Les espèces indigènes s'adaptent mieux et pour longtemps en montagne
La journée Écho-paysage Rhône-Alpes dédiée aux plantes d'origine locale (palettes végétales : concilier végétalisation et biodiversité), en juin, a abordé différents programmes mis en oeuvre ces dix dernières années en zone montagneuse (1).
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Lors des chantiers de végétalisation, les prescripteurs font de plus en plus appel à des compositions se rapprochant de la flore naturelle des sites à traiter pour faciliter l'intégration paysagère, préserver la biodiversité (faune, flore, habitats naturels, génétique...) et garantir une couverture du sol avec une plus grande diversité à long terme. Sur ces terrains, pauvres la plupart du temps, les mélanges classiques présentent de fortes limites en termes d'adaptation, ces espèces disparaissant rapidement au profit de plantes locales qui s'implantent naturellement. Travailler directement avec un mélange composé en majorité, ou à 100 %, d'espèces indigènes apparaît alors comme une solution privilégiée. En effet, des études ont montré que les végétaux d'origine locale sont mieux armés que les autres, leurs capacités de reprise et d'adaptation sont meilleures, leur capital génétique diversifié leur permettant notamment de s'adapter aux aléas temporaires du climat. Toutefois, espèces indigènes et essences locales ne signifient pas forcément semences locales : les fournisseurs font largement appel aux semences d'importation, pour des raisons économiques et de disponibilité, l'offre locale étant très faible en France.
Une première expérience dans les Pyrénées
Le programme Ecovars (2), initié en 2003, vise à promouvoir l'utilisation de semences d'origine pyrénéenne. De 120 à 150 ha sont aménagés chaque année dans le massif des Pyrénées (projets touristiques, routiers, hydrauliques, miniers...). Les techniques de récolte en milieu naturel ne pouvant répondre à tous les besoins (plus de 23 t de semences par an, dont plus de 20 t pour la revégétalisation des pistes de ski), des multiplications de semences en plein champ ont été expérimentées.
Elles ont été réalisées par l'association d'insertion Estivade d'Aspe-Pyrénées, dans le cadre d'ARTEMIS, un projet soutenu par l'Europe et le conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Dix années ont été nécessaires pour voir émerger une vraie filière de production : collecte de graines, mise en commun de savoir-faire, itinéraires techniques. Douze espèces ont été sélectionnées pour leur intérêt productif et leur spécificité : sept graminées (avoine des montagnes, brize moyenne, canche flexueuse, fétuque de Gautier, fétuque noirâtre, laîche toujours verte, pâturin alpin) et cinq dicotylédones (achillée millefeuille, anthyllide des Pyrénées, lotier alpin, plantain lancéolé, trèfle alpin). Ces semences sont maintenant multipliées par des agriculteurs à plus grande échelle dans le cadre d'un contrat établi avec le conseil général. Les premiers mélanges devraient arriver sur le marché dès 2016.
La création d'une filière de multiplication vise également à coordonner et encadrer les actions des différents acteurs – collecteurs, producteurs (agriculteurs, organismes spécialisés dans le séchage, le tri et le conditionnement), utilisateurs des semences – et à garantir la traçabilité. Le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées a déposé la marque collective de semences « Pyrégraine de nèou » en 2010. Agriculteurs et semenciers peuvent adhérer à son règlement d'usage qui fixe les modalités d'une production de semences sauvages offrant des garanties de provenance pyrénéenne et de qualité (pureté spécifique et taux de germination). Les spécificités génétiques propres à certaines espèces sont prises en compte par la définition de plusieurs zones de récolte et d'utilisation des semences dans le massif. Autre expérimentation mise en place dans le cadre du programme Ecovars, la récolte in situ de semences sauvages par les stations de ski du groupe N'Py (de 2009 à 2012). Cette technique est adaptée uniquement pour la revégétalisation de petits terrassements. La récolte à l'aide d'une brosseuse permet d'obtenir des semences diversifiées avec des rendements de 14 à 110 kg/ha, mais se heurte à la difficulté de trouver des prairies riches en graminées, peu pâturées et peu pentues. La revégétalisation de petites zones peut aussi être réalisée par transfert de foin de prairies de montagne (foin fraîchement fauché, sec ou fond de grange) qu'on étale sur une épaisseur de 3 à 5 cm. Dans les deux cas, la date de récolte des semences ou du foin détermine la composition du mélange récolté, la maturité des différentes espèces pouvant s'étaler sur plusieurs mois.
Des besoins importants dans les Alpes
Dans le massif alpin, une analyse de la demande fait ressortir des besoins importants en semences pour les travaux de revégétalisation. Ainsi, sur le secteur des Alpes du Nord françaises, la surface totale annuelle (valeur moyenne de 2008 à 2012) s'élève à 680 ha (stations de ski 624 ha, communes 28 ha, parcs – ONF –27 ha), soit un besoin de 120 à 140 t de semences. Hormis quelques expérimentations sur des petites surfaces (utilisation de foin ou fond de grange), ces travaux, notamment au niveau des stations de ski, sont réalisés à 100 % à base des semences du commerce. Deux programmes complémentaires ont été mis en place pour répondre en partie à ces besoins à partir de semences locales. L'un est basé sur la collecte directe, l'autre sur la multiplication en vallée à partir de graines récoltées dans les habitats naturels en montagne.
Le projet Alp'Grain (3), mis en oeuvre par l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) en France et l'IAR (Institut agricole régional) en Italie, vise à évaluer la faisabilité de la création d'une filière de récolte de semences locales dans les Alpes françaises et italiennes. « Il se concentre sur la récolte directe, c'est-à-dire celle des semences sur des prairies de fauche ou des pâturages avec des machines appropriées », précise Eva-Maria Koch, responsable du projet pour l'Irstea. « La récolte directe pourrait être intégrée au sein des exploitations agricoles existantes. Deux leviers agronomiques peuvent être mobilisés à cet effet : la possibilité de coupler la récolte de semences et de fourrages sur les mêmes parcelles en adaptant les dates d'exploitation et de récolte, et la revalorisation d'anciens prés de fauche abandonnés qui ont une faible rentabilité pour la production mais qui pourraient potentiellement être utilisables pour la récolte de semences.
La faisabilité économique de la récolte de semences locales et leur utilisation pour la revégétalisation sont en cours d'évaluation : identifier les producteurs potentiels, définir l'organisation possible d'une filière. Une première étude de récolte avec quatre machines différentes (brosseuses) a été réalisée pour comparer leur efficacité et leur rentabilité, tester l'efficacité de ces semences et la comparer avec celles du commerce (tests in situ et germinations en laboratoire). Il s'agit aussi d'évaluer la cohérence entre les zones de prélèvement et les surfaces d'ensemencement, d'établir une cartographie incluant plusieurs critères comme l'altitude, le type de végétation et la géologie. Les terrains sélectionnés pour les prélèvements doivent autant que possible être soumis à des pratiques agricoles extensives et présenter une grande richesse floristique. Dans un premier temps, une filière devrait s'organiser dans un contexte local pour répondre à des besoins de faible envergure : sur des zones protégées où il y a l'obligation d'utiliser des semences locales ou pour l'utilisation personnelle d'agriculteurs. Dans un second temps, la filière doit pouvoir répondre à des chantiers de moyenne dimension (10 ha) dans un contexte plus régional : stations de ski et administrations locales.
Une collaboration franco-suisse
Le programme INTERREG franco-suisse Semence du mont Blanc 2012-2015 (4) s'articule autour de la récolte, la mise en culture et l'utilisation de semences issues de plantes sauvages collectées dans les prairies de montagne. Il est porté par quatre institutions : Otto Hauenstein semences (Suisse), la Société d'économie alpestre de la Haute-Savoie en partenariat avec Hepia (Haute École de paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève), et l'Esat (Établissement et service d'aide par le travail) de la Ferme de Chosal (74). L'objectif du projet vise à mutualiser les ressources scientifiques et les actions des acteurs économiques territoriaux afin de mettre en oeuvre des expérimentations dans les prairies et d'accompagner les maîtres d'ouvrage des travaux en altitude. Les actions se structurent en plusieurs phases : définir les typologies de prairies dans les milieux d'altitude ; pratiquer des collectes de semences et les mettre en culture ; identifier des maîtres d'ouvrage de travaux souhaitant utiliser des semences locales ; tester sur sites des mélanges adaptés et labellisés ; et communiquer sur les résultats (fiches techniques, visites de réalisations, séminaires d'échanges). Ce programme s'est inscrit dès l'origine dans la démarche nationale Flore locale et Messicoles de la Fédération des conservatoires botaniques nationaux.
Claude Thiery
(1) Voir aussi le Lien horticole n° 898, du 17 septembre 2014, p. 14. (2) www.ecovars.fr (3) http://www.irstea.fr/production-desemences-locales-alpgrain (4) http://www.irstea.fr/sites/default/files/ckfinder/userfiles/files/Semences%20Mont%20Blanc(1).pdf
ProductionSur un site de production, une équipe évalue la qualité des semences. PHOTO : SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE ALPESTRE HAUTE-SAVOIE
MécanisationCette brosse est testée par l'Irstea pour procéder à la récolte de certaines parcelles. PHOTO : IRSTEA ALP'GRAIN
RécolteRamassage à la main de semence de fétuque du mont Cagire par l'association Estivade. PHOTO : BRICE DUPIN ECOVARS
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