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Distribution de végétaux en ville : l'agriculture urbaine en modèle ?

En coeur de ville, ici, à Philadelphie (États-Unis), les micro-fermes deviennent progressivement de véritables « hubs » urbains de centralisation et de vente des produits. Si la part de la production est souvent faible, leur localisation stratégique offre une belle opportunité pour populariser le savoir-faire horticole.PHOTO : ÉLISE FARGETTON

L'agriculture urbaine est une source d'inspiration pour les nouveaux modes de distribution vers les citadins. Car elle montre qu'inventer d'autres voies est possible et parce que les démarches ont un objectif commun : raccourcir les circuits.

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Le jardinier urbain amateur s'intéresse de plus en plus à l'origine des végétaux et à leur lieu de production. Ils sont plus de 71 % à attacher de l'importance au fait que les végétaux qu'ils achètent soient produits dans leur région (1) ! À la manière des locavores, en quête d'aliments produits à l'échelle régionale, les jardiniers urbains sont sensibles à une approche territoriale de leur approvisionnement en plantes. Face à ce constat, comment réagit la filière ?

À l'instar de la marque Plantes d'Île-de-France qui rassemble les producteurs situés dans la région parisienne, des labels et marques de végétaux produits localement font leur apparition. Face à la concurrence internationale, les producteurs de végétaux français jouent donc la carte de la proximité aux consommateurs. À l'échelle de la production française, le label Fleurs de France est l'une des figures de proue du végétal produit en France. Mais pour trouver des végétaux, jeunes plants ou plantes en pots produits à côté de chez soi, l'une des solutions est de se fournir directement chez les producteurs. En France, les ventes locales dans un rayon de 10 km autour de l'exploitation sont les premières sources de revenu pour les producteurs (2). Il y a donc un vrai marché existant et une volonté forte de consommation locale et directe de végétaux. C'est sans compter sur les stratégies de regroupement de producteurs à l'échelle régionale qui apportent également des solutions, notamment pour capter les marchés publics urbains. Ainsi, les groupements d'intérêt économique, ou GIE, sont des solutions adoptées par certains producteurs pour valoriser leur savoir-faire et pour offrir des prix compétitifs.

Une tendance qui reste un défi

La filière s'organise déjà pour conquérir le marché urbain, tant celui du particulier que celui des marchés publics et on assiste à l'esquisse d'un rapprochement entre les horticulteurs et les pépiniéristes avec les consommateurs citadins. Mais cette tendance représente un défi. L'analyse d'une soixantaine de points de vente à destination des jardiniers urbains amateurs en région parisienne a permis de conclure qu'il n'est pas toujours aisé de trouver des végétaux produits localement (2). L'ensemble des jardineries proposent des gammes très diversifiées et sont placées sur le marché du jardin urbain. Mais la grande majorité des végétaux vendus est issue de producteurs situés hors de France, et la mention de végétal produit localement est assez rarement présente, comme chez les fleuristes.

Sur les marchés de plein air, l'origine française est déjà plus présente mais en revanche, l'origine locale a été très peu observée. Il reste donc du chemin à parcourir avant que les citadins aient facilement accès aux végétaux produits dans leur région. Cependant, il existe de nouvelles pistes, encore pionnières, pour favoriser l'achat local via d'autres modes de distribution.

Sites internet et jardineries de quartier, nouveaux eldorados ?

Des sites internet se tournent vers la mise en relation directe entre producteurs et consommateurs. En plus de faciliter la recherche rigoureuse de plantes à partir de critères professionnels, le site Floriscope.io souhaite valoriser la filière de production de végétal en France. Lorsque l'utilisateur sélectionnera un taxon, il pourra bientôt visualiser les producteurs qui le cultivent autour de chez lui. Dans la même lignée, mygardenmap.com, encore en construction, se veut plus collaboratif sur le partage des savoirs et des techniques de culture. Ses créateurs souhaitent que producteurs et revendeurs de plantes soient clairement identifiés sur une carte interactive. Conscient que les consommateurs sont aussi avides d'échanges et de troc en matière de végétal, un site québécois, PlantCatching.com, qui rassemble 4 500 inscrits, propose de trouver des végétaux près de chez soi, mais aussi de donner ou troquer les plantes en surplus. D'une manière simple, le jardinier indique le type de plantes et le lieu où venir les chercher, libre ensuite à n'importe quel jardinier d'aller les récupérer puis de laisser un commentaire sur internet.

