Dépendances vertes des infrastructures linéaires : quel désherbage ?
La conférence organisée par l'Association française de protection des plantes, qui s'est déroulée en octobre dernier à Toulouse (31), a dressé un tableau des problématiques d'entretien des espaces végétalisés. Focus sur la gestion des dépendances vertes le long des routes et des autres infrastructures linéaires.
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Comme les parcs, jardins ou forêts, les dépendances vertes des infrastructures routières font face à l'évolution de la réglementation vers une réduction de l'emploi des produits phytosanitaires. Mais si la question « Faut-il désherber ? » se pose désormais pour certains espaces verts, elle est moins évidente pour ces zones soumises à d'autres contraintes qu'esthétiques. Elles doivent en effet optimiser la lisibilité de la route, maintenir la visibilité de la signalisation routière, réduire l'exposition au danger des agents techniques... Leur entretien doit s'effectuer rapidement, pour répondre aux contraintes de trafic et de sécurité.
Les autres dépendances vertes d'infrastructures linéaires (autoroutes mais aussi rails, voies navigables, réseaux électriques, réseaux de gaz) sont également soumises à des contraintes liées à la sécurité des personnes (accès, circulation, maîtrise des risques d'incendie et électriques, visibilité...) et au maintien en fonctionnement des ouvrages (maîtrise du développement d'espèces ligneuses, maintenance...). Dans ces conditions, quelles solutions sont mises en oeuvre pour limiter l'enherbement ?
1. LIMITER L'IMPACT ÉCOLOGIQUE
Les gestionnaires d'infrastructures cherchent à favoriser une gestion raisonnée des dépendances vertes en diminuant l'usage des produits phytosanitaires conventionnels. Depuis plus de vingt-cinq ans, les techniques de gestion différenciée se développent sur ces espaces. L'entretien des voiries par les gestionnaires va d'autant plus se compliquer, que l'usage des produits phytosanitaires leur sera interdit dès le 1er janvier 2017 (loi de transition énergétique pour la croissance verte), hors produits de biocontrôle (*), produits UAB (utilisables en agriculture biologique) ou à faibles risques. Leur emploi restera toutefois autorisé « dans les zones étroites ou difficiles d'accès, telles que les bretelles, échangeurs, terre-pleins centraux et ouvrages, dans la mesure où leur interdiction ne peut être envisagée pour des raisons de sécurité des personnels chargés de l'entretien et de l'exploitation ou des usagers de la route, ou si l'interdiction entraîne des sujétions disproportionnées sur l'exploitation routière ».
En ce qui concerne les autres dépendances vertes (autoroute, rail, électricité...), leurs gestionnaires expérimentent depuis 2010 des solutions de maîtrise de la végétation permettant de diminuer le recours aux produits phytopharmaceutiques. Il s'agit de répondre aux attentes réglementaires et sociétales, et de faire face à la baisse de disponibilité des produits phytopharmaceutiques. Néanmoins, « certains gestionnaires sont confrontés à des impasses techniques et ne peuvent actuellement entretenir qu'en désherbage chimique (...) », explique Étienne Cuenot (Autoroutes Paris Rhin Rhône, membre du Club infrastructures linéaires et biodiversité CILB). « Aucune technique alternative n'y est applicable pour des raisons diverses (circulation de trains, risques explosifs ou électriques, accidents du travail...). »
2. LE FAUCHAGE AVEC EXPORTATION À L'ÉTUDE
Des équipements de fauchage avec exportation permettent aujourd'hui de ramasser l'herbe des bords de route et ainsi de valoriser énergétiquement cette biomasse comme substrat de méthanisation. Le matériel, spécifique, comporte un système de fauche broyage classique combiné à un système d'aspiration et un caisson de ramassage. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement Ouest (Cerema Ouest) mène depuis 2015 un suivi expérimental de ce système sur les dépendances vertes de la Direction interdépartementale des routes Ouest (DIR Ouest). Objectif de ce programme d'une durée de quatre ans : vérifier les intérêts et limites du fauchage avec exportation par rapport à la fauche classique (coûts d'entretien, organisation, sécurité, impacts sur l'eutrophisation, la biodiversité, l'évolution des espèces exotiques envahissantes et patrimoniales...).
« Le fauchage avec exportation est une technique de gestion différenciée récente et son impact sur l'évolution des communautés végétales à long terme n'a été que peu étudié jusqu'à aujourd'hui », explique Christophe Pineau, du Cerema Ouest.
Augmentation de la diversité spécifique
Le protocole de suivi mis en place en 2016 et sa répétitivité sur plusieurs années doit permettre d'étudier la cinétique d'évolution des populations végétales. D'ores et déjà, « les expérimentations menées sur le réseau de la DIR Ouest permettent d'évaluer la productivité des végétations herbacées à 5 t de matières brutes par hectare en moyenne ». Un autre constat reste à vérifier : le broyage des végétaux une à trois fois par an sur certains secteurs sans exportation participe à l'enrichissement progressif du sol en azote. Cette richesse favorise certaines plantes peu spécifiques et peu de mellifères : graminées, orties... Selon les quelques suivis disponibles, le fauchage avec exportation semblerait favorable à la diversification du couvert herbacé et entraînerait à terme la diminution de la biomasse végétale produite.
