Sécurité routière : la Seine-et-Marne expérimente des solutions végétales
À l'occasion de la 31e Arborencontre de Seine-et-Marne, qui s'est déroulée à Melun en mai dernier, Philippe Moussière, chef du service Études prospectives et thématiques au conseil départemental 77, a présenté une démarche originale visant à améliorer la sécurité routière en entrée de villages. Une approche reposant notamment sur un travail de végétalisation spécifique des abords de voirie.
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« Si d'emblée il peut paraître incongru d'associer arbres, paysage et sécurité routière, il n'en est rien, car les études menées par les professionnels des routes montrent l'existence d'un impact réel de l'environnement sur le comportement des conducteurs », a souligné Philippe Moussière, en introduction à son propos lors de la 31e Arborencontre de Seine-et-Marne qui s'est tenue le 19 mai dernier à Melun sur le thème « L'arbre dans les villes et villages, pourquoi ? comment ? ». Cependant, l'imaginaire collectif associe plus les arbres de bords de route aux accidents qui peuvent survenir en leur présence qu'à leur impact positif sur le paysage et les conducteurs. Depuis les années 1960, la politique en matière de gestion de ces alignements est allée globalement dans le sens de l'abattage lorsque les plantations se trouvaient proches de la chaussée et qu'un accident grave ou mortel était survenu sur le parcours. Et de citer l'exemple d'une célèbre photo d'Henri Cartier-Bresson immortalisant un alignement situé près de La Ferté-sous-Jouarre et intitulée « La Brie », disparu il y a une trentaine d'années pour ce motif de dangerosité.
« L'accidentologie des routes permet d'analyser les accidents et d'en déterminer les causes, qui sont le plus souvent multiples, dans un système complexe d'interactions. Trois facteurs sont à prendre en compte : le véhicule, l'environnement (route et abords) et le conducteur. Mais ce dernier s'avère le plus souvent un facteur surdéterminant. En effet, de nombreux accidents sont liés à un problème de conduite inadaptée », précise Philippe Moussière. C'est pourquoi, le département de Seine-et-Marne a mené des études visant à mieux comprendre l'influence du paysage sur le comportement de conduite et à proposer des aménagements pouvant avoir un impact positif, apaisant sur celui-ci.
1. LA CONDUITE, UNE HISTOIRE DE CODES
La France est un pays féru de normes et de règles, la conduite n'échappant pas à ce cadre juridique et réglementaire. Le socle de base est constitué par le code de la route qui explicite un certain nombre de règles (vitesse de circulation, modalité de dépassement, priorités...), en partie rappelées sur le terrain, à l'aide de panneaux de dangers ou de signalisation, de marquages au sol et de signaux lumineux. « Il existe aussi un code de lecture qui s'apprend, comme on apprend à lire, et qui permet de développer un comportement de conduite adapté. Avec l'expérience, on ne conduit pas de la même façon sur une route départementale à double sens dans un environnement rural ou sur une voie à grande vitesse à sens unique et disposant de systèmes de sécurité de type glissières. C'est la façon dont on appréhende la chaussée et son environnement, ainsi que notre expérience passée, qui nous donne les clefs de conduite selon la situation. » À partir de cette notion de code de lecture, il faut faire la distinction entre visibilité et lisibilité. La visibilité est associée au regard porté du point de vue fonctionnel. Cette phase d'observation permet de recueillir de l'information sur la nature de la chaussée, la présence d'intersections, de signalisation, d'autres usagers... Vient ensuite une phase d'identification et de compréhension. La lisibilité est associée à la compréhension de la route et de son environnement, à la capacité à donner du sens aux informations observées. Elle permet de donner une image juste de la voie et du comportement qu'il faut avoir face à la situation rencontrée ou prévisible. « Le rôle de l'aménageur et du gestionnaire est de faire en sorte que les usagers trouvent aisément les clefs de compréhension qui vont les aider à s'adapter au contexte, à anticiper les éventuels écueils. »
2. AMÉLIORER LA LISIBILITÉ PAR LA VÉGÉTALISATION
Il existe aussi des codes de lecture dans le domaine du paysage, et la nature de la végétation y joue un rôle prépondérant. Ainsi, les essences, mais aussi la typologie des plantations (distance à la chaussée, écart entre les arbres, rythme) et le mode d'entretien, port libre ou structures architecturées, peuvent renseigner sur la région où l'on se situe ou le type de territoire traversé (secteur rural, zone forestière, entrée de ville, centre-bourg, abords de domaines privés...). « Les plantations d'alignements peuvent aider à matérialiser un tracé sinueux et des virages, à révéler une intersection ou à souligner le relief, par exemple une ligne de crête au niveau de laquelle la route change de direction. Elles peuvent également donner une indication sur le niveau de hiérarchisation de la voie. » C'est dans cet esprit que le département de Seine-et-Marne a choisi d'expérimenter des dispositifs visant à améliorer la sécurité routière à l'entrée des villages et en particulier à favoriser une bonne perception de la transition entre la route et la rue. Il s'agit d'une problématique importante pour ce territoire majoritairement rural dont la population ressent un fort sentiment d'insécurité dans ces zones, car cette transition est souvent mal identifiée par les usagers de la route, avec pour conséquence une réduction de vitesse peu respectée. Pour cela un groupe de travail composé d'ingénieurs et techniciens spécialistes de la route, de paysagistes et d'entreprises a été créé au début des années 2000 pour une période de deux années, avant un développement de la démarche à l'échelon du territoire.