Les villes voient aussi se développer des jardineries dédiées exclusivement aux urbains... Ces nouveaux lieux sont de véritables concentrés d'innovations. À Nantes (44), la jardinerie urbaine et créative Jane (voir le Lien horticole n° 1028 du 20 septembre, p. 12) vend des végétaux adaptés à une culture en pot pour balcons et terrasses. Des terrariums, des kokedamas, du petit mobilier et des outils au design travaillé sont également à la vente. Pour satisfaire la demande, des ateliers pédagogiques sont régulièrement proposés. Sur le modèle des épiceries locales de fruits et légumes bio, la filière locale de production de végétal est valorisée. L'essentiel des plantes provient de producteurs de la région. Et ils ne manquent pas ! Même les orchidées, habituellement produites en Hollande, proviennent d'une exploitation nantaise. La mise en valeur des professionnels français, aux coûts de production plus élevés, permet donc de vendre à un prix juste et de favoriser l'économie locale. Pour trouver des initiatives encore plus innovantes, il faut se tourner vers les projets d'agriculture urbaine. Ils révolutionnent les modes de distribution en réimplantant la production au coeur de la ville, faisant d'elle un outil multifonctionnel au service des citadins.

Vers une production horticole en milieu urbain

Les actions de production et de dissémination de végétaux en ville, telles des pépinières urbaines, se font très souvent de manière participative. Le végétal devient alors 2.0, coproduit et cogéré entre le producteur et les citadins. Si au Japon, l'arrondissement de Nerima, à Tokyo, fait office de figure de proue, en France, l'exemple de Pépins Production (3) est éloquent. Cette association de six personnes produit et commercialise des végétaux en pot au coeur de la ville. Pour les membres de ce collectif, l'installation de pépinières de quartier s'effectue nécessairement avec les habitants et les acteurs locaux. Ainsi, la Ville de Paris a soutenu ce projet en mettant à disposition gracieusement un terrain de 850 m2, situé dans un jardin public du XXe arrondissement. L'association dispose en outre d'un autre lieu de production sur le site des Grands Voisins, dans le XIVe arrondissement. Leur ouverture sur la ville, notamment via les écoles, en fait des espaces innovants de démonstration de savoir-faire sur la multiplication des plantes et de renforcement de la cohésion sociale. Des formations pratiques sont aussi proposées à destination des particuliers. Les producteurs pépiniéristes locaux sont également à l'honneur puisque cette association se fournit en jeunes plants de vivaces chez certains d'entre eux. En proposant des végétaux produits ultra-localement de manière pédagogique et écologique, puisque aucun intrant chimique n'est utilisé, cette initiative s'inscrit dans l'air du temps et des inspirations citadines. Pour preuve, le projet a été lauréat du programme d'investissements d'avenir Ville de demain. En novembre 2016, Pépins Production a aussi remporté deux sites de l'appel à projets de végétalisation de toitures Parisculteurs, organisé par la Ville de Paris. L'association comptera donc d'ici à 2018 deux autres lieux de production, conçus et fabriqués de manière participative et ponctuellement ouverts au public. Cette initiative est une belle démonstration que la production et la distribution de végétaux en coeur de ville est d'actualité et qu'elle interpelle les citadins. En Europe, on compte d'autres exemples similaires comme La Pousse Qui Pousse dans la région Bruxelles-Capitale (Belgique), Annalinde à Leipzig (Allemagne), ou La pépinière des jardins collectifs de Miraflores à Séville (Espagne). Ensemble, ils constituent d'inspirants outils pour populariser la profession auprès des citadins tant désireux de nature au quotidien.

