Pivoine : s'adapter au climat et à la de mande du marché
Le Scradh, station d'expérimentation Astredhor Méditerranée basée à Hyères (83), travaille à l'amé lioration de la production de la pivoine destinée à la fleur coupée, dans un contextede hausse de la demande et de réchauffement climatique défavorable à la culture.
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Les producteurs méditerranéens de pivoine se désolent d'un réchauffement climatique chaque année plus évident : canicule et sécheresse se renouvellent en été, tandis que les vagues de froid hivernales se réduisent comme une peau de chagrin... La baisse de température n'est parfois plus suffisante pour assurer la vernalisation. Or, rappelle Michel Mallait, conseiller « fleurs coupées diverses » à la chambre d'agriculture 83, cette culture est en très forte progression en Paca, puisqu'elle est passée d'une production quasi inexistante dans les années 1990 à quelque 10 millions de tiges commercialisées par la Sica Marché aux fleurs d'Hyères en 2017 (4,5 millions en 2008). C'est pourquoi plusieurs essais du Scradh (*) sont consacrés depuis 1986 à l'optimisation de la production. Une parcelle de collection regroupe 84 variétés dont les données phénologiques sont enregistrées (récolte, débourrement, rendement...).
1 ACCROÎTRE LE POTENTIEL DE MUL- TIPLICATION. La culture de la pivoine implique un investissement de départ élevé, pour se procurer des plants sains. Les procédés traditionnels de division des touffes en quatre tous les cinq ans sont longs et s'accompagnent généralement de problèmes phytosanitaires liés aux viroses (le principal virus est le TRV Tobacco Rattle Virus transmis par les nématodes). C'est pourquoi le Scradh, en collaboration avec l'Unité de recherche intégrée en horticulture (Urih) du centre Inra de Sophia Antipolis (06) et avec l'appui financier du conseil régional Paca et de deux producteurs, avait travaillé à la mise au point de la multiplication in vitro. Le procédé n'a pas été développé économiquement.
Ce programme s'est ensuite orienté sur la microdivision, dans le cadre d'un programme CTPS, en collaboration avec l'Urih. « La fragmentation début octobre de rhizomes en explants de 3 à 8 g comportant chacun un bourgeon associé à du parenchyme permet, après traitement au froid, d'obtenir des plants végétatifs, avec un taux de multiplication vingt fois supérieur au procédé classique. [...] Des taux d'assainissement supérieurs à 75 % et durables dans le temps ont été obtenus », explique Fabien Robert, directeur scientifique et technique d'Astredhor (source : SNHF). Les essais se poursuivent pour pouvoir appliquer la technique en entreprise. Des variétés rares à bonne valeur agronomique, telles 'Reine Hortense' ou 'Georgina Shaylor', ont été multipliées avec succès par ce procédé.
2 EXPLOITER LA DIVERSITÉ VARIÉ- TALE. La diversité est peu exploitée : six variétés seulement représentent 60 % des apports de la Sica MAF. Elle laisse pourtant entrevoir des possibilités de sélection de variétés adaptées au climat, nécessitant moins de besoins en froid. La station d'expérimentation réalise des évaluations depuis trente ans et a créé, à cet effet, sa parcelle de collection en 2017. Elle projette la mise en place d'une base de données détaillant leurs caractéristiques. Un choix de variétés à précocité différentes permet de proposer une floraison d'avril - voire mars - à juin.
3 AMÉLIORER LA PRISE DE FROID. Gagner de la précocité permet de proposer un produit primeur dès mars. Or c'est le froid qui permet la vernalisation et la levée de dormance. Connaître les besoins en froid des variétés permet donc de sélectionner celles adaptées à une production précoce. Au Scradh, des sondes enregistrent la température du sol à une profondeur de 12 cm (un relevé par heure) et un indice développé par la station mesure la prise de froid (cumul des températures en dessous de 10 °C). Un hiver « normal » dans le Var correspond à 4 000-6 000 unités de froid (uF) cumulées de novembre à mars. En 2016, seulement 1 300 uF ont été comptabilisées ! Or, il faut plus de 2 000 uF pour obtenir un rendement élevé.
Adapter les variétés au site
L'indice de prise de froid permet d'adapter la date de forçage et le choix variétal à la zone géographique et à son climat pour une production primeur sans perte de rendement. La filière fleur coupée varoise a mis en place un réseau de suivi de la prise de froid en entreprise. Les cumuls varient d'un site à l'autre, en fonction de l'ombre portée (colline, haie d'arbres...) et de l'humidité du sol : durant l'hiver 2017, ils ont atteint 4 000 uF à Carqueiranne (83) ou Hyères (83), 5 000-6 000 uF à La Crau (83), 6 000 uF à Carnoules (83)... Pour des variétés peu exigeantes comme 'Florence Nichols' ou 'Claude Tain', le rendement varie peu quelle que soit la dose de froid. Au contraire, il peut passer du simple au double, pour d'autres comme 'Sarah Bernhardt' ou 'Bartzella' en augmentant la dose de froid. Toutefois, les résultats obtenus par la station ne sont pas toujours aussi tranchés. De plus, les chercheurs ont remarqué que la pivoine garde en mémoire la dose de froid de l'année n-1.
