Vingt ans d'engrais organiques : dépasser l'empirisme
Le regain d'intérêt pour les fertilisants organiques ne doit pas occulter la nécessité de poursuivre les recherches. La diversité des produits, la variabilité des comportements, la spécificité du hors-sol doivent inciter à un usage réfléchi et surtout averti.
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Le changement de TVA qui a affecté les matières fertilisantes et supports de culture en début d'année a inévitablement entraîné un regain d'intérêt pour les produits organiques. En effet, alors que ces derniers bénéficient d'un taux réduit à 10 % (précisément les matières fertilisantes et supports de culture UAB - utilisables en agriculture biologique - et ceux qui sont sans contestation « d'origine organique agricole »), les engrais et amendements conventionnels sont passés de 7 à 20 %. Pour les producteurs assujettis à la TVA (la majorité), ce changement a un impact uniquement sur la trésorerie. En revanche, les entreprises de petite taille non assujetties à la TVA, les particuliers et les collectivités subissent la hausse des tarifs. Les gestionnaires d'espaces verts se sont ainsi retrouvés devant une problématique : une enveloppe budgétaire TTC fixe et des prix de fourniture en augmentation. La solution de certains a été de se tourner vers des matériaux moins chers, soit de moindre qualité, soit bénéficiant de la TVA réduite. Cette dernière ne s'applique pas pour le moment aux fertilisants organo-minéraux et terreaux contenant un faible pourcentage d'engrais « retard ».
Ne pas tomber de Charybde en Scylla
Si les « convaincus » de l'organique, dont la tendance s'est initiée il y a quelques années, ont pris le temps de tester les produits sur de petites parcelles de culture, d'en comprendre les atouts et les défauts, et d'adapter leurs itinéraires culturaux en fonction (*), les récents adeptes, motivés par un choix économique plutôt qu'écologique, pourraient bien tomber de haut... Comme le souligne Fabien Pérain, cogérant de Klasmann-Deilmann France, « on ne passe pas impunément d'une culture conventionnelle à une culture UAB ». L'usage d'engrais organiques nécessite de comprendre leur fonctionnement (minéralisation de l'azote, vie microbienne...). Plus encore que pour les engrais conventionnels, les conditions de température, d'humidité et d'oxygénation du substrat doivent être contrôlées. La durée d'efficacité des engrais UAB varie en fonction de ces paramètres ainsi que de la nature de la matière organique. En moyenne, la période de libération d'azote assimilable pour la plante d'est de cinq à douze semaines après le rempotage. Mais cette libération peut être beaucoup plus rapide si le substrat est chaud, humide et que la fertilisation organique est apportée sous forme de sang séché ! Cette libération peut aussi être insuffisante en cas de début de saison froid. D'autres risques existent : une solubilité quasi-inexistante du phosphore, une intoxication ammoniacale, un développement de mouches sciarides (selon les intrants organiques utilisés), une détérioration de l'engrais en mauvaises conditions de stockage... « Ce dossier vise à sensibiliser les professionnels sur la nécessité d'une approche technique des fertilisants organiques, ainsi que celle de la mise en place d'outils pour comprendre les produits proposés, leur mode d'utilisation et les observations réalisées sur la plante et son milieu durant le suivi de culture », argumente notre corédacteur Alain Chavoix, dirigeant de la société de développement de nouvelles technologies horticoles Novhortus (30), qui a par ailleurs longtemps travaillé en tant que commercial dans le secteur.
Comprendre pour ne pas se méprendre
« Un engrais minéral peut être identifié par sa composition (N, NO3, NH4, urée, urée de synthèse...), un produit phytosanitaire l'est également grâce à la matière première mentionnée et son pourcentage. Il doit en être de même pour les engrais organiques, engrais 'bio', composts ou encore amendements organiques. Un produit dont on ne connaît pas la composition (la nature des composants et leur proportion) et le comportement dans les substrats va à l'encontre de tout progrès dans la compréhension des phénomènes rencontrés », insiste Alain Chavoix. « Le nombre important d'engrais organiques, les types variés de matières premières pour la fabrication de ceux-ci doivent nous amener à ne pas englober l'ensemble des produits proposés sous une seule catégorie de fertilisants dits 'organiques'. »
Dans un document de recommandations publié en 2013 (**), la CAS, la chambre syndicale des fournisseurs de substrat, souligne : « La connaissance des caractéristiques des supports de culture et des fertilisants organiques est primordiale. Chaque support de culture a un comportement différent avec les fertilisants organiques compte tenu des caractéristiques de chacun. Les fabricants ont testé différents couples afin d'optimiser le résultat. Il faut privilégier ces couples substrat/engrais déjà testés. Rapprochez-vous de votre fournisseur pour connaître les caractéristiques des substrats et les courbes de minéralisation des engrais » (voir notre encadré).
Sur la voie d'une difficile harmonisation européenne
La meilleure connaissance des fertilisants organiques, avec notamment l'utilisation d'outils analytiques propres aux substrats hors-sol, faciliterait certainement l'harmonisation des procédures de mise en marché sur laquelle travaille depuis 2009 la Commission européenne pour toutes les matières fertilisantes, biostimulants et supports de culture. Mercredi 12 mars dernier, quatorze entreprises européennes spécialisées dans la fertilisation organique se sont regroupées pour former une interprofession européenne : Ecofi – European Consortium of the Organic-Based Fertilizer Industry (www.ecofi.info) (***). Objectifs : porter la voix des fertilisants organiques (amendements et engrais) ou organo-minéraux. « En effet, les réglementations nationales et européennes existantes sur les intrants agricoles sont mal adaptées à leurs caractéristiques », précise Italpollina, initiateur d'Ecofi. « En conséquence, nous sommes confrontés à un marché fragmenté, avec des procédures d'homologation et des conditions de mise sur le marché variant sensiblement d'un pays de l'Union européenne à l'autre. » Ecofi a été reconnu comme partenaire représentatif par la Commission européenne pour participer aux travaux sur l'harmonisation. L'interprofession contacte actuellement les associations nationales afin de « mutualiser les forces pour la naissance d'un marché européen unifié et de qualité ».
Valérie Vidril
(*) Voir notre dossier « Fertilisation organique : attraits et réalités », pages 12-15, dans le Lien horticole n° 715 du 18 août 2010. (**) Disponible sur www.cas-asso.com/uploads/rte/File/DossiersPresse/CAS-ficheMO-fertilisantorganique-A4-BAT.pdf (***) Ecofi couvre environ 60 % du marché des fertilisants organiques et organo-minéraux, soit environ 250 millions d'euros.
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