Protection phytosanitaire : des plantes au service des plantes
Les plantes de service permettent d'optimiser la protection de la culture et complètent la gamme d'outils de contrôle des bioagresseurs qui existe sur le marché. Elles ont différentes fonctions mais servent toutes le même objectif : diminuer les coûts de la protection biologique intégrée (PBI) pour les producteurs.
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Volontairement ou contraint, le producteur modifie ses méthodes de travail afin de proposer des plantes saines tout en diminuant le recours aux produits de traitement. L'observation, bien que chronophage, devient la clé d'une prévention efficace. Le professionnel cherche à intervenir avant même le développement des bioagresseurs sur la culture. La plante est cultivée dans des conditions qui favorisent son endurcissement (température, fertilisation, irrigation contrôlées), son développement est renforcé par des biostimulants ou des stimulateurs de défense naturelle. Des auxiliaires sont lâchés en fonction du ravageur ciblé, de son stade de développement et des conditions climatiques. Des pièges à phéromones permettent d'observer les premiers vols et de suivre les populations de nuisibles. Bandes jaunes engluées, lampes UV, voile plastique accroché au chariot d'irrigation (thigmomorphogenèse) complètent la panoplie d'outils, auxquels il convient d'ajouter depuis quelques années les « plantes de service ». Lors de sa journée portes ouvertes, en juin dernier, la station Astredhor Sud-Ouest GIE Fleurs et plantes a fait le point sur les différentes stratégies mises en oeuvre.
1. DE MULTIPLES SERVICES EN PRODUCTION
Les plantes de service ne sont pas destinées à la vente. Disposées autour ou au sein de la culture, elles aident notamment à contrôler les bioagresseurs. Mais elles peuvent également favoriser un meilleur usage des ressources organiques ou minérales, donner des indications sur la nature du sol, caractériser son potentiel mycorhizien, etc.
En protection des cultures, les plantes de service se divisent en deux catégories : celles utilisées pour attirer et maintenir les auxiliaires (plantes-réservoirs, plantes à pollen, plantes fleuries) ; et celles servant à détourner les ravageurs des cultures (plantes-pièges, plantes-indicatrices, plantes-répulsives). En France, les plantes-réservoirs (ou plantes-banques ou plantes-relais) sont à l'étude depuis une vingtaine d'années. Les plantes-pièges sont d'application plus récente, avec notamment les résultats concluants de la station Arexhor Pays de la Loire (PDL) sur l'utilisation de l'aubergine en cultures de poinsettia et de rose contre les aleurodes (1). La terminologie des plantes de service s'est affinée au fil du temps avec la caractérisation des différents services rendus.
2. ÉLOIGNER LES RAVAGEURS DES VÉGÉTAUX.
Une première solution consiste à trouver une plante plus attractive que la culture pour le ravageur et à la placer au sein de la production. Il suffit ensuite de gérer la « plante-piège » infestée pour contrôler les ravageurs grâce à un lâcher d'auxiliaires, une application d'un produit compatible, ou encore un effeuillage. En cas de trop forte infestation, la plante-piège peut être remplacée. Il faut intervenir avant que le nuisible ne migre dans la culture. La technique ne fonctionne que si les ravageurs ciblés ont une forte mobilité et sont polyphages (aleurodes, thrips...). Différents trios « plante-piège/ravageur/culture » sont à l'étude ou ont fait leurs preuves : « aubergine 'Bonica' ou 'Avan'/aleurode des serres/poinsettia, rosier ou gerbéra », « Bergenia/otiorhynque/Photinia »... Ainsi, l'Arexhor-PDL a validé en 2013 un itinéraire de contrôle des otiorhynques en pépinière hors-sol (projet GGLOP) avec Bergenia cordifolia comme plante-piège (densité d'environ un pot pour 25 m2, mise en place courant avril avant l'émergence des adultes) et paillage de la culture (servant de barrière physique gênant la ponte des otiorhynques) (2).
La plante-piège permet par ailleurs une détection précoce du ravageur. Utilisée dans ce sens, elle se transforme en « plante-indicatrice » pour savoir si l'abri est infesté, ou connaître en début de culture la présence et la répartition des ravageurs. Elle permet de supprimer les traitements préventifs inutiles ou d'économiser un lâcher d'auxiliaire. Ainsi, le projet Comalte (Arexhor Pays de la Loire, Iteipmai, CDHR-Centre) initié en 2011 a permis de valider l'intérêt du lierre 'Glacier' pour contrôler la présence des acariens tétranyques Tetranychus urticae dans une culture de Choisya (réduction par deux du nombre de lâchers en 2013). La mise en place des plantes-indicatrices dans la structure de production s'effectue plus d'un mois avant l'introduction de la culture (début mars).
Une seconde méthode pour se débarrasser des ravageurs consiste à les repousser. Certaines « plantes-répulsives » émettent des composés volatils éloignant les insectes : le margousier (Melia azedarach) chasse le puceron par exemple (Astredhor Seine-Manche, 2014). Les jardiniers amateurs utilisent ces propriétés en associant ail, tanaisie ou encore oeillet d'Inde à leurs cultures. En station, l'étude porte plutôt sur l'emploi d'extraits (extrait d'ail contre le thrips selon une stratégie « push and pull » - Astredhor Sud-Ouest GIE Fleurs et plantes, Astredhor Loire-Bretagne [3]).