Produire en hors-sol
Le Scradh a conduit durant les an-nées 2000 des essais sur la maîtrise de la culture hors-sol (programme national) et des calendriers précoces de production. Aujourd'hui, l'enjeu est de trouver des moyens de mécanisation de ces techniques pour un transfert facilité en entreprise (programme SyHSI). La production en caisses disposées sur palette permet de déplacer les plantes de l'extérieur (pour la prise de froid) à l'intérieur à plus de 10 °C (pour le forçage). Ainsi, les essais sur 'Claude Tain', rentrée en serre mi-janvier après une prise de froid de 4 195 uF, ont abouti à une précocité de quatre semaines du lot forcé par rapport au témoin extérieur. Certaines variétés ne sont toutefois pas adaptées à cette technique du fait de leurs racines latérales (ex. : 'Red Charm').
Refroidir artificiellement ou pas
Il existe différentes techniques artificielles pour améliorer la prise de froid, comme le passage en chambre froide ou l'usage d'une pompe à chaleur réversible. Cette dernière permet de refroidir en hiver pour lever la dormance et de chauffer ensuite pour favoriser le démarrage végétatif précoce. L'arrosage ou le déchaussage (pour exposer les racines au froid) pourraient être des pistes. Les méthodes expérimentées sont la culture sur butte et l'ombrage temporaire.
Ombrager les cultures
Puisque le sol reste trop chaud en hiver, pourquoi ne pas limiter son échauffement diurne en l'ombrant ? Dans cette optique, le Scradh a signé un contrat avec Agrivolta. La start-up aixoise, fondée par un horticulteur en octobre 2016, déploie son système breveté d'ombrières intelligentes sur une parcelle de la station et cette dernière coordonne depuis novembre une étude scientifique sur pivoine pour une durée de trois ans. Outre l'optimisation des rendements grâce à des besoins en froid hivernal satisfaits, l'expérimentation doit valider les économies d'eau possibles, l'ombrage estival limitant l'évapotranspiration et le stress des plantes. L'installation se compose de panneaux photovoltaïques déployés à plus de 3 m de hauteur, dont l'ouverture est modulée automatiquement selon les besoins.
4 ADVENTICES : NOUVEAUX MODES DE CULTURE. Le désherbage constitue le deuxième poste de charges après la récolte. La tâche se complique pour les producteurs de pivoine avec la fin de l'usage en octobre 2018 de Basta, utilisé comme défanant en fin de cycle. Or si l'entretien de l'interrang peut se mécaniser avec l'usage de la griffe ou du rotavator, le rang est plus délicat à nettoyer à cause des bourgeons affleurant en sortie d'hiver.
Le Scradh a testé différents paillages entre 2003 et 2010. La toile tissée est efficace mais elle augmente aussi l'isolation thermique et de ce fait diminue les rendements (- 22 à - 35 % en cinq ans). Des paillages organiques fluides (écorce, broyat de bois) disposés sur le rang sur 50-60 cm de large ont offert une efficacité variable, qui diminue avec la dégradation de la matière. Certaines adventices comme le liseron doivent être traitées localement. Il faut également tenir compte de l'effet isolant lié à l'épaisseur du paillage. Depuis 2015, la station teste la combinaison d'une production sur butte (qui favorise les échanges thermiques) et d'un paillage disposé en sortie d'hiver (efficace contre les mauvaises herbes en début de saison et rafraîchissant en été). Des couvre-sol faciles d'entretien et compatibles avec la culture de pivoine sont également expérimentés pour un enherbement permanent. Le gazon de graminées consomme beaucoup d'azote. Le microtrèfle tondu permet une qualité comparable avec le témoin traité chimiquement. Lippia nodiflora diminue le rendement par une surconsommation en eau, en fertilisant, et un effet paillage.
Valérie Vidril
(*) La station a consacré son cycle de conférences à la pivoine lors de ses deux journées portes ouvertes, en novembre dernier.
La pivoine double 'Baroness Schroeder' a connu un succès fulgurant après une exposition à Monaco en 2017. Sa tenue en vase atteint douze jours. Ses pétales pointus ne retiennent pas l'eau au jardin.
'Odile' (1928) offre un très bon comportement dans la région hyéroise, mais est presque introuvable. PHOTOs : SCRADH
Le Scradh teste en culture de pivoine un système automatisé d'ombrières photovoltaïques pour favoriser le refroidissement du sol en hiver et limiter la consommation d'eau en été. Ce programme Piv'Eau entre dans le cadre d'un appel à projet de l'Agence de l'eau.
La culture sur butte, classiquement pratiquée sur des sols trop lourds ou inondables, est une piste envisagée au Scradh pour améliorer la prise de froid de la culture en hiver.
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