Xylella fastidiosa : une bactérie polyphage qui n'a rien pour plaire
L'organisme de quarantaine Xylella fastidiosa, - qui est entre autres responsable de la maladie de Pierce sur les vignes -, a fait la Une des quotidiens corses cet été, après sa découverte dans le sud de l'île de Beauté sur des dizaines de Polygala myrtifolia. Que sait-on de cette bactérie qui a déjà provoqué des ravages aux États-Unis et plus récemment en Italie ?
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Xylella fastidiosa fait peur à juste titre. La bactérie est responsable de la maladie de Pierce qui a fortement touché les vignobles californiens dans les années 1990, ainsi que de la chlorose panachée des Citrus au Brésil à la fin des années 1980 (*). Elle conduit à des dépérissements massifs d'espèces d'intérêt économique. En Europe, elle a été identifiée pour la première fois en 2013 en Italie dans la région des Pouilles, où des milliers d'hectares d'oliveraie ont dû être détruits. Car il n'existe pas de moyen curatif connu contre cet organisme réglementé (catégorie 1). La seule façon d'éviter la propagation de la maladie consiste à arracher la plante et à la détruire. La bactérie a été détectée dans le sud de la Corse le 22 juillet 2015.
1. DÉPÉRISSEMENT RAPIDE ET VECTEURS NOMBREUX
La bactérie phytopathogène (famille des Xanthomonadaceae) s'installe dans le xylème des végétaux, empêchant la circulation de la sève. Les premiers symptômes sont ainsi proches du flétrissement, et difficiles à distinguer de ceux consécutifs à un stress hydrique, à la sénescence naturelle des feuilles ou à des carences nutritionnelles. Ils peuvent apparaître au bout de plusieurs mois. De nombreuses plantes-hôtes sont asymptomatiques. Une fois dans l'hôte, il n'est plus possible de déloger la bactérie qui s'installe dans les organes aériens et racinaires. Les symptômes varient selon l'espèce végétale concernée : brûlures et chloroses foliaires, défaut de lignification, port tombant, nanisme, réduction des entre-noeuds, dessèchements de rameaux répartis aléatoirement dans le houppier, mort du sujet.
Des agents secondaires peuvent accélérer le flétrissement des végétaux. Ainsi, en Italie, on constate que les oliviers malades sont également affectés par plusieurs espèces de champignons appartenant aux genres Phaeoacremonium et Phaemoniella, et par la zeuzère Zeuzera pyrina.
Les insectes piqueurs-suceurs sont les principaux vecteurs de la maladie : en ponctionnant la sève, ils absorbent la bactérie et la transmettent à l'occasion d'une piqûre sur un nouvel hôte. Ils restent infectieux pendant plusieurs mois. La stratégie de lutte comporte donc des actions de désinsectisation. La transmission de la bactérie par les outils de taille contaminés ou les opérations de greffage serait assez faible. Les cicadelles, les cercopes - en particulier le très polyphage cercope des prés (Philaenus spumarius) -, les aphrophorides et les cigales (hémiptères) sont connus comme étant des vecteurs efficaces de la maladie. Parmi les 120 espèces vectrices potentielles en Europe, environ 50 espèces seraient présentes en France, dont 11 en Corse.
2. DES HÔTES NOMBREUX, DIFFÉRENTS SELON LES SOUS-ESPÈCES
La liste des hôtes de Xylella fastidiosa est longue : plus de 300 plantes sont susceptibles d'accueillir la bactérie (vigne, oliviers, agrumes, Prunus, café, avocat, luzerne, laurier-rose, chênes, érables, etc.). En fait, les plantes-hôtes varient selon le « profil » de la bactérie. Car il existe différentes souches. L'Inra mentionne l'existence de six sous-espèces de Xylella fastidiosa. La sous-espèce responsable des épidémies de la maladie de Pierce sur le vignoble californien (subsp. fastidiosa) est distincte de celle qui affecte les agrumes et caféiers au Brésil, ainsi que les oliviers en Italie.
En Italie, X. fastidiosa subsp. pauca a fait des ravages dans les oliveraies, d'où l'inquiétude exprimée cet été en Corse suite à la découverte de Polygala myrtifolia contaminés. Après analyse, il s'est avéré que l'infection était due à la sous-espèce multiplex, dont la gamme d'hôtes diffère sensiblement (Prunus - amandier, abricotier, cerisier, pêcher... -, chênes, érables, ormes...). A priori, cette souche ne serait pas pathogène pour l'olivier et la vigne. Les oliviers corses sont-ils pour autant hors de danger ? Pas si sûr. Car une recombinaison entre les différentes sous-espèces est possible. Par ailleurs, des souches peu agressives ont été isolées sur des oliviers en Californie. Si les oliveraies de l'île profitent d'un répit, d'autres végétaux, notamment ornementaux, sont sensibles à Xylella fastidiosa subsp. multiplex. En un mois, les foyers découverts en Corse se sont multipliés, approchant les quatre-vingts mi-septembre. Outre Polygala myrtifolia, de nouveaux cas ont été détectés sur des genêts d'Espagne, Spartium junceum. Toutes les plantes infectées proviendraient d'un même lot d'importation issu d'Italie. Début septembre, la bactérie a été découverte sur un pélargonium en pot.
