Faire passer le végétal de l'ornement al au vital
« Vous êtes une filière d'avenir. » Invité lors de l'assemblée générale de l'interprofession Val'hor, l'économiste Nicolas Bouzou a brossé un avenir optimiste pour nos métiers.
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Plus habitué des plateaux de télévision que des assemblées de professionnels du végétal, l'économiste Nicolas Bouzou, qui se revendique comme libéral et a fondé en 2006 le cabinet Asterès, a néanmoins travaillé récemment pour nos métiers à la demande de l'interprofession Val'hor. C'est à la suite de ce travail qu'il a accepté, en clôture de la dernière assemblée générale de Val'hor, début octobre, de dresser « son point de vue sur l'économie de la filière ». Celle du végétal d'ornement, bien qu'il considère le terme comme « très mauvais » (voir notre édito du n° 1033 du 1er novembre dernier). « Le spectre du métier va au-delà de ce terme, et il est possible qu'il devienne secondaire », précise-t-il, rappelant le « sens de ce que nous vivons : les gens plébiscitent le végétal, mais n'achètent pas ». Pour comprendre pourquoi, il faut remonter à ce qui est en cours : la plus grande mutation technologique depuis la Renaissance. Tout va changer, en passant par un grand chaos, selon le processus de destructioncréatrice de Schumpeter.
Le numérique apporte nombre de nouvelles technologies, mais il est un phénomène qui va encore plus vite : l'intelligence artificielle, qui va « tout accélérer ». L'intelligence artificielle, c'est la prise de décision par une machine en fonction de l'analyse qu'elle fait de l'environnement, comme la voiture sans chauffeur. Si l'économiste rassure en précisant que « les robots ne vont pas remplacer les fleuristes, l'intelligence artificielle est une technologie rapide », qui répond à une loi proche de celle de Moore, qui estimait il y a quelques années que la puissance des processeurs de nos ordinateurs doublait tous les 12 mois. « En fait, c'était tous les 18 mois, précise Nicolas Bouzou, mais peu importe. Ce qui importe, c'est que la vitesse exponentielle du développement de l'intelligence artificielle s'ajoute à un autre phénomène très actuel, la mondialisation. Une mondialisation qui « pose un problème surtout en France, parce que l'on a cumulé des difficultés de productivité depuis 30 ans, mais qui fait qu'à force, on perd des filières ». Celle de l'horticulture, qui n'a plus aujourd'hui qu'un taux de couverture de 15 %, mais pas que...
Pays-Bas : une forte politique de compétitivité et d'attractivité
L'économie a changé de nature à partir de 1990, poursuit l'économiste. Auparavant, nous échangions essentiellement des biens. À partir de la fin de cette décennie, les entreprises sont devenues mobiles. Des pays se sont spécialisés dans des tâches et des fonctions bien précises. Les Pays-Bas, avec des ports et une politique d'attractivité et de compétitivité fortes, ont vu nombre de commodités transiter par leur territoire. « Il y a imbrication des deux phénomènes, la mondialisation accroît la compétitivité et l'intelligence artificielle accélère le phénomène. Les gains de compétitivitédans la logistique accélèrent aussi la concentration de l'activité. »
La situation actuelle doit aussi s'analyser en termes de cycle. Les cycles de long terme sont portés par l'innovation. Concernant les cycles courts, les périodes de crise et celles de croissance alternent. « En 2008, les politiques étaient au désendettement. Il semble qu'actuellement, nous vivions une reprise tant en cycle court qu'en cycle long. Et la situation est plutôt bonne, tant du côté des ménages que de celui des entreprises. » Tout ceci a amené un assainissement, même si Nicolas Bouzou précise aussitôt que « la situation n'est pas encore totalement assainie en France, même si elle est objectivement meilleure qu'il y a 10 ans. Les indicateurs macroéconomiques de notre pays ne sont pas brillants, mais pas mal non plus. Environ 2 % de croissance l'an prochain, ce n'est pas génial, mais c'est le maximum ces dernières années ». En conséquence, la consommation repart, tout comme les exportations, même si, là aussi, « ce n'est pas fantastique ».
