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Arbres : travailler ensemble sur la palette végétale de demain

Le paysage change, et les attentes en matière de végétaux ligneux aussi. Les pépiniéristes doivent être à l'écoute des concepteurs afin d'être en mesure de leur proposer des gammes de végétaux adaptées aux nouveaux besoins et usages.PHOTO : PASCAL FAYOLLE

Sous l'impulsion du Pôle paysage de la FNPHP, plus de vingt représentants de l'horticulture et du paysage ont échangé, en janvier, sur les attentes en matière de végétaux ligneux, et imaginé des solutions pour pérenniser la filière.

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« Ce qui nous réunit, c'est le végétal. Nous ne sommes pas là pour défendre nos intérêts personnels mais pour échanger », a introduit François Félix, président de la FNPHP (Fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières), lors de la deuxième rencontre organisée par le Pôle paysage de la FNPHP le 19 janvier dernier et rassemblant des acteurs de l'horticulture et du paysage. Des pépiniéristes du Pôle ont ainsi discuté avec des membres de l'AITF (Association des ingénieurs territoriaux de France), d'Hortis (association des responsables d'espaces nature en ville), des paysagistes-concepteurs, ainsi que des représentants de Val'hor, de Plante & Cité et de trois organes de presse professionnelle. Il s'agissait pour les producteurs de connaître les orientations des maîtres d'ouvrage et des concepteurs afin de préparer dès aujourd'hui les paysages de demain, et surtout de préserver leur compétitivité en augmentant leurs ventes : seulement un tiers des plantations ligneuses des collectivités et projets immobiliers est issu de production française. « Nous souhaitons aussi anticiper la demande de végétaux locaux qui commence à se faire sentir », précise Michel Le Borgne, gérant des pépinières Drappier (59) et chef de file du Pôle paysage. La séance était concentrée sur les grands ligneux à cycles longs, particulièrement concernés par la crise.

Les grandes tendances

Une première journée en 2015 avait permis de dresser quelques tendances en conception : le souhait d'une plus grande diversité de cultivars, la recherche de plantes à gabarit naturellement contenu - car tailler coûte cher - et des cépées qui apportent rapidement du volume, la progression des plantes issues de semis. Car produire à partir des graines permet de préserver la diversité génétique : « Rien de mieux pour lutter contre les maladies », assure le pépiniériste Daniel Soupe (01), pour qui les cultivars issus de bouturage ou de greffe seront « de moins en moins d'actualité », avec les risques sanitaires qui se multiplient (chalarose du frêne, chancre coloré du platane...). « Le clonage va dans le sens d'une industrialisation du végétal », ajoute Éric Stremler, chef du centre de productions horticole et arboricole de l'établissement public territorial 11 (Territoire 11) de la métropole du Grand Paris. « Or, nous nous battons pour faire comprendre que l'arbre est un être vivant et qu'il se distingue d'un candélabre ! » Pour diminuer l'impact sanitaire d'une maladie, la diversification s'invite dans les alignements, avec, pour conséquences, un recours moindre aux grandes séries mais aussi une gestion plus complexe de cette mixité (fréquence et type de taille).Autre constat : aujourd'hui, le client accorde moins de valeur à l'esthétisme et recherche davantage une valeur d'usage. Après la période faste du fleurissement, le paysage évolue vers un aspect plus « nature », à la fois pour limiter les coûts d'entretien et pour répondre aux nouvelles exigences environnementales : biodiversité à préserver, envahissantes à éviter, phytosanitaires à proscrire, changement climatique à anticiper... De quoi compliquer le travail des concepteurs. De fait, les écologistes ont désormais leur place dans les projets d'aménagement, encore faut-il qu'ils ne se substituent pas aux paysagistes ! Le label Végétal local donne le ton, avec sa liste de taxons, ses onze zones géographiques d'origine et une traçabilité à respecter dès la récolte des graines. Il ouvre un marché de niche qu'il ne faut pas ignorer. Sans aller jusqu'au label, une demande des ges-tionnaires serait d'obtenir une fiche de traçabilité des arbres, du semis à la vente.

Qui donne le « la » ?