3. VIGILANCE ET MESURES DE CONTRÔLE SUR LE TERRITOIRE.
Organisme de quarantaine, Xylella fastidiosa fait l'objet d'un dispositif européen contre sa propagation, qui a été renforcé par une décision du 18 mai 2015. En France, l'arrêté provisoire du 2 avril 2015 (abrogé par l'arrêté du 22 mai 2015) avait anticipé ce durcissement de la réglementation, en interdisant notamment l'importation de végétaux sensibles à Xylella fastidiosa provenant des zones contaminées. Un plan de surveillance du ministère de l'Agriculture est mis en oeuvre depuis 2014. Les différents arrêtés nationaux et préfectoraux parus depuis en précisent les dispositions.
Les détenteurs des végétaux spécifiés sont tenus d'assurer une surveillance générale de ceux-ci. En cas de présence ou de suspicion de l'organisme pathogène, ils doivent le déclarer immédiatement auprès de leur direction régionale de l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Des mesures de surveillance et de destruction des plantes infectées et susceptibles d'accueillir la bactérie sont mises en oeuvre dans un rayon de 100 mètres autour de chaque souche contaminée. Un traitement insecticide est appliqué pour supprimer les insectes vecteurs. Dans une zone tampon de 10 km (voire plus) définie autour du foyer de l'infection, la surveillance est intensifiée (contrôles, prélèvements...) et le déplacement des végétaux réglementé.
En Corse, un arrêté datant du 10 août précise les priorités d'action afin de prévenir la propagation de la bactérie « de façon proportionnée ». Les mesures d'éradication ont été mises en oeuvre autour des foyers. Dans les pépinières corses, les plants de polygales présentant des symptômes de contamination font systématiquement l'objet d'un prélèvement avant destruction ; les plants de polygales ne présentant pas de symptômes font l'objet d'un prélèvement, puis ils sont consignés ; les pépinières dont sont issus les lots de polygales à feuilles de myrte contaminés sont consignées jusqu'au retour de l'ensemble des prélèvements réalisés sur leurs végétaux.
4. LES IMPORTATIONS DE VÉGÉTAUX SOUS CONDITIONS
La décision européenne du 18 mai 2015 interdit les importations de plants de café du Honduras et du Costa Rica. La circulation intra-européenne de végétaux sensibles est interdite si ces végétaux ont été cultivés pendant au moins une partie de leur existence dans une zone où la bactérie est présente. Les mouvements sont autorisés si les végétaux spécifiés ont été cultivés sur un site respectant un ensemble de conditions strictes (zone exempte de la bactérie et soumise à surveillance, site de production enregistré et contrôlé, passeport phytosanitaire précisant dans les « déclarations additionnelles » le statut indemne du pays...). Dans le cas de végétaux spécifiés originaires d'un pays tiers, le même type de mesures s'applique. Par ailleurs, des échantillons représentatifs doivent être prélevés par l'organisme officiel responsable du point d'entrée communautaire et faire l'objet d'un test permettant d'exclure la présence de Xylella fastidiosa.
Un arrêté corse datant de mai 2015 interdit l'introduction de végétaux en Corse, avec des possibilités de dérogation pour les professionnels, sur demande instruite par les services de l'État, et une possibilité d'entrée sur l'île limitée aux seuls ports d'Ajaccio et de Bastia. Mais l'apparition de la bactérie empêche du même coup la reconnaissance de l'île comme « zone protégée » et la mise en place d'exigences spécifiques pour les végétaux introduits en Corse. Par ailleurs, les exportations françaises des végétaux spécifiés vont se compliquer, les pays importateurs mettant en oeuvre des mesures de restrictions phytosanitaires.
Côté connaissances, Xylella fastidiosa fait l'objet de nombreux travaux menés aux États-Unis. En France, les études sur la bactérie ont redémarré à l'Inra dès 2013. En Europe, un projet de recherche sur Xylella fastidiosa a été retenu (Pest Organisms Threatening Europe).
Valérie Vidril
(*) La bactérie est présente dans de nombreux pays tiers, essentiellement sur le continent américain : Mexique, États-Unis, Canada, Costa Rica, Argentine, Paraguay, Venezuela.
Symptômes sur Ulmus glabra. En l'absence de méthode de lutte chimique, la stratégie consiste en des mesures de destruction des plantes contaminées, de désinsectisation, de surveillance et de prophylaxie (quarantaine). PHOTO : ELIZABETH BUSH, VIRGINIA POLYTECHNIC INSTITUTE AND STATE UNIVERSITY, BUGWOOD.ORG
En Italie, ce sont les oliviers qui ont été particulièrement touchés par la sous-espèce Xylella fastidiosa subsp. pauca. Quelque 10 % des 11 millions d'oliviers de la région de Lecce sont atteints, selon les autorités. PHOTO : PIERO AMORATI, ICCROCE - CASALECCHIO DI RENO, BUGWOOD.ORG
En Corse, des dizaines de Polygala myrtifolia infectés, provenant d'un même lot d'importation et implantés sur l'île il y a quelques années, ont été découverts. La contamination est due à Xylella fastidiosa subsp. multiplex, une souche différente de la « tueuse d'oliviers » italienne. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
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