3. AUGMENTER LA BIODIVERSITÉ
Outre le fauchage avec exportation, différentes techniques de gestion sont susceptibles de faire évoluer les couverts végétaux des dépendances routières : la date, la fréquence, la hauteur ou le type d'outil de fauche. Par exemple, adapter la date d'entretien laisse la possibilité aux espèces animales et végétales de réaliser leur cycle de vie et ainsi d'utiliser divers milieux au gré de la saison. Le passage d'une hauteur de fauche broyage de 5-7 cm à 12 cm entraîne des économies de carburant et de matériel, augmente la sécurisation des opérations d'entretien (limitation des projections), favorise la faune du sol et modifie dans le temps la flore.
4. TESTER LES TECHNIQUES ALTERNATIVES
« Des pratiques innovantes et prometteuses de gestion différenciée et d'entretien non chimique apparaissent, mais aucune, aujourd'hui, ne constitue une solution alternative idéale et générique adaptée aux contraintes des industriels », affirme Étienne Cuenot. La mise en oeuvre de modes de gestion innovants passe au préalable par la mise en place d'une planification et d'un suivi, essentiels pour connaître les pratiques, identifier les axes d'amélioration et au final faire évoluer les techniques. Par exemple, SNCF Réseau élabore des schémas directeurs de maîtrise de la végétation : état des lieux de la végétation en place, évolution dans le temps, priorités à traiter... Les interventions en urgence disparaissent au profit d'interventions régulières et raisonnées. RTE (Réseau de transport d´électricité)réalise un bilan annuel des utilisations de produits phytopharmaceutiques.
Solutions préventives de gestion
Côté géotextiles, « de manière générale, leur pose demande une intervention dédiée, assez lourde et coûteuse sans garantie de la résistance et de la durée de vie », indique le CILB, concluant à une généralisation difficile. Toutefois, un partenariat visant à tester des matériaux permettant de contenir la renouée du Japon est en cours d'élaboration.
Les solutions de paillage minéral, associées à un géotextile et à une couche de graviers drainants, donnent de bons résultats lorsque le matériau est propre et soigneusement mis en place. « En revanche, le coût du matériau et les difficultés d'approvisionnement, selon les régions, ne permettent pas la généralisation de la technique à l'heure actuelle. » Le paillage végétal, plus couramment utilisé aux abords des voies navigables et autoroutes, permet une valorisation in situ des déchets de taille, avec « un bel aspect esthétique et une bonne stabilité au vent ».
Sous les postes électriques, différents semis végétaux testés donnent des résultats satisfaisants : un entretien réduit (1 à 2 fauches annuelles) permet de maintenir une hauteur contrôlée et empêche le développement de végétaux indésirables, à coûts maîtrisés. Outre leur valeur ornementale, ils constituent de véritables réserves de biodiversité. « Cette solution n'est cependant pas compatible en l'état avec les zones les plus contraignantes des postes électriques, sous les appareils de transformation à haute tension et à proximité immédiate des canalisations de gaz du fait du risque de propagation d'incendie. »
Solutions curatives non chimiques
Pour le CILB, l'écopâturage s'avère efficace lorsque les espèces et le nombre d'animaux sont adaptés. « Il nécessite cependant des aménagements (clôtures, abreuvoirs, abris), une surveillance renforcée et peut avoir un coût important. Cette solution n'est pas intéressante sur les faibles surfaces et difficile voire impossible dans certaines zones très contraignantes (...) en raison des dangers pour les animaux, pour la sécurité du trafic et des difficultés d'accès pour les bergers. »
Efficaces, les techniques mécaniques testées (binette, hersage, ratissage du gravier, brossage, soufflage, eau à haute pression) sont chronophages, coûteuses et souvent pénibles pour les opérateurs. La brosse métallique associée à une balayeuse aspiratrice trouve son utilité sur les surfaces imperméables des autoroutes. Sur les surfaces gravillonnées stabilisées, Voies navigables de France (VNF) utilise régulièrement le hersage.
Concernant les techniques thermiques (eau chaude additionnée de mousse biodégradable Waipuna, flamme directe, infrarouge, eau chaude et vapeur d'eau), consommatrices en eau, en énergies fossiles et émettrices de CO2, elles ne sont pas adaptées aux contraintes d'exploitation des linéaires ferroviaires et autoroutiers. Elles seront utilisées au cas par cas. Ainsi VNF a adopté le désherbage à vapeur d'eau, efficace sur les surfaces imperméables.
Valérie Vidril
(*) La liste officielle a été publiée le 3 novembre dernier dans une note de service de la DGAL-SDQSPV.
À lui seul, le domaine public fluvial représente 40 000 ha à entretenir : 6 700 km de fleuves, rivières et canaux, et près de 4 000 ouvrages d'art (écluses, pentes d'eau, barrages...). PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Le fauchage regroupe l'ensemble des opérations consistant à réduire la hauteur de l'herbe et à supprimer les espèces ligneuses : coupe, broyage, et évacuation éventuelle des déchets. L'exportation des résidus de fauche permettrait d'obtenir une plus grande diversité floristique et une croissance ralentie de la végétation. PHOTO : CHRISTOPHE PINEAU, CEREMA OUEST
La France compte environ 30 000 km de lignes ferroviaires, soit 95 000 ha de dépendances à entretenir. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
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