Ornementales, elles sontsecondaires, ne servent à rien
Dans ce contexte, il faut que les plantes deviennent un produit de première nécessité. Et si nous les qualifions d'ornementales, elles sont secondaires et ne servent à rien, mieux vaut faire qu'elles soient nécessaires pour vivre et il suffit pour cela de faire les choix marketing appropriés, estime l'économiste. Il s'agit d'une clé très adaptée au contexte, parfaitement en phase avec le cycle long, qui a un sens. « Quand on écoute les dirigeants des GAFA (Google, Amazon, Face book et Apple...) et de la Silicon Valley, ils ont deux obsessions : faire en sorte que les gens gagnent du temps, et vivent plus longtemps. Amazon fait gagner du temps avec le commerce en ligne. Aller dans un magasin est une perte de temps s'il s'agit juste de réaliser un acte d'achat. Et quand on se pose la question de savoir comment sera notre monde dans dix ans, pour pouvoir anticiper, mieux vaut s'interroger sur ce qui ne changera pas plutôt que sur ce qui va changer. Et ce qui ne changera pas, c'est que les gens voudrontgagner du temps. Des moyens doivent donc être mis sur la logistique. »
Les magasins vont disparaître s'ils ne font que du commerce
Les investissements se font en ce moment sur des valeurs liées au temps et au vieillissement, on peut citer les 3 milliards que Mark Zukerberg, créateur de Facebook, vient de mettre sur la table pour créer 1492, un site de télémédecine. Mais l'investissement se fait aussi sur des dimensions liées à l'espace, avec le projet Space X, dont l'objectif est d'aller sur Mars. « Si on croise ces notions de temps et d'espace, on peut tirer deux grands enseignements, estime Nicolas Bouzou. Je crois encore dans l'avenir des magasins, mais s'ils ne font que du commerce, ils vont disparaître. Et aller chez un producteur, les gens aiment ça. Il y a un coup à jouer, Ikéa mise dessus. À condition qu'il y ait une interaction humaine : Qu'est-ce que cette expérience m'apporte ? Il faut raisonner en termes de services, temps, allongement de la durée de vie, santé. »
Des avantages tangiblesque le marketing doit valoriser
Un travail réalisé pour l'Unep a permis à Asterès de mettre en évidence des études montrant que les plantes ont un impact sur la santé. Il y a encore aujourd'hui un déficit de marketing à ce niveau. « Le bio n'a aucun impact sur la santé, en tout cas ce n'est pas mesurable, même si c'est positif pour l'environnement. Alors que nous, nous avons des études qui montrent que quand on vit près d'un grand parc en ville, la santé des gens est meilleure, ils font plus de sport, subissent moins les îlots de chaleur. Cette attractivité doit être un combat pour les collectivités, les entreprises qui peuvent attirer des capitaux et de l'intelligence. Chez Google, il y a des plantes partout : les jeunes les plus brillants veulent un environnement plus végétalisé. Elon Musk, créateur de Space X, va végétaliser les bureaux de ses entreprises pour y attirer les meilleurs. Il y a là une concurrence nouvelle, pour l'intelligence. Il faut faire cette pédagogie, l'ornement, c'est visuel, mais la santé, c'est vital. »
Pour atteindre l'objectif, selon Nicolas Bouzou, notre chaîne logistique n'est pas assez fluide, il n'y a pas assez de travail en réseau. La concurrence n'exclut pas le réseau. Il faut faire rentrer l'innovation dans les structures, les fédérations, organiser des concours de stand up sur les plus gros problèmes de la filière avec une récompense intéressante. Il faut faire évoluer le marketing pour mieux valoriser la production. Les gens adhèrent aux valeurs des produits horticoles mais n'achètent pas : c'est qu'ils ne perçoivent pas assez l'intérêt des produits proposés. On peut se passer de déco, pas de bien-être. Le message s'adresse aux entreprises et aux collectivités : il ne faut pas se passer des gens qui valorisent le bien-être, c'est un risque vital.
Pascal Fayolle
    
   
        Économiste libéral
      
    
   
        Plus que des magasins
      
    
   
        Un cadre de vie
      
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