Problèmes phytosanitaires en milieux urbains : bien les connaître pour mieux les maîtriser
Le challenge des gestionnaires d'espaces verts est de prémunir les plantations de toute atteinte, en réduisant l'usage des pesticides. L'efficience des méthodes de protection intégrée repose sur une bonne connaissance des problèmes phytosanitaires.
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Préserver la vitalité, la fonctionnalité et la durabilité des plantations est l'une des principales préoccupations des gestionnaires de parcs et jardins en zones urbaines. C'est ainsi que ces végétaux assurent au mieux leurs vocations écologique, sociale, esthétique, urbanistique, touristique ou encore climatique. Mais sans un minimum de bonnes pratiques culturales et de connaissances phytosanitaires, les efforts consentis pour entretenir le patrimoine végétal se soldent souvent par des résultats aléatoires, voire décevants et inutilement coûteux. La réussite de la protection intégrée dépend en grande partie de la compréhension des mécanismes d'altération des végétaux. Plus encore, cette stratégie phytosanitaire en ville doit être considérée dans son ensemble, en tenant compte des relations entre les plantes cultivées et leur environnement urbain, certains facteurs de dépérissement étant d'origine parasitaire (biotiques) et d'autres non (abiotiques). C'est la raison pour laquelle, les prestataires de services en lutte biologique (Koppert, Biobest...) forment et accompagnent des correspondants au sein des services techniques municipaux. Les données acquises renforcent l'efficacité des mesures de biocontrôle mises en oeuvre.
Agir avec des alternatives aux traitements chimiques
La loi n° 2014-110 du 6 février 2014, dite loi Labbé, amendée le 18 août 2015 dans le cadre de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, sera applicable au 1er janvier 2017. Cette nouvelle législation interdit aux personnes publiques d'utiliser ou de faire utiliser des produits phytosanitaires, hors produits de biocontrôle (liste officielle établie par l'autorité administrative de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), produits utilisables en agriculture biologique (AB) ou produits à faibles risques (au sens du règlement CE 1107/2009) pour l'entretien des espaces verts, promenades ou forêts accessibles ou ouverts au public, et relevant de leur domaine public ou privé. Ne sont pas concernés : les zones privées (par exemple, les sites industriels) et les zones publiques telles que les cimetières, les terrains de sports ; les voiries dans les zones étroites ou difficiles d'accès (bretelles, échangeurs, terre-pleins centraux et ouvrages), dans la mesure où l'interdiction ne peut être envisagée pour des raisons de sécurité des personnels chargés de l'entretien et de l'exploitation ou des usagers de la route, ou entraîne des sujétions disproportionnées sur l'exploitation routière. L'interdiction ne s'applique pas non plus aux traitements et mesures nécessaires à la destruction et à la prévention de la propagation des organismes nuisibles réglementés, soumis à des mesures de lutte obligatoire.
Les responsables d'espaces verts se tournent donc vers les méthodes alternatives aux traitements chimiques de synthèse, associées à des mesures culturales et prophylactiques. C'est ainsi que l'amélioration physico-chimique et biologique du sol, l'irrigation localisée, la protection physique des troncs ou l'élagage raisonné des arbres, de même que l'utilisation des nématodes entomopathogènes, des chrysopes ou des acariens prédateurs prennent le pas dans de nombreuses agglomérations sur les plantations inadaptées, les tailles drastiques et les traitements systématiques d'assurance. Cette démarche est particulièrement effective au sein des communes engagées dans un objectif « zéro pesticide » ou, plus récemment, celles labellisées EcoJardin (1).
Se former à observer, détecter et reconnaître les symptômes
Cette nouvelle législation phytosanitaire qui favorise le biocontrôle implique le maintien, voire le renforcement, des compétences phytosanitaires des agents de terrains. En effet la protection intégrée n'a d'efficacité probante que si elle prend en compte la symptomatologie (dégâts), la biologie (cycles de développement) et l'épidémiologie (modes de développement) des organismes nuisibles les plus préoccupants. Certains jardiniers observent régulièrement les plantes des parcs et jardins à l'aide de protocoles d'épidémiosurveillance simplifiés (2). En complément, la lecture de revues techniques, des bulletins de santé du végétal (BSV) et d'ouvrages de référence, contribue activement à une bonne gestion phytosanitaire des plantations en milieux urbains. Par exemple, le Guide d'observation et de suivi des organismes nuisibles en zones non agricoles, réalisé en 2011 par Plante & Cité sous le pilotage du ministère de l'Agriculture, présente la démarche de diagnostic et rassemble des fiches d'observation et de suivi par bioagresseur. Il est téléchargeable sur www.ecophytozna-pro.fr. Les ouvrages Guide écologique du gazon (2011), Cultiver et soigner les arbres (2014) et Cultiver et soigner les arbustes, aux éditions Sang de la terre et Eyrolles, proposent des fiches phytosanitaires détaillées et des méthodes de gestion écologique par culture.
