Désherbage en pépinière hors-sol : vers une gestion différenciée des abords
Dans le cadre du club Alt'herb, le Bureau horticole régional, basé aux Ponts-de-Cé (49), a accompagné dix pépinières angevines, - engagées dans des démarches environnementales -, vers une gestion différenciée des zones non cultivées des aires de culture hors-sol. Objectif : diminuer les traitements herbicides et augmenter la biodiversité fonctionnelle.
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En 2011, une analyse des systèmes de cultures des entreprises de pépinière a montré que la gestion des zones non cultivées (ZNC) restait un domaine consommateur en produits herbicides, pour lequel aucune solution alternative n'avait été développée. Afin de contribuer aux objectifs nationaux du plan Ecophyto 2018, de respecter les arrêtés fossés et de limiter les matières actives présentes dans les eaux, le bureau horticole régional (BHR) s'est appuyé sur le volontarisme de dix entreprises engagées dans des démarches environnementales pour constituer un groupe de progrès - Alt'herb - sur cette double thématique : stopper efficacement les mauvaises herbes des ZNC, tout en privilégiant des alternatives efficaces, durables et économiquement viables ; contribuer à améliorer la biodiversité fonctionnelle d'un site par la végétalisation d'espaces non cultivés. Les enjeux sont donc d'ordre environnemental, technique, réglementaire, mais aussi commercial : préserver et développer l'image positive d'une industrie vendant du vert.
En s'appuyant sur l'inventaire des solutions existantes et un diagnostic environnemental, deux conseillers du BHR ont accompagné individuellement et collectivement ces dix entreprises vers une gestion différenciée des abords des cultures. Outre la limitation des traitements, la végétalisation ligneuse ou herbacée offre des possibilités d'amélioration de la biodiversité fonctionnelle pour une meilleuregestion sanitaire des cultures. Ces solutions requièrent parfois une modification profonde des systèmes de production, mais également des pratiques et des mentalités. En effet, les freins sont principalement d'ordre sociologique : il s'agit de faire changer le regard des entreprises sur la notion de propre et d'esthétique.
1. L'INVENTAIRE DES PRATIQUES EXISTANTES
La problématique se rapprochant de celle rencontrée en espaces verts, la recherche de solutions s'est rapidement orientée vers ce secteur. La palette proposée s'étend des traitements herbicides conventionnels, aux produits alternatifs, à la fermeture des espaces par imperméabilisation, au « bâchage » ou paillage, ou encore à la végétalisation ligneuse ou herbacée avec entretien mécanique. Pour réaliser un état des lieux des solutions existantes, des contacts ont été pris avec des municipalités, Plante & Cité, l'Arexhor Pays de Loire, ainsi que des fournisseurs de matériels et intrants, et quelques pépinières.
Des solutions d'espaces verts à adapter
Les solutions de traitement chimique des adventices pour les espaces verts seraient transposables en contexte de pépinière hors-sol, mais l'évolution de la réglementation vers une interdiction totale des usages pesticides en zones non agricoles (ZNA) risque d'entraîner l'arrêt de la commercialisation des matières actives proposées en traitement des abords et des allées. Les produits biologiques, particulièrement cher, doivent être limités à de petits espaces. Le désherbage thermique est le recours alternatif le plus généralisé parmi les municipalités. Le BHR a réalisé une synthèse des matériels existants. L'investissement est coûteux pour de grands espaces. Il pose également la question de la dangerosité de cette méthode pour l'applicateur.
L'entretien mécanique des abords et autres zones enherbées peut être transposé en pépinière, avec cependant des problèmes d'accès sur les espaces non conçus pour un entretien mécanique (trop petits, trop encombrés ou non stabilisés).
Le recours à l'enherbement et aux mélanges fleuris se développe. Pour les espaces verts, l'objectif est plus esthétique que technique. Les mélanges ne sont pas toujours adaptés à un objectif d'amélioration de la gestion sanitaire des cultures. La végétalisation des toitures en utilisant des espèces vivaces est en plein essor, avec notamment les solutions de tapis de Sedum. Mais ce genre n'est adapté ni aux contraintes des zones de cultures humides, ni au passage des engins.
Les solutions de paillage et d'artificialisation sont, quant à elles, souvent coûteuses à mettre en place sur les espaces étendus des aires de production. En revanche, elles sont envisageables pour les zones d'activités comme les bâtiments, les parkings, les lieux de stockage.
Au final, les solutions qui sont aujourd'hui développées en espaces verts offrent de multiples pistes de réflexion, mais répondent souvent à des contraintes ou à des finalités différentes de celles des pépiniéristes ou des horticulteurs. Certaines peuvent être adaptées mais demandent à être validées dans le contexte des pépinières.