3. RÉPONDRE AUX ENJEUX DE SÉCURITÉ AUX ABORDS DES VILLAGES
« Sur les sections d'approche des bourgs, le principe proposé était d'opérer une réduction visuelle de la surface de la chaussée et de créer par la végétation un effet de paroi, qui réduit le champ de vision. Les objectifs sont de créer une zone de transition qui incite les conducteurs à entamer une procédure de décélération et d'annoncer clairement le changement de statut de la voie (passage de la route à la rue). En outre, un traitement similaire sur différentes communes permet aux usagers d'identifier cet aménagement comme un signal, y compris à l'approche de villages non fréquentés habituellement. Ces principes d'aménagements s'appuient sur des références paysagères très présentes dans le département, à savoir des plantations d'alignements architecturées ou de haies taillées, des structures entretenues régulièrement qui soulignent la présence de l'homme. » La section d'approche s'étend sur une centaine de mètres, le plus souvent en amont du panneau marquant l'entrée de la commune. La réduction visuelle de la chaussée est réalisée par un traitement différencié des parties extérieures de la voie, avec la pose d'un enduit en porphyre de couleur rouge. Celui-ci apporte une information par la couleur, qui contraste avec la chaussée traditionnellement noire et par l'environnement sonore, car la circulation sur cet enduit gravillonné ne produit pas le même son que sur un enrobé lisse. À cela s'ajoute au centre de la chaussée une bande de résine colorée en jaune, parfaitement circulable mais destinée à renforcer l'effet visuel de réduction de la chaussée. Cette section est accompagnée de haies basses (1 m/1,20 m) taillées et lorsque la place sur les accotements le permet de plantations d'arbres d'alignements, assorties si besoin de glissières de sécurités positionnées juste derrière la haie. L'ensemble de cette zone est assortie d'une limitation de vitesse à 70 km/h.
4. ÉVALUER LA LISIBILITÉ DES DISPOSITIFS
Pour conforter l'intérêt de ces dispositifs, la direction des routes a d'abord mis en place une expérimentation sur cinq sites, assortie d'un cadre méthodologique permettant d'analyser a posteriori les effets produits par rapport aux objectifs attendus. Cette évaluation s'est appuyée à la fois sur des mesures objectives, telles que le comptage du trafic, l'analyse des vitesses des véhicules (avant et après aménagement, mesure de la cinétique du déplacement) ou de l'évolution du positionnement des usagers sur la voie, mais également sur des observations du comportement des conducteurs (observateur embarqué à côté du conducteur), leur ressenti ainsi que celui des personnes concernées (associations de prévention routière, moniteurs d'auto-école, forces de l'ordre, professionnels de l'aménagement, riverains), au travers d'enquêtes de terrain. Elle comprenait également un diagnostic sur l'aménagement, du point de vue de sa qualité et de sa durabilité.
« Dans le sens "vers le village", les résultats ont montré une réduction de la vitesse au niveau du dispositif de 20 km/h de la V85 (vitesse maximale en dessous de laquelle roulent 85 % des usagers) avec un maintien dans le temps de cette baisse (recul de dix ans aujourd'hui). Cet abaissement de la vitesse est deux fois supérieur à celui observé dans une entrée classique. En secteur d'approche du dispositif, la vitesse est quant à elle réduite de 25 km/h. À noter que la vitesse dans l'agglomération reste souvent supérieure à la vitesse réglementaire, lorsque le dispositif n'est pas suivi d'un aménagement au coeur du bourg », précise Philippe Moussière.
5. UNE DÉMARCHE À ADAPTER AU CONTEXTE URBAIN.
Du point de vue de la perception de l'aménagement, 33 % des personnes se rappellent spontanément de celui-ci et 67 % manifestent une attention accrue à son approche. Les professionnels interrogés semblent avoir un avis convergent positif sur l'intérêt d'un tel dispositif en termes de lisibilité. Il offre en effet l'avantage d'être réalisable pour un coût d'investissement raisonnable et d'avoir recours à des techniques de mise en oeuvre simples et maîtrisées. Il nécessite toutefois, pour assurer la gestion des plantations, de mettre en place des compétences, ainsi qu'une organisation et des procédures spécifiques.
Depuis 2004, le département a réalisé chaque année de dix à vingt aménagements de ce type sur le territoire. En outre, il a reçu le Prix des écharpes d'or de la sécurité routière, organisé chaque année par l'association Prévention routière.
« Cette démarche d'analyse et de traitement de l'environnement a été développée dans un contexte de routes départementales hors agglomération, mais elle peut tout à fait se mettre en place dans un contexte citadin avec une adaptation de l'aménagement en fonction de la situation, selon que l'on se situe sur un boulevard urbain, qui accueille différents modes de déplacements, ou sur une voirie secondaire, dans une zone pavillonnaire qui demande une circulation apaisée », conclut Philippe Moussière.
Yaël Haddad
... ou souligner un virage, comme ici à proximité de Montereau, pour que le conducteur puisse adapter son comportement. PHOTO : CONSEIL DÉPARTEMENTAL 77
Aménagées, les sections d'approche fonctionnent sur le même principe : modification visuelle de la chaussée par la mise en place d'une bande claire (jaune ou blanche) au centre et d'un enduit en porphyre rouge de part et d'autre, associé à la plantation d'arbres ou de haies. PHOTO : CONSEIL DÉPARTEMENTAL 77
Ci-dessus, à gauche, un accotement suffisamment large a permis d'intégrer un cheminement piéton derrière la plantation. PHOTO : CONSEIL DÉPARTEMENTAL 77
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