Le nombre de cultivars ne cesse d'augmenter, au bénéfice - pourrait-on supposer - des concepteurs qui ont ainsi la possibilité de choisir dans une large gamme. « Mais c'est un leurre, souligne Hervé Le Roy, membre de la FFP (Fédération française du paysage), car encore faudrait-il que les concepteurs connaissent l'ensemble de cette palette. » La diversité variétale n'est pas une question facile à résoudre. D'un côté, elle est forcément positive pour le paysage, à condition que les concepteurs se donnent les moyens de l'appréhender : formations, catalogues, visites en pépinière. De l'autre, elle exige du producteur isolé de multiplier les références et les opérations culturales sur son terrain, avec une organisation sans faille.

Quant à savoir qui détermine les variétés à produire, c'est un peu comme se poser la question de « qui de la poule ou de l'oeuf... » Certes, les concepteurs prescrivent, mais les pépiniéristes restent les spécialistes en matière de végétal, et il leur revient de mettre en avant cette expertise pour imposer telle variété pour tel usage. « L'innovation doit venir du producteur, affirme Daniel Soupe. Critères de rusticité, contraintes climatiques, sol... : penchons-nous sur les usages et les contraintes, et soyons force de proposition. » De plus en plus de concepteurs n'hésitent pas à appeler les pépiniéristes pour vérifier l'adaptation des végétaux au site de plantation. « Le problème, remarque Rodolphe Debruille (pépinière Guillot-Bourne II, 38), est qu'au moment du marquage ou de la commande, nous perdons le contact avec le paysagiste ! »

Des critères de choix à tous les niveaux

À supposer que le concepteur ait effectivement consulté le producteur sur le choix des végétaux adaptés aux conditions de plantation, ces conditions ont-elles été analysées correctement ? « L'anthroposol évolue entre l'analyse et la livraison », rappelle Éric Stremler, pour qui les caractéristiques microbiologiques du sol sont essentielles. Quant au climat, il est considérablement modifié en milieu urbain : températures plus élevées, réflectance des parois de verre, effet Venturi dans les rues, ombre portée des bâtiments... Or, « ce travail de diagnostic en amont n'est pas réalisé. » De même, côté production, qui peut indiquer l'ombre portée de telle espèce, sa surface foliaire, son volume racinaire ? Alors que la filière se bat pour faire valoir le rôle des arbres dans la construction de la ville durable de demain, les concepteurs manquent singulièrement d'informations - tout au moins dans les catalogues - pour sélectionner les végétaux adaptés. « Nous n'avons pas suffisamment de données chiffrées pour prouver les bénéfices des arbres aux niveaux climatique, sanitaire (stress), touristique, social... », insiste Éric Stremler. Étant donné la spécificité du climat urbain, les ligneux des villes pourraient être complètement différents des « végétaux locaux »...

Concernant la description qualitative des végétaux, le pépiniériste la traduit sur le papier par un diamètre et un nombre de transplantations. Or, si un végétal quatre fois transplanté est synonyme de qualité et souvent exigé dans l'appel d'offres, force est de constater, souligne Michel Le Borgne, qu'au final, les ventes s'effectuent sur des arbres trois fois transplantés. Il s'agit ici pour le concepteur soit d'imposer à l'entrepreneur le recours à un pépiniériste précis (sous-traitance), soit d'avoir les moyens de contrôler sur le terrain le respect des caractéristiques techniques.

De la production à la plantation : respect continu

Qualité de production, expertise du pépiniériste, savoir-faire du concepteur : ces trois paramètres concourent à un aménagement durable. C'est sans compter le passage dans la « machine à broyer les végétaux » que constitue le marché public, souligne Philippe Thébaud (Land'Act). Si le CCTP (Cahier des clauses techniques particulières) est bien rédigé, c'est la sélection des dossiers par un fonctionnaire néophyte qui se charge de « gâter » la commande. Les critères de qualité exigés dans l'appel d'offres passent alors à la trappe. Si ce n'est pas le cas, c'est sur le chantier de plantation que l'on constate, souvent par souci d'économie, le non-respect de l'assortiment initial ou des sous-traitants listés dans le dossier d'appel d'offres. Il suffirait pourtant que chacun respecte les règles. « Ou qu'on revienne sur des marchés où les végétaux forment des lots à part », ajoute Philippe Thébaud. La diminution des marchés de fournitures et des contrats de culture - qui permettaient au client de maîtriser son approvisionnement - au profit des marchés de travaux porte certainement préjudice à la qualité des plantations. Pour le pépiniériste Pascal Levavasseur (14), en se regroupant et en se rapprochant des concepteurs, les producteurs peuvent parvenir à mettre en place des contrats de culture. Cette dynamique est en cours depuis février 2015 avec la création d'alliances. « Les évolutions territoriales peuvent constituer une opportunité de changement d'échelle et de structuration des appels d'offres », précise Éric Stremler. Mais une autre évolution est celle de la privatisation des marchés : les villes font de plus en plus appel à de gros bureaux d'études qui regroupent en leur sein différents corps de métier, et qui « broient le béton autant que les végétaux », selon Philippe Thébaud.