Des repères biologiques indispensables au biocontrôle
Une bonne connaissance des bioagresseurs est d'autant plus nécessaire que de nombreux moyens de biocontrôle sont spécifiques ou peu polyvalents : par exemple, le piégeage phéromonal des insectes ravageurs (processionnaire du pin, mineuse du marronnier, pyrale du buis, charançon ferrugineux des palmiers...), les hyménoptères parasitoïdes de cochenilles ou le Bacillus thuringiensis ssp. kurstaki contre les chenilles défoliatrices. Cela dit, certains produits biologiques comme les stimulateurs de défenses naturelles (SDN) des plantes ciblent plusieurs maladies à la fois. Par exemple, les préparations à base de Bacillus subtilis str QST 713 sont autorisées pour le traitement des parties aériennes des plantes d'ornement contre les bactérioses, les oïdiums et la pourriture grise à Botrytis cinerea. Pour être efficaces, ces produits doivent être appliqués avant les contaminations et l'apparition des symptômes. Leur utilisation est donc optimisée grâce à une bonne perception de la biologie des pathogènes ciblés.
Inventorier les principaux risques phytosanitaires
Pour gérer au mieux les risques phytosanitaires en milieux urbains, il est judicieux d'inventorier dans chaque commune l'ensemble des affections pouvant se manifester. Ce recensement est géoréférencé et actualisé au moins une fois par an. Il peut être réalisé sous la forme d'un tableau synthétique des couples « végétal cultivé/causes abiotiques ou bioagresseurs », comprenant les principaux facteurs de risque environnementaux, biologiques et épidémiologiques. Il peut également être adapté au découpage des secteurs ou quartiers préétablis pour l'entretien des parcs et jardins. Le responsable des espaces verts dispose ainsi d'un outil d'aide à la surveillance et à la gestion des risques, comprenantdes données clés pour planifier au plus juste les interventions jugées indispensables.
Établir des seuils de nuisance et hiérarchiser les problèmes
Chaque gestionnaire d'espaces verts doit maintenir les nuisances phytosanitaires à un niveau acceptable, au-dessous d'un seuil indicatif de risque. Pour les bulletins de santé du végétal (BSV), ce dernier est défini comme le « seuil à partir duquel des mesures de protection peuvent être mises en oeuvre » ; il est établi à un instant donné, pour un territoire et dans un contexte défini. Si l'on prend le cas des feuilles mortes qui tombent au sol en été à cause d'une attaque d'anthracnose, d'oïdium ou encore de tigre du platane, le seuil de risque dépendra de la nuisance esthétique acceptable, de l'impact potentiel des parasites sur les plantations, de la gêne occasionnée aux citadins (risque de glissade sur les places et les trottoirs en cas de pluie par exemple) et des coûts d'entretien correspondants (balayage ou soufflage des feuilles, ramassage régulier, compostage).
Les professionnels du paysage ont donc intérêt à hiérarchiser les problèmes phytosanitaires dans le cadre d'une gestion différenciée. Ce dispositif permet de ne pas appliquer à tous les espaces la même intensité ni la même nature de soins, selon différents critères d'appréciation (niveau de fréquentation par le public, esthétique requise, valeur des lieux...). Il en résulte des priorités de surveillance et d'entretien des plantations.
La hiérarchisation des risques phytosanitaires est parfois révisée au fil des années selon les évolutions sociétales et les politiques d'aménagement de la ville, mais également à cause de l'arrivée sur le territoire de nouveaux bioagresseurs qui trouvent dans les zones urbaines des niches écologiques de prédilection pour se développer, y compris des espèces d'origine tropicale ou subtropicale profitant des températures relativement clémentes et constantes des agglomérations. C'est le cas du charançon ferrugineux des palmiers (Rhynchophorus ferrugineus) et du papillon palmivore argentin (Paysandisia archon), introduits en France au cours des années 2000, qui ont entraîné un nombre élevé d'interventions pour protéger les sujets cultivés dans les localités des régions méditerranéennes. Autre exemple, les bioagresseurs émergents du buis en France, la cylindrocladiose (Cylindrocladium buxicola) depuis 2006 et la pyrale (Cydalima [= Glyphodes] perspectalis) depuis 2008, mobilisent davantage les gestionnaires d'espaces verts publics sur la préservation de ces arbustes, particulièrement valorisés aux abords des monuments historiques et dans les jardins d'ornement, longtemps considérés comme des espèces rustiques peu concernées par les atteintes parasitaires.
(1) Outil de gestion écologique pour les collectivités, les entrepreneurs du paysage et les établissements de formation, coordonné par Plante & Cité, s'inscrivant dans le plan Ecophyto.
(2) Voir le Lien horticole n° 850, Risques phytosanitaires en espaces verts : une analyse s'impose, pp. 12-13.
Jérôme Jullien
Cylindrocladiose du buis. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Symptôme de sécheresse sur marronnier. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Cochenilles femelles lécanines. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
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