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Platanes : malgré une législation claire, le chancre coloré court toujours

Un foyer de chancre coloré dans le Vaucluse. La lutte contre la maladie a été rendue obligatoire par un arrêté publié il y a un an.PHOTO : FDGDON84

En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la plus touchée par le chancre coloré du platane dû au champignon Ceratocystis platani, 133 communes sont répertoriées comme étant ou ayant été contaminées en 2016, dont 63 pour les Bouches-du-Rhône et 53 dans le Vaucluse. Malgré un arrêté rendant la surveillance et la lutte obligatoires, sur le terrain, le manque de moyens se fait sentir.

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La litanie des chiffres est impressionnante : rien que dans les Bouches-du-Rhône, environ 800 sujets disparaîtraient chaque année, et plus de 20 000 seraient morts depuis le début de l'épidémie (originaire des États-Unis, le chancre coloré a probablement été introduit en France durant la dernière Guerre mondiale, par l'intermédiaire de caisses, contenants du matériel militaire, fabriquées avec du bois de platane contaminé qui ont été débarquées à Marseille (13) et à Gênes, en Italie). Dans le Vaucluse, 1 300 sujets, en moyenne, sont à éliminer tous les ans. Et en y additionnant les chiffres des Bouches-du-Rhône, plus de 30 000 platanes ont disparu en 25 ans. Telles sont les données rappelées par les organismes de la protection des végétaux (1) qui ont réalisé en Paca une série de réunions techniques au cours de l'automne dernier pour sensibiliser les communes à la nécessité de prendre le problème à bras-le-corps.

1. LES PROPRIÉTAIRES DE PLATANES TENUS DE LES SURVEILLER et de les détruire en cas avéré de chancre coloré. Dans les faits, depuis un peu plus d'un an, dans les 22 départements français aujourd'hui concernés par la maladie, la prise en charge du champignon devrait être actée : l'arrêté du 22 décembre 2015, paru au Journal officiel début 2016, rend la lutte contre le chancre coloré obligatoire. Par ce texte, « toute personne est tenue d'assurer une surveillance généralisée du fonds lui appartenant ou exploité par elle. Toute personne est tenue de déclarer immédiatement la présence ou la suspicion de symptômes de chancre coloré du platane au préfet de région... » Le texte prévoit qu'après confirmation par le service chargé de la protection des végétaux de l'existence d'un sujet infecté, un périmètre délimité est établi par arrêté préfectoral, qui se compose d'une zone infectée et d'une zone tampon. La première est établie dans un rayon de 35 m autour des arbres atteints et la seconde comprend au moins les communes dans lesquelles se situent un ou plusieurs secteurs touchés. Sur la base d'une analyse des risques de transmission (plus forte en zone humide, l'eau transmettant le champignon, mais qui varie aussi en fonction de la densité de sujets...), le service chargé de la protection des végétaux peut augmenter le rayon de la zone infectée jusqu'à 50 m, étendre les zones infectées aux parties de zones tampon qui les séparent si plusieurs endroits contaminés se chevauchent ou sont proches les uns des autres. Il peut aussi, en cas de découverte ou de présence en bordure de cours d'eau, limiter la zone infectée à la seule rive où est présent le chancre. Un espace délimité ne peut être reconnu indemne qu'en l'absence de symptômes pendant une période de 10 ans après la dernière constatation de la présence de l'organisme nuisible. La plantation de platanes est interdite dans une zone infectée, tant qu'elle n'a pas été déclarée intacte.

2. DÉTRUIRE LES SUJETS DE LA ZONE INFECTÉE DANS LES DEUX MOIS. La suite du texte prévoit que quand la présence de la maladie est confirmée sur un arbre, le propriétaire fait procéder à l'abattage, au dessouchage ou à la dévitalisation des souches, puis à la destruction du bois par incinération de tous les sujets dans un délai de 2 mois à partir de la notification officielle du service de la protection des végétaux. Le législateur a néanmoins prévu quelques cas particuliers. L'incinération du bois doit se faire sur place, mais, des dérogations peuvent être accordées « en vue de l'incinération à des fins industrielles » ; seulement si « l'ensemble des opérations est réalisé dans des conditions garantissant la non-dissémination de l'organisme nuisible ». En clair, un cahier des charges pour le transport sécurisé du bois contaminé est en cours d'élaboration, sous la houlette de Plante & Cité. Mais dans les faits, certaines communes signalent que les élagueurs qu'ils chargent des travaux d'abattage ne sont pas équipés pour réaliser ce type de transport et concrètement, l'incinération du bois porteur du champignon est faite sur le chantier : le transport spécial a un coût prohibitif.