Retisser les liens entre producteurs et consommateurs

Plus professionnelles, démonstratives de savoir-faire et centralisatrices de produits issus des périphéries urbaines, les micro-fermes urbaines professionnelles pourraient être les clés pour le développement d'une horticulture urbaine retrouvée. Certaines offrent déjà des formations à la culture horticole et retissent les liens distendus entre consommateurs et producteurs. Comme de petites jardineries urbaines qui auto-produisent une partie de leurs végétaux, ces « hubs » (points centraux d'une organisation logistique) horticoles intra-urbains axent leur stratégie commerciale sur l'art de cultiver et de multiplier les plantes pour ensuite les vendre en direct. L'une des plus emblématiques se situe à Philadelphie, aux États-Unis, sur un ancien parking délaissé. Contrastant avec le bitume et les véhicules, un foisonnement d'arbres et de fleurs encadre ce site unique de 5 000 m2. Fondée en 1997, la micro-ferme urbaine Greensgrow Farms était alors une nouveauté. Elle est progressivement devenue un espace composite, entre ferme de production démonstrative et pédagogique, jardinerie de quartier, et point de vente de produits locaux. Aujourd'hui, trois serres de 200 m2 chacune servent à la production maraîchère, deux autres d'espace de vente original et plus ponctuellement pour l'accueil d'évènements, comme des mariages. Si les producteurs horticoles et pépiniéristes locaux sont privilégiés (plus de 70 % des produits), il n'en demeure pas moins que certains végétaux dont raffolent les urbains, comme les agrumes ou les cactus, viennent de plus loin. Bien consciente que l'achat de plantes ne se résume pas au végétal lui-même, la micro-ferme propose en outre des gammes de pots, d'outillages, ou de substrats à des prix convenables..., évitant ainsi la fuite de clients qui voudraient se rendre dans les grandes surfaces avoisinantes. Cette structure a su trouver une relative autonomie financière car elle génère environ 75 % de ses revenus, le reste provenant de subventions pour les ateliers de sensibilisation. Aujourd'hui, son chiffre d'affaires annuel approche les deux millions de dollars. Au total, près de quinze personnes, toutes formées à l'animation et rémunérées avec un salaire décent, et non minimal, travaillent en ces lieux. C'est principalement sa stratégie de diversification, via notamment son rôle de « hub » urbain capable de centraliser des produits périurbains qui lui offre sa pérennité. Lorsque la demande a évolué, elle a su muter, et continuera de le faire.

Faire de la proximité à la ville un atout

Force est de constater que les producteurs horticoles et les pépiniéristes, que l'on peut considérer pour la plupart comme déjà agriculteurs urbains, peuvent mettre à profit la proximité à la ville pour développer de nouveaux produits et services. Entre l'implantation d'une petite exploitation en centre-ville, sur une friche ou sur une toiture, à des fins démonstratives, pédagogiques et commerciales, ou la création de réseaux locaux de producteurs pour pourvoir à la demande des paysagistes et des jardiniers, les pépiniéristes et les horticulteurs sont aujourd'hui bien placés pour retisser des liens étroits avec les citadins. À l'image des micro-fermes urbaines, ces producteurs proches des villes sont amenés à évoluer pour répondre aux demandes. La multifonctionnalité offerte par bon nombre d'agriculteurs urbains est sans doute une voie à suivre.

Guillaume Morel-Chevillet, responsable végétal urbain, à Astredhor

(1) Enquête réalisée par TNS Sofres pour Val'hor à l'occasion de Jardins, Jardin aux Tuileries, en mai 2014. Attentes des jardiniers urbains : Quels végétaux ? Quelles prestations ? (2) Observatoire des données structurelles des entreprises de production de l'horticulture et de la pépinière ornementale, édition septembre 2016, FranceAgriMer. (3) https://www.pepinsproduction.fr

Local Pour le jardinier urbain amateur à la recherche de production locale pour son jardin, le label Fleurs de France est un moyen sûr d'acheter des végétaux issus d'une production française.

PHOTO : ETS HORTICOLES DU CANNEETH

Urbain À Paris, la pépinière de quartier Pépins Production, en plus de produire et de distribuer des végétaux à destination des jardiniers urbains, offre des formations et des ateliers de sensibilisation à la production horticole.

PHOTO :PÉPINS PRODUCTION

Connecté Au Québec, le troc de plantes entre citadins est dynamisé grâce à internet.

PHOTO : PLANTCATCHING.COM

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