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Renouées envahissantes : la lutte est difficile mais des méthodes existent

Plantes pionnières, les renouées empêchent ou limitent le développement de la plupart des espèces indigènes, de par leur forte capacité de croissance (4 à 8 cm/jour).PHOTO : CLAUDE THIERY

Les renouées asiatiques sont des plantes invasives présentes sur l'ensemble du territoire français. De nombreuses techniques d'éradication ont été tentées ces dernières années pour limiter leur expansion, sans toutefois prétendre, dans la plupart des cas, à une suppression totale des foyers. Tour d'horizon des procédés expérimentés et bilan de leur efficacité respective...

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Introduites en Europe au XIXe siècle comme plantes ornementales, les renouées sont rapidement devenues invasives, bénéficiant d'une vivacité exceptionnelle grâce à leurs rhizomes et l'absence de prédateurs. On en rencontre principalement trois espèces : la renouée du Japon (Reynoutria japonica), celle de Sakhaline (Reynoutria sakhalinensis) et celle de Bohême (Reynoutria X bohemica), hybride des deux précédentes. Ces différentes espèces se différencient essentiellement par la taille de leurs feuilles, la hauteur des tiges et la vitesse de croissance. Elles occasionnent de nombreux impacts, particulièrement vis-à-vis de la biodiversité. Plantes pionnières, elles empêchent ou limitent le développement de la plupart des espèces indigènes, de par leur forte capacité de croissance (4 à 8 cm/jour), la densité des pieds et de larges feuilles qui privent de lumière la végétation située au niveau du sol. Cela conduit à des peuplements monospécifiques. Les renouées sont capables de coloniser des linéaires de berges de rivière sans laisser la moindre place aux autres végétaux. Elles peuvent ainsi perturber l'écoulement des cours d'eau et augmenter les risques d'érosion.

1. UNE MULTIPLICATION ESSENTIELLEMENT PAR VOIE VÉGÉTATIVE.Des fragments de rhizomes ou de tiges aériennes assurent la dispersion, moins d'un centimètre de rhizome suffit pour démarrer une nouvelle plante et un nouveau foyer. La dissémination peut être naturelle, à la suite de crues le long des cours d'eau qui entraînent les rhizomes en aval, mais aussi et souvent du fait des activités humaines : transports et dépôts de terres infestées, propagation par les engins, dispersion de fragments de tiges après une opération de fauchage... Contrairement aux idées reçues, les renouées peuvent aussi se multiplier par semis, particulièrement Reynoutria X bohemica. L'importance de cette multiplication sexuée reste à préciser.

2. LA PRÉVENTION EST ESSENTIELLE POUR LIMITER LA DISPERSION. Cela passe par une sensibilisation auprès des décideurs comme du public et la formation des professionnels. Lors des chantiers de terrassement, les remblais et la terre végétale susceptibles d'être infectés de rhizomes doivent être traités à part, soit triés ou criblés pour séparer ces éléments indésirables, soit enterrés à forte profondeur (plus de 5 mètres), ce qui n'empêche pas une surveillance des pousses éventuelles pendant plusieurs années. Le long des routes, les massifs de renouées doivent être fauchés séparément, ou laissés en l'état si la sécurité n'est pas mise en cause, les épareuses ou broyeurs d'accotement pouvant disperser et entraîner des fragments sur plusieurs dizaines de mètres.

3. COMME POUR TOUTES LES INVASIVES, IL FAUT AGIR TÔT. L'arrachage précoce consiste à prélever, manuellement à l'aide d'une pioche, les rhizomes disséminés par les terrassements ou les crues, avant qu'ils s'enracinent. L'opération doit impérativement se faire au printemps sur un sol humide quand les tiges commencent juste à sortir, ce qui permet de localiser ces racines. Plus tard en saison, il sera très difficile de les retirer sans les fragmenter. Il est important de vérifier que les extrémités du rhizome extrait ne présentent pas de blessure fraîche indiquant alors qu'il en reste un morceau dans le sol (susceptible de reformer rapidement une nouvelle plante) et d'évacuer les plantules arrachées. En bordure de cours d'eau, il convient de parcourir chaque année toutes les berges en aval des foyers existants sur plusieurs kilomètres, ce qui peut être fastidieux, mais l'arrachage précoce représente la méthode la plus efficace et la moins coûteuse pour limiter la progression des renouées.