3. SURVEILLER ET PRENDRE GARDE AUX TRAVAUX PRÈS DES ARBRES. Le décret prévoit ensuite une surveillance sur l'ensemble des zones délimitées par les services de la protection des végétaux ou sous leur contrôle. Puis il formalise les interventions à proximité de platanes susceptibles de les blesser. Partout, sont obligatoires les mesures suivantes :

- Au commencement et à la fin des travaux sur chaque site planté, les outils et engins d'intervention sont nettoyés puis désinfectés avec des produits phytopharmaceutiques fongicides autorisés. Par dérogation du service chargé de la protection des végétaux, des produits biocides autorisés à fonction fongicide peuvent être utilisés ;

- L'utilisation des griffes anglaises ou crampons est prohibée sauf pour des abattages par démontage. Des mesures s'ajoutent dans les zones délimitées : déclaration préalable à toute intervention directe sur ou à proximité des végétaux sensibles auprès des services de la protection des végétaux, au moins 15 jours ouvrés avant le chantier ; les engins et outils sont désinfectés entre chaque sujet ; toute blessure ouverte sur les troncs, sur les branches de plus de 5 cm de diamètre, et sur les racines est immédiatement parée et badigeonnée avec une spécialité fongicide homologuée ou, à défaut, recouverte par une préparation protectrice des plaies de taille homologuée sur végétaux ligneux.

4. FAIRE ATTENTION À LA QUALITÉ DES SUJETS REPLANTÉS. Enfin, le texte prévoit un article destiné aux producteurs, qui ne doivent vendre que des sujets exempts de chancre, évidemment, mais surtout, il spécifie que « la vente, la cession et le transport de platanes provenant d'un lieu de production situé tout ou partie en zone infectée sont interdits jusqu'à la constatation officielle de l'absence de symptômes à l'issue d'une période complète de végétation suivant la réalisation des mesures d'éradication prévues à l'article 6 du présent arrêté ».

5. LA SURVEILLANCE AUX FRAIS DES PROPRIÉTAIRES. C'est sur la base de cette législation que la liste des communes touchées en Paca a été établie par un autre arrêté émanant celui-là du préfet, en avril 2016. Il rappelle que toute suspicion doit être déclarée immédiatement aux services de la protection des végétaux de Montfavet (84). Dans les zones délimitées, toute intervention directe sur et à proximité de platanes doit être déclarée aux mêmes services (2). Enfin, le texte spécifie que la Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) Paca est chargée d'organiser la surveillance annuelle des zones délimitées, aux frais des propriétaires ou des exploitants des sites où se situent des platanes, qui doivent, bien sûr, laisser libre accès à leurs terrains.

Avec une telle batterie de textes contraignants et une connaissance de plus en plus précise de la maladie, le chancre coloré devrait pouvoir être facilement, si ce n'est éradiqué, au moins contrôlé. Or, si l'on en croit les responsables des services de la protection des végétaux de la région, il n'en est rien. Les équipes chargées de la maladie dans les Bouches-du-Rhône estiment ainsi que rien que dans leur département, « le nombre de platanes est estimé à 150 000, quand ils ne peuvent en contrôler que 50 000. Dans les 406 foyers recensés, environ 500 arbres malades sont trouvés lors des contrôles. Le nombre d'arbres à abattre est donc important, et les moyens limités ». Surtout dans le domaine privé, où les propriétaires ne se précipitent pas pour faire abattre les sujets malades à leurs propres frais. Et si 38 communes ont été assainies fin 2016 dans les Bouches-du-Rhône, cet état n'est pas définitif. Pour préserver le patrimoine, il « reste important de détecter précocement les foyers et d'intervenir vite ». Et les spécialistes de citer une commune du Vaucluse dans laquelle la maladie n'est pas jugulée, malgré la destruction de la moitié du patrimoine de platanes...

6. LES GESTIONNAIRES DOIVENT PRENDRE LES CHOSES EN MAINS. Les responsables des organismes de la protection ont insisté sur ce point, lors des journées d'information de fin 2016.Les communes doivent en effet faire respecter un cahier des charges précis lorsque des entreprises interviennent sur la voirie à proximité de platanes. Et faire surveiller régulièrement leur patrimoine. « Nous pouvons appuyer, mais la balle est dans votre camp », a insisté l'un des intervenants auprès des élus et techniciens présents. Même les communes non contaminées doivent être surveillées. Les coûts sont d'environ 400 euros pour une journée, pour le contrôle d'une centaine d'arbres, ou 4 euros par sujet. Malheureusement, bien qu'une aide existe pour la surveillance, il n'y en a aucune pour l'abattage. C'est là un maillon faible de la lutte.

Dans les Bouches-du-Rhône, les services de la protection des végétaux visent le contrôle du tiers des platanes du département chaque année, de manière à ce que chaque arbre soit vu tous les trois ans. Mais dans un département comme le Vaucluse, qui comprend de nombreux cours d'eau bordés de platanes et alors que l'eau dissémine les spores de la maladie, la problématique est plus compliquée... Sans vouloir jouer les Cassandre, dans ces cas précis, l'éradication n'est pas pour demain !

Pascal Fayolle

(1) Dépendants de la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt, il s'agit de la Fredon Paca, de la FDGDON (Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles) du Vaucluse, et du GDON (Groupement de défense contre les organismes nuisibles) de Marseille. (2) Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Service régional de l'alimentation, quartier Cantarel, BP 95, 84143 Montfavet Cedex Tél. : 04 90 81 11 00. sral-84.draf-paca@agriculture.gouv.fr

Une nécrose ancienne vue de près. Il faut attendre 10 ans après la constatation du dernier cas de maladie et sans apparition de symptômes pour qu'une zone classée contaminée à une époque donnée devienne de nouveau indemne.

PHOTO : FDGDON84

Détail d'une jeune nécrose. En cas de suspicion de maladie, des prélèvements sont effectués pour analyse.

PHOTO : FDGDON84

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