Des pratiques en place dans des pépinières
Deux entreprises avaient déjà mis en place un enherbement des allées bordant les cultures. D'autres ont été proposées par un distributeur d'agrofourniture en espaces verts (la société Kabelis) et un fournisseur de gazons (les établissements Everris). Des essais de végétalisation d'espaces urbains, réalisés par l'Arexhor PL pour Plante & Cité, ont montré l'intérêt d'une espèce allélopathique : la piloselle Pilosella officinarum.
2. L'ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRISES ET LE DIAGNOSTIC ENVIRONNEMENTAL
L'accompagnement des entreprises par le BHR confirme qu'il n'y a pas une réponse unique, mais des réponses à adapter pour des situations différentes, en tenant compte des contraintes actuelles : réglementaires (arrêtés fossés...), du milieu (sec, humide, zone écoulement...), d'usage (passage d'engins, zone de stockage...), d'entretien (entre les tunnels, les bords de planches...), esthétiques et commerciales.
À l'image des municipalités, cette diversité conduit à la notion de gestion différenciée. D'où la nécessité de mettre en place un diagnostic environnemental des entreprises horticoles. Un établissement pilote a été choisi pour affiner la méthode. Une typologie des espaces et des usages a été réalisée. Le diagnostic permet d'identifier, à partir d'un plan de l'entreprise, les différentes zones à aménager, et de définir les caractéristiques de chacune (talus avec zones pentues difficiles d'accès et d'entretien, zones caillouteuses, sableuses, lourdes ou mal drainées, zones recevant de l'aspersion ou des écoulements d'eau, bords de fossés, passages avec circulation d'engins...). Il permet de répondre aux particularités de chaque entreprise et constitue une aide à la décision sur les solutions à mettre en oeuvre, artificialisation ou végétalisation, le choix des espèces mais aussi la technique pour les implanter.
Soutien individuel et collectif des entreprises
Depuis des années, la méthode d'accompagnement du BHR consiste en des visites individuelles de conseil aux exploitations, et un accompagnement collectif sous forme de clubs d'échanges de pratiques entre les professionnels. Dans le cadre de l'appui individuel, les entreprises font appel à leur technicien en fonction de leurs problématiques identifiées. Certaines expriment également des besoins d'évolution de leur système de production et des itinéraires techniques. La mise en place de la protection biologique intégrée (PBI) et les alternatives aux herbicides rentrent dans ce cadre du conseil individuel et du conseil collectif. Les interventions individuelles sont effectuées à la demande.
Sensibilisation et prise en main par les salariés
À travers les clubs, les diagnostics et les audits, les sociétés suivies et leurs salariés sont ainsi sensibilisés et formés par les conseillers du BHR, afin de permettre une meilleure appropriation des évolutions et des moyens qu'elles mettront en place.
3. DES SOLUTIONS ÉLABORÉES AU CAS PAR CAS
Parmi les 89 entreprises adhérentes au BHR, quinze sont maintenant sensibilisées aux problématiques de gestion des abords. Dix participent régulièrement au club Alt'herb, dont cinq ont bénéficié d'un accompagnement du Bureau. Onze mettent en place ou font des essais sur des solutions alternatives aux usages herbicides, par exemple enherber une réserve d'eau par hydromulching (Pépinières de l'Evre) ou poser une toile hors-sol sur un talus (Pépinières du Bocage) pour éviter la pollution des eaux. Ou semer les bords des fossés collecteurs pour limiter leur entretien et leur érosion.
La gestion différenciée des abords implique souvent un changement ou une adaptation du système de production, qu'il est préférable d'envisager dès la conception. Attention, elle peut modifier profondément les pratiques, et notamment générer davantage d'entretien ou augmenter le risque d'envahissement inesthétique. Elle conduit à une gestion plus complexe que les traitements herbicides. Elle requiert l'implication des salariés et des chefs d'entreprise.
Évolution, conception, entretien du système de production
Dans certains cas, l'artificialisation facilite l'entretien des zones difficiles et réglementées (les traitements sont interdits sur les fossés). On peut utiliser des toiles hors-sol, des enrobés ou des systèmes de collecte des eaux de drainage (de type buses ou drains). D'autres espaces peuvent compliquer l'entretien mécanique, et l'herbe peut devenir envahissante. Ces espaces sont soit trop petits, soit mal adaptés au passage d'engins mécanisés. C'est le cas des bords de planches (avec le ruissellement qui rend les herbes trop vigoureuses) ou des zones de passage des systèmes d'irrigation au sol. Cela montre la nécessité d'en tenir compte dès la conception pour éviter ensuite des zones inesthétiques, ingérables ou contaminantes pour les cultures. Des solutions existent comme le système de rigole en « U », permettant la collecte des eaux de drainage ; le bord de planche est bâché, l'allée est enherbée.
Les sites vieillissants rendent parfois difficile la mise en place de solutions. Dans certains cas, il faut revoir les systèmes d'évacuation des eaux, le « busage » des fossés. Les bords de planches peuvent être dégradés et propices aux mauvaises herbes, les allées peuvent être compactées, érodées ; la mécanisation devenant impossible. L'entretien régulier du site est important, pour des raisons autant esthétiques que fonctionnelles ; c'est encore plus vrai pour les exploitations qui veulent évoluer vers une gestion différenciée des abords.