Conscients de leurs lacunes, les différents corps de métier travaillent à améliorer les pratiques. Ainsi, Hortis a rédigé en 2015, en collaboration avec la FNPHP, un CCTP type pour la fourniture de végétaux. Le document a été transmis à l'ensemble des responsables d'espaces nature en ville. « Il est possible de préserver la production française au travers de prescriptions non discriminatoires », soutient Jean-Pierre Gueneau, président d'Hortis. La FFP souhaiterait réaliser, sur le même principe, un CCTP pour la conception paysagère. De son côté, l'Unep a participé à la mise en place d'une charte de bonne conduite pour éviter la sélection de contrats d'entretien ou de création d'espaces verts « low cost ».

Former et informer : un « Test de (re)connaissance des végétaux ? »

En 2015 comme en 2016, un constat continue de faire l'unanimité : la connaissance insuffisante des concepteurs sur les plantes, et son corollaire, le besoin de formation technique. Quelle qu'en soit la cause, il est nécessaire d'y remédier. Parmi les propositions soulevées, la création d'un test de type Toefl (Test of English as a Foreign Language ou Test d'anglais langue étrangère) a enthousiasmé les participants. Le Toefl est un test standardisé, élaboré par un organisme privé, qui vise à évaluer l'aptitude à utiliser et comprendre la langue anglaise dans un contexte universitaire pour les non-anglophones. Pourquoi ne pas imaginer la même chose pour la connaissance des végétaux ? Le challenge est grand : redonner envie aux jeunes d'apprendre le végétal. Un défi qui fait écho à un autre encore plus important : promouvoir le « vert ». Car son avenir se joue au-delà du microcosme de la profession. Val'hor a prévu une campagne de communication télévisée (programmes courts sur tous les métiers de la filière sur M6) fin 2016 : va-t-elle réveiller les consciences ?

Les pépiniéristes ont leur propre bataille de communication à mener : « Vous pensez que les gens savent ce que vous faites, mais ce n'est pas le cas, affirme Philippe Thébaud. Les pépiniéristes doivent ouvrir leurs portes et inviter les concepteurs et leurs clients à visiter leurs plantations. »

S'approprier les nouveaux outils informatiques

Une autre lacune apparaît : la méconnaissance, par les prescripteurs, de certains outils à leur disposition : Végébase, de Plante & Cité, pour la connaissance et l'aide au choix des végétaux ; Végécad, réalisé par les pépinières Minier et Lepage, à l'intention des paysagistes et des responsables des jardins de ville ; Végéstock pour consulter les stocks et réserver des plantes (ouvert depuis fin 2015 à l'ensemble des producteurs français)... Mais l'enjeu majeur pour les professionnels du végétal porte sur l'apparition de la maquette numérique BIM-IFC (voir encadré), qui s'impose petit à petit dans les métiers du bâtiment, et par ricochet, sur ceux de la conception paysagère. Sur la maquette numérique, les végétaux peuvent prendre toute leur valeur, non seulement en matière de forme et d'esthétisme mais aussi de bénéfices environnementaux. Il appartient à la filière de rester maître de l'information fournie et de sa qualité. « Il faut transformer une contrainte en une opportunité en décrivant nos arbres », relève Philippe Thébaud. « C'est dire si la mise à plat des bonnes pratiques de production et leur diffusion revêtent un caractère d'urgence pour tout le monde », souligne Michel Le Borgne. Conscient de l'enjeu, François Félix s'est engagé à demander le soutien de Val'hor pour que ces travaux aboutissent rapidement

Valérie Vidril

Qualité Elle s'évalue notamment en termes de nombre de transplantations et d'écartement.

PHOTO : VALÉRIE VIDRIL

Formation Malgré certaines initiatives (ici, à Paysalia), les acteurs déplorent l'actuel déficit de connaissances.

PHOTO : ODILE MAILLARD

Communication La pépinière doit apprendre à se vendre. Ici, le Pistoia Nursery Park de Vannucci (Italie).

PHOTO : VALÉRIE VIDRIL

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