Le fléau des mille chancres du noyer est à nos portes
Depuis leur premier signalement dans le nord-est de l'Italie à l'automne 2013, la maladie des mille chancres du noyer et son scolyte vecteur menacent sérieusement les pépinières, les vergers, les espaces verts et les forêts françaises. Une surveillance collective s'impose.
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La première fois que cette redoutable maladie des mille chancres du noyer (Geosmithia morbida) a été détectée sur notre continent, c'était en Italie en novembre 2013, dans la plaine du Pô (région de Vénétie), sur quelques noyers noirs d'Amérique (Juglans nigra). Les sujets atteints se situaient, pour les plus jeunes âgés de 15 ans, dans une noyeraie destinée à la production de bois, et pour les plus vieux de 80 ans, dans un jardin privé. Ces signalements ont interpellé d'emblée les autorités phytosanitaires européennes (*) qui ont inscrit le champignon sur une liste d'alerte. Malgré cette disposition, le complexe parasitaire « scolyte-chancres » est devenu endémique dans cette région. Face à la menace qu'il représente, la Commission européenne a demandé une analyse officielle de risques, notamment pour mieux contrôler la circulation du matériel végétal sensible. En France métropolitaine, compte tenu de l'importance des noyers, une surveillance collective s'impose pour agir le cas échéant, de façon réactive, concertée et efficace.
1. UNE MALADIE CONNUE AUX ÉTATS-UNIS. Jusqu'à ces détections en Europe, la maladie des mille chancres du noyer n'avait été mise en évidence officiellement qu'aux États-Unis sur J.nigra depuis le milieu des années 1990. En 2008, elle a été identifiée comme la combinaison de dégâts d'alimentation du scolyte du noyer Pityophthorus juglandis (coléoptère xylophage) et d'évolution ultérieure de chancres autour des galeries causées par l'insecte. La maladie est maintenant répandue dans les États occidentaux des États-Unis, causant une mortalité massive de J.nigra et dans une moindre mesure d'autres espèces ou hybrides de noyers (J.californica, J.hindsii, J.cinerea, J.regia, J.regia x J.hindsii). Elle s'est aussi établie dans plusieurs États de la partie orientale des États-Unis où J. nigra est une espèce indigène. En Europe, les risques concernent surtout J. nigra et J. regia. Les études américaines de sensibilité ont montré que toutes les espèces de noyer testées étaient exposées aux mille chancres, mais à différents degrés de sensibilité. Dans ces expériences, J.nigra était l'espèce la plus vulnérable et J.regia s'est avéré plus ou moins sensible selon les tests.
2. REPÉRER LES SYMPTÔMES. Le feuillage des arbres atteints jaunit avant de flétrir. Il s'ensuit un dépérissement progressif de la branche infectée et un rétrécissement de la couronne. Un examen attentif de la surface de l'écorce révèle des orifices d'entrée et de sortie de scolytes adultes. Une multitude de petits chancres humides et foncés se trouve alors à proximité de ces trous. Après l'enlèvement de l'écorce des zones chancreuses, on observe des galeries de reproduction du coléoptère, ainsi que des tissus du phloème nécrosés. À mesure que le complexe parasitaire se propage, de nouveaux chancres se forment, fusionnent, encerclent les branches et font dépérir la couronne de l'arbre. Un noyer peut mourir en trois-quatre ans. En cas de suspicion de détection, il est important de prendre contact avec la Draaf-Sral (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt-Service régional de l'alimentation) ou la Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) pour effectuer un signalement.
3. ÉLÉMENTS DE BIOLOGIE. Les spores infectieuses de G.morbida doivent être en contact avec le bois pour germer. Il est peu probable qu'elles se propagent en l'absence de scolytes P.juglandis. Ces insectes au stade adulte sont petits (1,5 à 2 mm de long) et brun rougeâtre. En Californie, on compte deux à trois générations par an. Ils émergent en avril-mai (températures supérieures à 18 °C), puis effectuent un vol de deuxième génération plus étalé, de mi-juillet à mi-septembre. Les imagos forent des galeries de reproduction horizontales dans des branches souvent proches des cicatrices foliaires ou des lenticelles. Les femelles fécondées y pondent des oeufs. Après éclosion, de petites larves blanches arquées creusent des galeries d'alimentation dans le phloème, souvent à la verticale et les remplissent d'une vermoulure brun foncé ou noire. Au terme de leur développement, elles se propagent dans une seule chambre nymphale. Des adultes émergent par la suite, restent sur le même arbre ou volent vers d'autres hôtes pour s'accoupler et se reproduire. Le stade oeuf dure une semaine, le stade larvaire de une à quatre semaines, le stade nymphal quatre semaines et le stade adulte cinq semaines. On pense que ces coléoptères inoculent le champignon dans le phloème lorsqu'ils creusent leurs galeries d'alimentation ou de reproduction. La maladie évolue ensuite dans les tissus du phloème et du cambium en deux à trois jours, puis sporule en cinq à dix jours. Le pathogène ne pénètre pas le bois de coeur (aubier, duramen) et n'infecte pas systémiquement l'arbre. Le milieu urbain où les noyers sont parfois stressés serait de nature à favoriser l'action combinée des deux organismes nuisibles, comme cela a été constaté aux États-Unis. D'ailleurs, lorsqu'ils sont seuls, ces bioagresseurs ne sont pas considérés comme capables d'entraîner le dépérissement complet d'un arbre.
Jérôme Jullien
(*) Organisation européenne et méditerranéenne de protection des plantes (OEPP), lettre du service d'informations n° 1-2014.
Chancre causé par Geosmithia morbida sur un tronc et une branche de Juglans nigra. PHOTO : OEPP - PROF. LUCIO MONTECCHIO, UNIVERSITA DI PADOVA (IT)
Dépérissement d'une branche de Juglans nigra atteint par la maladie des mille chancres. PHOTO : OEPP - PROF. LUCIO MONTECCHIO, UNIVERSITA DI PADOVA (IT)
Symptôme sur une branche infectée. PHOTO : OEPP - PROF. LUCIO MONTECCHIO, UNIVERSITA DI PADOVA (IT)
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