Diversité végétale : quand les jardiniers volent au secours des abeilles
Dans un contexte de milieux appauvris par l'agriculture intensive et de raréfaction des ressources pour les insectes pollinisateurs, le fleurissement des villes et des villages joue un rôle important en leur assurant le gîte et le couvert. En effet, sans apports réguliers en nectars, miellats et pollens de qualité, les butineuses et la colonie, mais aussi de nombreux pollinisateurs sauvages déclinent.
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Sur fond de dépopulation des ruches pour causes multifactorielles, la ressource alimentaire des abeilles domestiques est un facteur fondamental de survie. Sans apports réguliers en nectars, miellats et pollens de qualité, les butineuses et la colonie, mais également de nombreux pollinisateurs sauvages (voir encadré), déclinent. Les apiculteurs observent souvent des périodes de disette dévastatrices des communautés d'abeilles mellifères après les périodes de floraison des champs de colza et de tournesol. Par ailleurs, sans propolis, l'abeille ne peut plus colmater les brèches, renforcer, protéger et désinfecter la ruche. Cette sorte de mastic aux propriétés antiseptiques est formée d'un mélange de cire, de pollen et de résines que l'abeille récolte sur les bourgeons de certaines plantes. Dans cette situation préoccupante pour l'apiculture et la biodiversité, les gestionnaires d'espaces verts peuvent venir en aide aux abeilles et aux autres insectes pollinisateurs en assurant des successions de floraisons au fil des saisons dans les parcs, jardins et autres espaces végétalisés.
1. LES MOYENS DE SUBSISTANCE. Les abeilles ont surtout besoin de pollens (aliment de croissance pour les larves), mais aussi de nectars floraux, extra-floraux voire de miellats (1), (ressources énergétiques) et de propolis. La libération de phéromones par la reine stimule les ouvrières pour qu'elles alimentent les larves avec du pollen, du miel et de la gelée royale. Les apports de pollens sont directement liés au nombre de larves dans la ruche et aux quantités de pollens en stock.
D'après le Dr Gérald Therville, vétérinaire spécialiste des abeilles mellifères et apiculteur dans le Maine-et-Loire : « Les pollens assurent l'existence à long terme des colonies d'abeilles et maintiennent leur productivité. La récolte apporte plusieurs éléments nutritifs indispensables (...). La qualité a une influence sur la sensibilité des abeilles aux pathogènes et sur le développement de l'immunité collective. Pour éviter les insuffisances, il faut des pollens à 20 ou 30 % de protéines. Les risques de carences protéiques sont accrus lorsque, dans l'environnement des ruches, il y a peu de colza, une absence de lierre, de ronces, d'acacias ou de tilleuls. Ce phénomène existe aussi après une culture de tournesol, dont le pollen est pauvre, en région de monocultures de céréales, de rotations céréales/tournesol ou céréales/maïs. D'autres cas concernent le pissenlit pauvre en certains acides aminés (...). »
Parmi les pollens d'excellente qualité en protéines, signalons la vipérine commune, le lupin et la phacélie. En revanche, d'autres pollens sont pauvres en protéines (sarrasin, tournesol, pin, myrtillier, maïs). Le Dr Therville ajoute : « En dehors de la période d'hivernage où les abeilles vivent sur leurs réserves (...), elles ont un besoin nutritionnel constant : pour démarrer l'élevage au printemps et remplacer ce qu'elles auront consommé en hiver ; pour l'essaimage (reproduction de la colonie) qui correspond aux périodes de pléthore (exemple le colza) ; pour stocker des réserves en vue des « trous de miellée » et de l'hiver. Le « trou de miellée » est ce que chaque apiculteur essaie d'éviter, car il marque le ralentissement de la colonie, voire l'apparition de pathologies si les abeilles sont carencées (absence de ressources ou récolte de miel par l'apiculteur). C'est là l'intérêt de connaître l'environnementde son rucher et les miellées ou pollinées successives qui peuvent s'y produire. »
2. UN TRAVAIL LABORIEUX POUR LES BUTINEUSES. Les écologues constatent que l'offre de plantes mellifères (2) est importante en quantité et en qualité au printemps, lorsque le nombre d'insectes butineurs est relativement limité. Ensuite, de l'été à l'hiver, la richesse et l'abondance des ressources nutritives ont tendance à décroître, bien que la quantité d'insectes floricoles augmente. De plus, les conditions météorologiques peuvent être défavorables à leur vol. Pour subsister plusieurs années en passant les périodes difficiles, les abeilles mellifères développent une stratégie collective de butinage. Cette adaptation naturelle à des conditions de vie difficile devient contraignante lorsque les ressources nutritives sont très éloignées de la ruche. Face à un environnement pauvre, les butineuses passent d'un rayon de prospection optimal de 2 à 5 km, à 6 km voire plus de 9 km. Elles doivent trouver des fleurs épanouies, dont la forme, la disposition et la richesse correspondent à leurs exigences. L'approvisionnement peut devenir épuisant à raison d'une vingtaine de voyages au maximum par jour.