Mireille Boyer, ingénieure au bureau d'études Concept Cours d'Eau spécialisé dans la gestion des plantes invasives, précise que « ce type d'intervention précoce est souvent difficile à mettre en place. Il est compliqué de convaincre élus et acteurs locaux de la réalité de la menace de "quelques petites plantules apparemment inoffensives''. Ainsi, les interventions menées en réponse à l'invasion de renouées sont souvent davantage axées sur des actions de lutte dans des zones infestées, alors que la situation est la plupart du temps irréversible, tandis qu'il serait préférable d'agir pour préserver les tronçons faiblement ou peu infestés, et d'extraire rapidement ces plantules afin d'éviter le phénomène invasif qui deviendra rapidement non maîtrisable. »

4. POUR DES MASSIFS DÉJÀ BIEN IMPLANTÉS, L'ÉRADICATION définitive n'est pas réaliste. Il est par contre primordial de mettre en oeuvre un programme de gestion à long terme visant à limiter leur expansion, notamment en bordure de cours d'eau où leur présence est la plus problématique. À partir d'un diagnostic préalable - travail d'inventaire, cartographie des foyers et de leur ampleur - une stratégie de lutte contre la renouée poursuit plusieurs objectifs : éviter l'apparition de nouveaux foyers, limiter l'expansion des foyers existants, voire les faire régresser, et éradiquer les massifs si les populations sont encore peu développées, ou aux endroits les plus problématiques.

Diverses techniques ont été expérimentées ces quinze dernières années, certaines avec plus ou moins de résultats et des coûts pouvant rapidement s'avérer prohibitifs. De plus, lors des travaux, toutes les précautions doivent être prises pour éviter la dispersion des rhizomes ou des tiges. Aussi, toutes les méthodes expérimentées ne font pas l'unanimité parmi les gestionnaires et les bureaux d'études spécialisés, tant au niveau du degré d'efficacité, du coût à long terme, ou des risques importants de dissémination.

5. POUR DES MASSIFS PEU DÉVELOPPÉS, IL EST POSSIBLE D'AGIR. Il faut procéder à l'arrachage des touffes à l'aide d'une minipelle sur une profondeur de cinquante centimètres à un mètre. Les déblais sont déposés sur une bâche en plastique, et un tri manuel soigné doit permettre d'éliminer l'ensemble des rhizomes.

6. LE FAUCHAGE PERMET D'ÉPUISER LES RHIZOMES. Quel que soit le nombre de fauches, entre deux et six passages annuels, on constate une diminution significative du diamètre et de la hauteur des tiges. En revanche, aucun effet sur la densité n'est visible si la fauche n'est pas associée à d'autres techniques comme la plantation dense de ligneux (arbustes indigènes, boutures de saule) pour concurrencer la croissance des renouées, et (ou) la fauche sélective (au sécateur ou croissant) pour préserver les autres espèces spontanées présentes (ronces, orties). Cependant, même au bout de plusieurs années, cinq à sept ans, si la renouée est fortement affaiblie elle n'est pas éliminée. Les rhizomes restent en vie et peuvent reprendre rapidement leur action invasive en cas d'arrêt des opérations de fauchage. Par ailleurs, cette méthode présente de forts inconvénients, notamment les risques de dispersion des tiges fauchées laissées sur place, ou évacuées sans prendre toutes les précautions nécessaires. En bordure de rivière, celles-ci doivent impérativement être récoltées sur une bâche en plastique et exportées. Sans ces mesures, il est préférable d'abandonner l'idée de les couper. En bord de route, espaces verts, zones agricoles, en l'absence de risque de dissémination par l'eau, les tiges fauchées peuvent être laissées sur place en veillant à ce qu'elles ne s'étendent pas au-delà des massifs de renouées pour ne pas favoriser leur extension. Compte tenu des fortes possibilités d'éparpillement, l'utilisation des épareuses ou broyeurs d'accotement est fortement déconseillée (*). Une méthode alternative, préconisée par le bureau Concept Cours d'Eau, pour limiter l'expansion d'un massif de renouées sans qu'il y ait des risques de diffusion des fragments de tige, consiste à faucher intensément et régulièrement la zone périphérique autour du massif concerné mais sans toucher à celui-ci.

