Scradh : valider la production et les débouchés
Depuis maintenant cinq ans, la station d'expérimentation hyéroise (83) teste auprès du marché chaque nouveauté végétale en essai. Elle continue d'optimiser les itinéraires de production. Car pour assurer l'avenir d'un produit, l'un ne va pas sans l'autre.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
C'est bien beau d'innover, encore faut-il que les consommateurs veuillent du produit lancé sur le marché ! C'est d'ailleurs souvent la définition donnée au terme innovation : « Une invention qui rencontre un marché ». Laurent Ronco, directeur d'Astredhor Méditerranée Scradh, à Hyères, l'a bien compris : « Ce n'est pas parce qu'une nouvelle plante est belle et que le producteur arrive bien à la produire qu'il gagnera de l'argent. Vendue au mauvais endroit et au mauvais moment, elle ne rapporte rien ! Il faut une adéquation entre le marché et le produit. » C'est pourquoi, depuis maintenant cinq ans, la station d'expérimentation réalise des tests auprès de fleuristes et grossistes, en complément de ses essais culturaux de nouvelles variétés. Objectif : s'assurer que la nouveauté sera bien accueillie par le marché et qu'elle sera rentable pour le producteur. Pour cela, il faut non seulement une conduite culturale maîtrisée mais aussi l'assurance de vendre à un prix intéressant. Cette stratégie vaut particulièrement pour les fleurs coupées, le bassin hyérois étant un important bassin de production, avec la Sica Marché aux fleurs comme principale plate-forme commerciale.
1. CONSTITUER UN RÉSEAU TESTEUR
Pour valoriser ses nouveautés, la station a réussi à sélectionner une douzaine de fleuristes volontaires, ainsi que quelques grossistes via la Sica et sur Paris. « Dans un premier temps, nous donnons les échantillons à nos testeurs avec un questionnaire, afin d'obtenir des retours d'informations. L'analyse de ces retours n'est pas évidente, car il y a autant de profils de fleuristes que de consommateurs ! Dans un deuxième temps, les fleuristes peuvent acheter la nouveauté cultivée au Scradh. » Les plantes sont testées essentiellement dans la région hyéroise et sur Paris. En Île-de-France, les acheteurs fournissent des clients haut-de-gamme demandeurs de produits originaux, moins soucieux des prix que dans le Sud. « Par ici, les prix pratiqués durant la période de test sont plus bas qu'en Île-de-France, et souvent ils le restent. » C'est ce qui s'est produit avec les essais de pois de senteur en fleur coupée, achevés fin 2015. L'itinéraire technique était finalisé et les tests économiques ont mis en évidence des prix certes intéressants dans le Nord, mais insuffisants dans le Sud (10 centimes de moins la tige) pour rentabiliser la production. « Il faut donc disposer de la bonne logistique de distribution, ce qui n'est pas le cas pour tous les produits. Nous essayons d'élargir notre zone de test, car Sud et Nord constituent deux marchés différents. »
2. ASSURER LA RENTABILITÉ
Le kalanchoé pour la fleur coupée (obtenteur danois Queen) testé par la station constitue un cas à part : il est nouveau en France mais pas à l'étranger, puisqu'il est déjà commercialisé aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne. Certains grossistes et fleuristes l'ont donc déjà vu : « Nous avançons en terrain connu. Du coup, la période de validation technico-économique et de mise en marché sera un peu moins longue (en général, il faut 3 à 5 ans pour qu'un nouveau produit se développe et soit connu). En revanche, les prix seront déjà plafonnés. » L'itinéraire cultural est au point. Le végétal, qui fleurit en jours courts, peut être produite toute l'année dans une serre munie d'écrans occultants. En période de jours courts (froide), il est nécessaire de chauffer (développement végétatif à 8-9 °C°). « C'est une plante souple à produire avec de l'éclairage et de la chaleur. Le vrai frein est de trouver un optimum économique. Le prix du jeune plant étant élevé, nous devons encore adapter la conduite sous climat méditerranéen pour assurer la rentabilité du produit final. »
Du côté du marché, les premières réponses révèlent un réel intérêt, d'autant que le kalanchoé est une plante qui offre une tenue en vase de 4 semaines garanties et jusqu'à 6 semaines ! La possibilité de travailler la fleur à sec (par exemple, pour les bouquets destinés aux mariages) constitue un autre atout de cette nouveauté. « Nous devons en découvrir tous les usages potentiels ! »
Autre exemple en cours de validation : Hibiscus sabdariffa. Cette espèce est testée pour la troisième année consécutive. La plante est validée par les fleuristes, elle est reconnue par le marché (codée sur la Sica), voire demandée. Elle est en cours de développement et de transfert, bien que le chiffre d'affaires reste à optimiser. Si la production est maîtrisée, la culture de ce végétal de jours courts nécessite un écran. En effet, sa production hivernale serait peu rentable du fait de son optimum thermique de 14 °C.