3. DES ESPACES VERTS AU SERVICE DES POLLINISATEURS. Dans un contexte où les grandes cultures représentent en France environ 40 % des surfaces cultivées et où les prairies permanentes ont diminué de 25 %, les gestionnaires d'espaces verts ont un rôle majeur à jouer pour renforcer la diversité végétale sur le territoire et favoriser une meilleure accessibilité des abeilles butineuses à leurs ressources alimentaires. Pour ce faire, les choix de végétaux ont intérêt à porter, non pas uniquement sur des critères ornementaux, mais sur des enjeux écologiques et patrimoniaux. L'objectif est de fournir des pollens et des sucres de qualité et en abondance tout au long de l'année, ainsi que de la propolis. Les abeilles ont des préférences végétales qui évoluent au fil des saisons (voir infographie p. 12). Il est donc important de végétaliser les zones urbaines et périurbaines en favorisant des floraisons successives pour que les insectes butineurs ne se trouvent pas en état de disette à un moment donné de leur cycle de vie. Mais attention à ne pas miser tout le fleurissement sur des plantes horticoles, car plusieurs espèces et variétés dites améliorées, trop modifiées, produisent peu, voire aucun pollen ou nectar. Il est donc nécessaire de privilégier les espèces locales à fleurs simples et laisser la flore sauvage s'exprimer en divers endroits des parcs et jardins. S'ajoute aux ressources alimentaires, l'utilité de maintenir des zones refuges et de nidification (troncs creux, arbres morts...) pour les pollinisateurs sauvages.
4. DES FLORAISONS À PLUSIEURS NIVEAUX DE VÉGÉTATION. Un bon garde-manger pour les pollinisateurs se situe à plusieurs niveaux de végétation. Les floraisons des strates arborescente, arbustive et herbacée sont complémentaires. Elles se suivent idéalement du printemps à l'hiver grâce à des associations judicieuses. Au pied des haies composites et des immeubles, dans les pelouses extensives et les ripisylves, sur les balcons, terrasses, talus et bords des chemins, la flore naturelle ou semée assure une alimentation substantielle aux insectes floricoles, en complément des arbres et arbustes. De bonnes pratiques d'entretien des végétaux sont à respecter : écopâturage, tontes espacées ou fauches tardives, formes libres ou taille raisonnée des ligneux, zéro pesticide...
Depuis une dizaine d'années, on voit fleurir des plantes sur les toits des villes. Ces aménagements favorables aux insectes pollinisateurs sont encouragés par des programmes nationaux tels que « France terre de pollinisateurs, pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages » de l'Opie (Office pour les insectes et leur environnement) et « Abeille, sentinelle de l'environnement » de l'Unaf (Union nationale de l'apiculture française). C'est ainsi qu'à Toulouse (31), par exemple, cinquante ruches sont disposées sur les toits de plusieurs entreprises de la ville rose sous l'égide de la municipalité. Ce type d'actions, démultiplié grâce à la communication auprès des particuliers, est un bon moyen pour valoriser les mesures mises en oeuvre et pour sensibiliser chaque écocitoyen à la préservation des insectes pollinisateurs.
Jérôme Jullien
(1) Selon Paul Schweitzer (Laboratoire d'analyses et d'écologie apicole du Cetam-Lorraine), les miellats, contrairement aux nectars, contiendraient beaucoup d'éléments indigestes pour l'abeille. (2) Se dit d'une plante exploitée par les abeilles pour le nectar, donc pour produire le miel. Les végétaux exploités par les abeilles pour le miel ou le pollen indistinctement sont dits « apicoles ».
Ici, un xylocope violet butinant une fleur de Caryopteris. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Il est important de végétaliser les zones urbaines et périurbaines en favorisant des floraisons successives pour que les insectes butineurs ne se trouvent pas en état de disette à un moment donné de leur cycle de vie. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Les ouvrières assurent le butinage des fleurs pour nourrir la colonie. Cette abeille butine une fleur de bruyère d'hiver, mi-mars, dans un jardin paysager. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Le choix des pollens par les abeilles butineuses se fait sur la base de l'odeur et de la couleur. Certains insectes pollinisateurs les collectent à des périodes très précises de leur cycle biologique. Le trèfle rouge incarnat fleurit de mai à septembre. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
Le sophora du Japon est un arbre mellifère à floraison estivale. PHOTO : JÉRÔME JULLIEN
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