Améliorer la biodiversité fonctionnelle
La méthode de diagnostic permet d'améliorer la biodiversité fonctionnelle des sites de production hors-sol, via l'implantation de dispositifs végétalisés : des haies bocagères tout autour de la pépinière, des bandes fleuries, des massifs de pieds-mères, des plantes réservoirs à auxiliaires, des corridors enherbés.
Réduire, voire abandonner, les usages herbicides
La réduction, voire l'abandon, des usages herbicides est effectif sur les espaces végétalisés par enherbement ou plantation de massifs ou mélanges fleuris. L'enherbement ou l'artificialisation des fossés permettent le respect des arrêtés fossés. Seules certaines bandes comme le bord des tunnels doivent être entretenues chimiquement pour limiter l'envahissement des herbes et faciliter l'entretien par la tonte.
Enherbement et choix des mélanges
Le choix des espèces, constituant les mélanges pour les zones à enherber, est capital afin de garantir une bonne implantation d'un mélange qui est adapté aux caractéristiques édaphiques de sols pauvres et compactés, parfois très humides, parfois très secs. Le mélange doit aussi convenir à l'usage considéré, comme le passage d'engins, et ne pas générer trop d'entretien. Quelques enseignements doivent être pris en compte :
- ray-grass anglais : bien pour coloniser rapidement et favoriser la portance ;
- fétuques : plus lentes à coloniser mais bonne résistance dans le temps ;
- fétuque élevée : la plus vigoureuse et résistante aux conditions extrêmes (sec et humide, cailloux) ; effet esthétique rapide, idéal pour les grandes surfaces ;
- fétuques ovines et fétuques rouges moins « poussantes » ;
- fétuques ovines adaptées aux zones humides pour un couvert bas et un entretien limité ; plus longues à l'installation, tendance à jaunir au cours de l'été ; conviennent aux bords de planches et aux zones d'écoulement d'eau.
Les semis d'automne sont toujours préférables à ceux de printemps (à cette période, la graine peut mourir de sécheresse, tandis qu'en automne elle a la possibilité de résister à l'humidité). Les implantations ont donné des résultats satisfaisants même sur des sols a priori difficiles (caillouteux, tassés, pauvres, sableux...). La circulation d'engins peut perturber l'installation, mais une fois implantées, les surfaces enherbées améliorent la portance. Les zones enherbées retiennent les eaux d'écoulement et peuvent limiter ou éviter certains dégâts lors de pluies violentes (les sols sont aussi mieux « retenus » au long cours). Il est toujours préférable d'implanter un couvert que l'on a choisi plutôt que de laisser pousser « ce qui vient naturellement ». Les zones enherbées peuvent augmenter le confort de travail en évitant la poussière entraînée par le vent.
Toute solution ou toute nouvelle pratique amène d'autres problématiques : par exemple, l'entretien se révèle parfois long et difficile donc coûteux, et il doit être régulier pour garder un aspect esthétique.
Le partenariat avec des distributeurs, fournisseurs de mélanges et de solutions d'enherbement, a conduit à avoir recours et à valider des réponses à l'enherbement de talus, de fossés et de bords d'étang par hydromulching, y compris pour des zones très pentues et sans sol. Les essais menés à grande échelle en entreprise permettent aujourd'hui d'orienter dans le choix des mélanges adaptés à différentes situations (sol humide, sol sableux...). Il reste désormais à évaluer l'évolution des mélanges dans le temps.
4. CHANGER DE REGARD ET FAIRE ÉVOLUER LES MENTALITÉS
Beaucoup reste à faire dans la recherche de moyens adaptés, avec notamment la perspective de végétalisation en utilisant des vivaces et des mélanges fleuris performants en matière de biodiversité.
La mise en place des solutions proposées passe par une évolution des mentalités, avec une véritable remise en cause des perceptions de l'esthétique et de la peur face au risque sanitaire que représentent les mauvaises herbes.
Jocelyn Foucher et Maud Dubois, Bureau horticole régional
Allées larges pour l'entretien mécanique entre les tunnels (Pépinière du Bocage). PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Bordure de tunnels (BTE)... PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Érosion des bords de fossés collecteurs avant semis. PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Zone végétalisée plantée (VLP)... PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Fixation des bords de fossé un an après semis. PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Enherbement d'une réserve d'eau par hydromulching (Pépinières de L'Evre). PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Système de « U » collecteur en bords de planches pour contenir l'enherbement. PHOTO : MAUD DUBOIS
Fétuque ovine (mélange GT Fine ), en terrain caillouteux humide (Pépinière du Bocage). PHOTO : JOCELYN FOUCHER
Désherbage chimique des bords de tunnels et tonte des allées (Pépinière du Bocage). PHOTO : JOCELYN FOUCHER
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