3. ATTIRER ET MAINTENIR LES AUXILIAIRES
Les « plantes-réservoirs » hébergent un ravageur spécifique qui sert de nourriture alternative aux auxiliaires (coccinelles, cécidomyies, syrphes, punaises, hyménoptères parasitoïdes...). Elles permettent d'introduire ces derniers avant l'apparition des ravageurs ou d'assurer le maintien des auxiliaires malgré les baisses de population du bioagresseur. L'exemple le plus connu est celui des graminées, généralement de l'orge, parasitées par le puceron des céréales Rhopalosiphum padi à son tour parasité par l'hyménoptère parasitoïde Aphidius colemani. En extérieur, le noisetier commun peut être considéré comme une plante-réservoir avec ses pucerons spécifiques (Myzocallis coryli et Corylobium avellanae), proies de certaines punaises. Sa présence dans une haie aux abords de la culture favorise une protection intégrée par conservation, c'est-à-dire une protection s'appuyant sur l'action des auxiliaires indigènes pour contrôler les ravageurs.
Les « plantes à pollen », anémophiles, produisent une quantité importante de pollen « volatile » servant de nourriture alternative pour certains auxiliaires, notamment des acariens phytoséiides prédateurs de tétranyques : ricin (Ricinus communis 'Castor Bean'), Sorbaria sorbifolia (intérêt validé dans le projet Comalte), Rosa rugosa... Dans la même optique, des « plantes fleuries » disséminées au sein de la culture favorisent le maintien d'auxiliaires (syrphes, chrysopes, Orius...) : l'anthémis en culture de chrysanthème sous abri attire les syrphes et Aphidius spp. (Astredhor Seine-Manche), la potentille Potentilla fruticosa 'GoldFinger' en culture de rosier et de chrysanthème accueille des prédateurs et parasitoïdes des thrips et pucerons (Arexhor PDL), le poivron ornemental 'Black Pearl' favorise Orius... Il faut couvrir environ 2 à 3 % de la surface (pour 300 végétaux, environ 20 plantes fleuries), ce qui impose un suivi non négligeable. L'utilisation de mélanges fleuris dans ce cadre nécessite un certain recul : absence d'espèces envahissantes, exotiques, stériles ou sources de ravageurs.
En extérieur, les haies écologiques associent les différentes fonctions citées, attirant et abritant la faune auxiliaire et jouant aussi d'autres rôles (protection contre l'érosion, le vent...). Les études, peu nombreuses, soulignent majoritairement l'intérêt d'un paysage complexe pour réguler les populations de ravageurs.
4. DIVERSES RECHERCHES PROMETTEUSES
L'Arexhor Pays de la Loire continue, en partenariat avec la STEPP-Bretagne et l'IFV, ses recherches sur les plantes de service afin d'en étendre les domaines d'application dans le cadre du projet Diaplasce. L'objectif est de déterminer, pour chaque problématique (par exemple le contrôle des tétranyques tisserands en pépinière) quelles sont les meilleures espèces de plantes de service, comment les disposer dans la culture, quels sont les seuils, quelle surveillance réaliser, quelles règles de décision appliquer à la gestion de la culture... Les bioagresseurs travaillés en priorité sont les cochenilles farineuses, les thrips, les acariens et les pucerons mais aussi l'oïdium avec des plantes-relais pour favoriser Ampelomyces quisqualis (champignon parasite de l'oïdium). Cette nouvelle approche sur les maladies permettrait, si elle était couronnée de succès, de réduire l'usage des fongicides. Concernant la détection des thrips, les essais 2013 et 2014 ont d'ores et déjà montré des résultats intéressants avec la sagine Arenaria montana 'Blizzard' et le tagète Tagetes erecta en culture de géranium. Par ailleurs, dans le cadre d'un programme entamé en 2013 avec l'Iteipmai et le CDHR-Centre sur le contrôle du psylle de l'Elaeagnus Cacopsylla fulguralis (Cophy), la station angevine évalue l'intérêt d'utiliser des plantes de service pour contrôler ce ravageur.
Valérie Vidril
(1) Voir le Lien horticole n° 749 (20 avril 2011) « Ces plantes qui piègent les ravageurs », page 12. (2) Voir Phytoma n° 681 (février 2015) « Méthode de lutte alternative contre l'otiorhynque de la vigne en pépinière ornementale », pp. 22-25. (3) Voir le Lien horticole n° 919 (4 mars 2015) « Favoriser une approche globale pour contrôler le thrips », pp. 12-13.
Un maillage d'un pied d'aubergine pour 20 m2 (après le rempotage) puis 40 m2 (après le premier distançage) est recommandé en cas de pression parasitaire faible ou moyenne. Doubler la densité si la pression en aleurodes est forte. PHOTO : AREXHOR PAYS DE LA LOIRE
La floraison de Potentilla fruticosa, continue du printemps jusqu'à l'automne, attire un cortège d'auxiliaires : punaises prédatrices, syrphes, chrysopes, coccinelles, hyménoptères parasitoïdes... À réserver aux cultures extérieures ou conduites sous abris largement ouverts, et à arroser fréquemment. PHOTO : AREXHOR PAYS DE LA LOIRE
Les Bergenia cordifolia sont disposés avant l'émergence des adultes d'otiorhynque (courant avril), à la densité d'environ une plante-piège pour 25 m2 de culture. À l'automne, les immerger dans un baril d'eau pour noyer les larves ou les mettre en déchetterie. PHOTO : AREXHOR PAYS DE LA LOIRE
Le Bergenia est testé par l'Arexhor Pays de la Loire dans une culture de Photinia pour lutter contre l'otiorhynque (Otiorhynchus sulcatus). PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Sorbaria sorbifolia est testé comme plante à pollen pour Amblyseius par le GIE FPSO. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
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