER LA GAMME VÉGÉTALE.
Au-delà du gazon classique, il est possible de développer la gamme végétale présente dans les cimetières. Les persistants symboliques peuvent être réservés à des zones précises, et une palette plus diversifiée proposée ailleurs : par exemple, dans le Sud, remplacer ou compléter les plantations de cyprès par du savonnier, caroubier, chêne vert, laurier-sauce, Photinia, Cotinus pourpre... « Évitez les haies monospécifiques, alternez les essences, échelonnez les floraisons... », conseille Florence Binesse. Arbustes et vivaces couvre-sol moyens en massif de séparation ou d'accompagnement permettent de limiter l'entretien tout en créant de la valeur paysagère. Les grimpantes (Clematis armandii, Trachelospermum jasminoides, bignones, ipomées...) peuvent tapisser les murs et les clôtures, mettre en relief un bâtiment ou masquer un conteneur... Il existe une panoplie de plantes couvre-sol pour les zones non piétinées (Geranium macrorrhizum, Acanthus mollis, Vinca major, Vinca minor, Ophiopogon planiscapus, Hedera, Helleborus sp.), mais également pour les zones piétinées : Lippia nodiflora, Achillea crithmifolia...
« Il faut se poser les questions de leur usage, entretien, exposition, fréquentation et raisonner en termes de mini-écosystèmes », recommande Olivier Filippi, pépiniériste à Sète et spécialiste du jardin sec. Les plantes peuvent répondre à bien des usages mais le problème est notre « ignorance botanique sur le potentiel sauvage de notre environnement ». Et le pépiniériste de citer en exemple les plantes couvre-sol qui ont développé des stratégies pour lutter contre les adventices (allélopathie).
Valérie Vidril
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