3. OPTIMISER LES ITINÉRAIRES DE PRODUCTION
Que ce soit pour la pépinière méditerranéenne ou les fleurs coupées, l'innovation commerciale (nouvelles variétés, nouveaux débouchés...) constitue un enjeu fort dans le bassin hyérois, notamment en raison de la concurrence (Italie et Espagne pour l'un, Afrique, Amérique centrale et du Sud pour l'autre), des modes ou encore du changement climatique. Malgré tout, les itinéraires culturaux doivent sans cesse être améliorés, même pour des genres « classiques » et maîtrisés (anémone, renoncule, pivoine, lisianthus, lys...). En cause : l'évolution des pratiques (moins de produits phytosanitaires, moins d'énergie), des hivers plus chauds, de nouveaux cortèges de maladies et ravageurs... Ainsi, le lisianthus est une culture majeure du sud de la France, offrant une large gamme de couleurs, travaillée depuis 1988 au Scradh. Ce genre souffre depuis plus de 10 ans de la fatigue des sols. Le coût actuel de la désinfection vapeur rend le problème plus pressant. Pour l'anémone et la renoncule, victimes du même fléau, le problème a été résolu grâce à la culture en bacs. Mais, avec le lisianthus, les symptômes de dépérissement réapparaissent dès la deuxième culture en hors-sol (deux cultures par an minimum). La station réalise des essais en bacs sur un substrat de faible profondeur (6 cm) pour permettre son remplacement. « À 1,80 euro le coût du substrat au mètre carré, cela revient au prix d'une désinfection vapeur », assure Laurent Ronco. Toutefois, cette solution n'est pas la plus ergonomique (retirer le substrat, en mettre un nouveau, replacer l'irrigation, le tuteurage...). « Le bagne n'a jamais attiré personne ! », plaisante le directeur de la station. Les résultats les plus prometteurs viennent des essais de culture aéroponique. Les plantes sont maintenues en suspension dans une enceinte et alimentées par pulvérisation sur les racines d'une solution nutritive.
4. TESTER DE NOUVELLES PRATIQUES
Le Scradh a conçu un dispositif solide, transférable en entreprise, destiné à de grandes surfaces et pour un coût de l'investissement minime. Le procédé comporte une plaque soutenant les paniers dans lesquels sont disposés les jeunes plants, et une bâche plastique entourant les buses et les racines. Il ne coûte que 8 euros le mètre carré et peut être amorti sur cinq ans ; on est loin des 400 à 500 euros de certains modules d'aéroponie vendus sur internet ! Une première culture a été réalisée durant l'été 2015, avec de bons résultats (qualité et rendement) (*). « Cette culture coûte moins cher qu'une production en plein sol avec désinfection vapeur, même avec la consommation électrique », affirme Laurent Ronco. « Et elle est aussi plus ergonomique, puisqu'elle permet de récolter debout. » Le directeur de la station souhaite encore optimiser les coûts : électricité, entretien des pompes... « Tout pousse en aéroponie, il n'y a pas de frein technique. Le problème, c'est l'aspect économique. » La station va travailler par « flash arrosages » plutôt qu'en continu. « Cela permettra de n'utiliser qu'une pompe (350 euros) pour 12 à 15 banquettes ou lieu de 2 ou 3, ce qui diminuera les coûts d'électricité. » Comme les logiciels permettant de gérer l'arrosage séquentiel sont coûteux, la station a imaginé un dispositif composé d'un ordinateur gérant les flashs et d'un minuteur gérant le fonctionnement de l'ordinateur. D'autres améliorations restent à apporter au dispositif, notamment en ce qui concerne le maintien des jeunes plants. Le Scradh ne trouve pas de paniers adaptés à la taille des micromottes de lisianthus (format standard). Du coup, ces dernières sont « microrempotées » dans les contenants afin de les y faire tenir (400 plants à l'heure). Autre possibilité testée à la station et chez un producteur pilote qui a choisi de se lancer dans l'aventure : se procurer des jeunes plants plus grands - mais du coup plus chers - dont la motte est adaptée à la taille du panier.
Les portes ouvertes du Scradh, les jeudi 10 et vendredi 11 novembre prochain, permettront de découvrir ces essais et bien d'autres. La station profitera de cet événement pour fêter ses trente ans.
Valérie Vidril
(*) Voir Atout-Fleurs n° 99, octobre 2015.
Le mode de production du lisianthus, culture majeure du bassin hyérois, doit être renouvelé. Ici, des micromottes et des jeunes plants (à l'arrière-plan) en culture aéroponique pour s'affranchir des problèmes de fatigue du sol.
Astredhor Méditerranée Scradh mène des essais à destination des producteurs des secteurs de la pépinière méditerranéenne et des fleurs coupées. Ici, Hibiscus sabdariffa a obtenu la validation du marché, mais la rentabilité de la production reste à améliorer.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :