Aquaponie : des poissons, des bactéries et des plantes
Le Ratho expérimente un nouveau modèle horticole combinant la production de plantes et l'élevage de poissons. Ce concept a pour objectif de tester les performances de l'aquaponie, d'assurer sa faisabilité réglementaire et d'aboutir à des données de dimensionnement technico-économique, en vue d'un transfert de la technologie vers les professionnels.
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Lors de sa matinée technique au Salon du végétal, à Angers (49), le 18 février dernier, l'institut technique Astredhor a présenté le bilan de parcours du réseau Dephy Expe, ainsi que deux expérimentations en cours particulièrement innovantes sur la phytoépuration et l'aquaponie (1). Ce dernier concept est étudié dans le cadre du projet Apiva (« Aquaponie innovation végétale et aquaculture », programme Casdar (2) 2013-2016).
1. UN MODÈLE HORTICOLE D'ÉCONOMIE CIRCULAIRE
L'aquaponie combine productions végétales et élevage de poissons. Des poissons en horticulture, quel intérêt ? « Le Ratho souhaite proposer un système de production horticole participant de l'économie circulaire », explique Serge Lepage, de l'Astredhor Rhône-Alpes. Selon ce concept, les déchets générés pour produire un bien sont recyclés en matière première. « En aquaponie, les déjections des poissons transformées par les bactéries aérobies fertilisent les plantes, qui épurent à leur tour l'eau en utilisant les nutriments », explique Pierre Foucard, de l'Itavi (Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole). Réunissant différents acteurs des filières aquacole et horticole (voir l'encadré en p. 12), le projet a pour objectif de tester les performances de l'aquaponie, d'assurer sa faisabilité réglementaire (études organoleptiques et sanitaires) et d'aboutir à des données de dimensionnement technico-économique, en vue d'un transfert de la technologie vers les professionnels. L'objectif du Ratho est d'assurer une rentabilité au mètre carré de serre, car « un tiers des surfaces de culture sont désertées dans l'année », assure Serge Lepage. Les résultats des essais pourraient donc ouvrir une voie de diversification. Côté aquaculture, ils permettraient de mettre au point une technique moins dépendante de l'environnement. En effet, dans un système d'élevage aquacole en circuit ouvert, l'eau utilisée est prélevée dans le milieu naturel aquatique, traverse les bassins, et est restituée au milieu naturel après filtration ou décantation des matières solides.
2. DES PLANTES, DES POISSONS ET DES BACTÉRIES
« L'aquaponie est une technique de production ancestrale : les Aztéques avaient déjà intégré le principe de la culture hors-sol et de la fertilisation par de la matière organique dissoute avec des systèmes de chinampas, tandis que la rizipisciculture constitue une méthode très ancienne, que l'on retrouve à l'origine en Chine, et dont le principe est la production conjointe de riz et de poissons (carpes principalement) », raconte Pierre Foucard. Cette méthode de production combine trois familles d'organismes vivants différents : les poissons, les plantes et des bactéries nitrifiantes. Les poissons (d'eau chaude ou froide) produisent des déjections riches en azote (azote ammoniacal principalement et urée dans une moindre mesure) et en phosphore (sous forme d'orthophosphates) ; la plupart des autres éléments nécessaires pour les plantes se retrouvent aussi dans les déjections de poissons. Les bactéries nitrifiantes transforment l'azote ammoniacal et l'urée en nitrite (Nitrosomonas spp.) puis en nitrates (Nitrobacter spp.) assimilables par les plantes. Ces dernières, cultivées en hors-sol, utilisent les nutriments en solution dans l'eau d'élevage des poissons. Seuls le fer et le potassium - en quantité parfois insuffisante - doivent être ajoutés ponctuellement pour des légumes plus exigeants que les légumes feuilles, sous forme respectivement de fer chélaté DTPA et de bicarbonate de potassium. La maîtrise d'un tel écosystème nécessite de maintenir les paramètres physico-chimiques de l'eau (pH, oxygénation...) à des niveaux acceptables pour les trois familles d'organismes et d'assurer un juste équilibre entre ces différentes populations. « Le bicarbonate de potassium est d'ailleurs intégré à la fois pour combler des carences en nutriments mais aussi et surtout pour rétablir un niveau de pH adéquat pour tous les organismes présents dans le système », précise Pierre Foucard. Le dimensionnement, la planification de la production, l'entretien et la surveillance quotidienne sont donc primordiaux.
À la sortie des bassins d'élevage, les déchets solides (matières en suspension) sont éliminés par filtration mécanique, l'ammoniaque est transformée en nitrate par filtration biologique, et le CO2 dissous est évacué par un système d'injection d'air (3). Après traitement, l'eau est réinjectée dans les bassins d'élevage et/ou vers les cultures hydroponiques. Seulement 10 % de la quantité d'eau nécessaire est prélevée dans le milieu naturel.
3. ÉLÉMENTS DE DIMENSIONNEMENT
Le ratio type de départ est de 60-100 g d'aliment/m² de surface cultivée/jour. Ce ratio est un point de départ déterminé pour un système particulier tilapia-salade-herbes aromatiques. Il doit être affiné selon différents paramètres (densité d'élevage et de culture, qualité et teneur en protéines de l'aliment piscicole distribué...). Ainsi, au Ratho, pour 130 m² consacrés à la culture végétale, il est possible de concevoir un dispositif basé sur l'apport de 8 à 13 kg d'aliment/jour, ce qui permet de nourrir 560 à 600 kg de carpes communes. Soit, avec une densité maximale d'élevage de 50 kg/m3, un minimum de 12 m3 d'eau. Le temps de rétention hydraulique (TRH) dans le compartiment hydroponique est de 2 à 4 heures. Le renouvellement de l'eau est de 2,6 m3/j en été et de 600 litres par jour en hiver avec un débit circulant de 45 m3/h. La température est maintenue à 18-20 °C en saison froide et peut monter jusqu'à plus de 25 °C en été ; la carpe possède une plage de tolérance très large, mais des températures trop fraîches inhibent la consommation d'aliment et par là même la production « d'engrais » par les poissons.
4. DIFFÉRENTS DISPOSITIFS TESTÉS
Le projet Apiva, dirigé par l'Itavi, teste différents dispositifs aquaponiques avec des modalités de conception différentes (dépendance ou indépendance des compartiments aquacoles et hydroponiques) sur des productions de poissons en eau froide (modèle truite), tiède (modèle carpe) et en eau chaude (modèle tilapia). La station horticole du Ratho étudie un système innovant couplant un compartiment aquacole (carpe) en recirculation d'eau indépendant pouvant être couplé et découplé à un compartiment végétal sous serre (basilic sur « rafts »). Le lycée de La Canourgue (48) expérimente un système « classique » en recirculation d'eau chaude (tilapia-basilic) et en eau froide (truite-salade) pour évaluer l'impact de la recirculation d'une eau épurée par des plantes sur les performances zootechniques et phytotechniques. Un autre pilote est en cours de construction, et présentera les mêmes caractéristiques que celui du Ratho.
Quant à la station Peima, elle travaille sur un système de production piscicole de truites en système recirculé, couplée de manière indépendante à un système de culture hors-sol en « rafts » (panneaux flottants). Les systèmes recirculés constituent une révolution pour l'aquaculture de par leur faible utilisation d'eau ; cependant, les rejets azotés et phosphorés issus de ces systèmes ne sont pas à négliger. Le principe de « découplage des compartiments » est le même que dans le pilote du Ratho, mais l'objectif est plutôt axé sur l'abattement en composés azotés et phosphorés avant rejets des effluents.
De nombreux végétaux pourront être testés : les salades, les tomates, les herbes aromatiques, le cresson, les aubergines, les poivrons... Plus de 400 végétaux sont adaptés à la culture aquaponique.
Valérie Vidril
Pour plus de renseignements : https:/projetapiva.wordpress.com/(1) Les présentations (en versions PDF) des interventions sont disponibles sur le site www.astredhor.fr(2) Compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural.(3) Remarque : la soufflerie servant à aérer l'eau rejette de la chaleur dans la serre.
La station horticole du Ratho étudie un système innovant couplant un compartiment aquacole (carpe) en recirculation d'eau indépendant pouvant être couplé et découplé à un compartiment végétal sous serre (cultures sur « rafts »). APIVA
Le lycée de La Canourgue évalue l'impact de la recirculation d'une eau épurée par des plantes sur les performances zootechniques et phytotechniques. APIVA
À la station Peima, l'objectif est plutôt axé sur l'abattement en composés azotés et phosphorés avant rejets des effluents. APIVA
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