7. LE BÂCHAGE DES ZONES INFECTÉES, ASSOCIÉ À UN FAUCHAGE, permet de stopper la croissance. Le bâchage prive les plantes de lumière. La bâche de type agricole posée en deux couches (les toiles de type géotextile ne sont pas adaptées) doit rester en place plusieurs années, déborder de plus d'un mètre de la zone infectée et être exempte de trous ou déchirures. La renouée reste cependant présente dans le sol, les rhizomes ne sont pas détruits mais seulement en dormance. Le bâchage doit être suivi d'une végétalisation dense pour profiter de l'affaiblissement de la plante et occuper le terrain. Un fauchage sélectif doit ensuite être programmé chaque année. Si cette méthode ne conduit pas à une éradication totale, elle permet une régression importante des massifs autant en croissance qu'en densité des tiges.

8. L'ÉCO-PASTORALISME EST UNE SOLUTION ALTERNATIVE. Comme le fauchage, il ne permet pas de détruire les rhizomes mais seulement d'en limiter l'expansion. Un rapport du pôle aménagement Mulhouse/Alsace, traitant du pâturage avec des moutons et des chèvres, indique que si la pâture est répétée pendant au moins dix ans, les renouées tendent à disparaître. Mais il existe un risque de dispersion par les animaux, et pour certaines espèces, des problèmes d'appétence se posent.

9. LA TECHNIQUE DE CONCASSAGE, LA PLUS EFFICACE. Associée au bâchage, elle semble, au vu des résultats d'expérimentations, notamment en Rhône-Alpes, être la technique la plus efficace. Après plusieurs saisons, aucune repousse n'a été observée sur les sites d'essais. L'objectif est de provoquer un nombre important de blessures aux rhizomes pour les rendre plus vulnérables aux micro-organismes et entraîner leur pourrissement. Pour cela, les terres colonisées sont décaissées puis concassées avec différents types d'équipements en fonction des chantiers (godet-concasseur, broyeur de pierres) avant leur remise en place. La surface traitée est ensuite recouverte par une bâche en plastique noire pour accélérer le pourrissement. Elle est maintenue en place jusqu'à la décomposition complète des rhizomes, soit en moyenne douze à dix-huit mois. L'humidité des terres et la température jouent un rôle important dans la vitesse de pourrissement. Sur les sols totalement saturés en eau, les rhizomes dépérissent en quelques semaines. Un encadrement rigoureux des entreprises est indispensable, toutes les précautions nécessaires devant être prises lors du chantier : nettoyage des engins utilisés et contrôle répété et minutieux des abords pour récupérer et détruire tous les rhizomes disséminés. Vu les travaux de terrassement nécessaires et l'encombrement des engins, la méthode n'est pas applicable sur tous les sites. Son coût élevé, plusieurs dizaines d'euros par mètre cube de terre traitée, est toutefois à comparer avec les autres méthodes nécessitant une gestion à long terme et présentant des résultats plus aléatoires.

Claude Thiery

(*) Une expérimentation menée dans les Côtes-d'Armor a toutefois montré qu'un entretien mécanique par éparage est envisageable. Il devra cependant être effectué à un réglage situé largement au-dessus du sol pour éviter de fragmenter les rhizomes, devra être suffisamment fin pour qu'il y ait une bonne fragmentation des tiges et surtout qu'aucun noeud ne soit laissé intact, et que les fragments projetés autour du chantier soient bien récupérés. Si toutes ces conditions ne sont pas réunies, l'utilisation des épareuses est prohibée.

L'arrachage précoce consiste à prélever manuellement, à l'aide d'une pioche, les rhizomes disséminés par les terrassements ou les crues, avant qu'ils s'enracinent.

PHOTO : BOYER M., CONCEPT COURS D'EAU, SCOP

La technique de concassage agit directement sur les rhizomes en provoquant des blessures pour les faire pourrir. Le broyeur à pierre est utilisé avec l'appui d'un engin de terrassement qui prépare les couches de terre à broyer pour traiter de gros volumes.

PHOTO : BOYER M., CONCEPT COURS D'EAU, SCOP

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