Gérer les espaces verts en prenant en compte les pollinisateurs
À l'occasion des assises nationales des insectes pollinisateurs en ville qui ont eu lieu les 28, 29 et 30 ju in à Besançon, des gestionnaires d'espaces verts ont partagé leurs expériences en évoquant les enjeux liés aux insectes pollinisateurs en milieu urbain, pour un meilleur équilibre de l'écosystème.
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Pesticides, manque de ressources et d'habitats, lumière artificielle la nuit... les insectes pollinisateurs rencontrent de nombreux problèmes, y compris dans les villes.Leur diminution inquiétante ces dernières années pousse à l'action, alors que les services qu'ils rendent au quotidien ne sont plus à prouver. Depuis la modification de la loi Labbé en 2017, l'utilisation de produits phytosanitaires est interdite dans les espaces verts. C'est une première bonne nouvelle pour les insectes, très sensibles à ces substances. Mais d'autres obstacles persistent.Pour favoriser leur présence, il est nécessaire de leur fournir des ressources et des habitats appropriés. Or, en ville, un entretien excessif des espaces verts et l'omniprésence du béton empêchent la constitution d'habitats tandis que les plantes choisies, rarement sauvages et indigènes, ne constituent pas une ressource alimentaire suffisante pour les pollinisateurs. Mais déjà, des changements s'amorcent.
1 EN VILLE, DES TRAMES VERTES ...En ville, l'urbanisation a fragmenté l'habitat de la faune et de la flore, qui se retrouvent alors « piégées » dans de petits espaces. Pour permettre le passage d'un espace semi-naturel à un autre, des corridors écologiques sont nécessaires. Ce système de connexion entre les réservoirs de biodiversité s'appelle la Trame verte et bleue. Une politique publique, initiée en 2007, est introduite dans le code de l'environnement en 2009. Elle est constituée d'un réseau formé de continuités écologiques terrestres. Ce dernier est identifié par les schémas régionaux de cohérence écologique et par les documents de planification de l'État et des collectivités.Cette trame verte permet le maintien d'un maillage. Elle contribue à l'amélioration de l'état de conservation des habitats naturels et des espèces. Les réservoirs sont les espaces où la biodiversité est la plus riche. Les espèces y habitent et s'y reproduisent. Les corridors sont, quant à eux, des lieux de passage. Ils permettent le déplacement des espèces entre les différents réservoirs.À Lyon, pour alimenter la trame verte, la direction des espaces verts recherche des espaces urbains qui mériteraient d'être végétalisés. L'objectif est de les reverdir massivement, avec une logique de création d'un grand axe végétalisé. Mais, comme dans toutes les villes, entre la construction de crèches, bibliothèques, logements ou l'aménagement d'espaces verts, il faut faire des choix. Des secteurs prioritaires sont par conséquent identifiés, comme par exemple lorsqu'il y a peu d'espaces verts par habitant.
2 ... ET NOIRES. Un autre problème auquel font face les insectes est l'éclairage nocturne. À l'image des papillons de nuit, certains insectes pollinisent les plantes au cours de la nuit. Même si la pollinisation nocturne reste mal connue car peu étudiée, il a été mis en évidence que la lumière artificielle affecte le comportement de ces papillons. Une étude en cours menée en Suisse par Colin Fontaine, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), montre par ailleurs que beaucoup moins d'insectes viennent visiter les plantes sous lampadaires.L'éclairage nocturne constitue de ce fait une fragmentation de l'habitat, et ce, pour l'ensemble de la faune nocturne. Pour compenser ce problème, une trame noire peut être mise en place. Le concept en France est encore jeune et mal défini. Il consiste à l'élaboration d'un réseau de continuités écologiques caractérisées par une obscurité, sur le modèle des trames vertes et bleues. Mais sa mise en place est synonyme d'une réduction du confort octroyé par l'éclairage public. Les citoyens seront d'autant plus enclins à l'accepter si les raisons sont clairement expliquées. De plus, certains élus freinent parfois la mise en place de ces trames noires par crainte d'une opposition citoyenne. Il existe pourtant des solutions envisageables en fonction des lieux : extinction totale, partielle, éclairage à la demande... Et les exemples se multiplient, comme à Valenciennes (voir l'encadré : « Lumière sur le parc de la Rhônelle »).Il ne suffit pas de restaurer une continuité dans l'habitat, il faut que ces habitats soient accueillants pour les insectes.
3 DEUX EXEMPLES D'ESPACES VERTS FAVORABLES AUX INSECTES POLLINISATEURS. Les villes, si elles sont bien pensées et bien gérées, peuvent accueillir un grand nombre d'organismes sauvages, et en particulier des pollinisateurs. Pour y arriver, une multitude de stratégies peut être envisagée. Les villes de Besançon et de Lyon sont deux exemples, parmi d'autres, de gestion d'espaces verts soucieux de prendre en compte les pollinisateurs. Ces deux villes pionnières, dont la démarche zéro phyto depuis plus de dix ans a pour but de préserver l'environnement, ont fait des choix opposés. Besançon a renoncé au label « ville fleurie », lui préférant celui de « ville nature », tandis que Lyon, pour qui gestion écologique et ville fleurie peuvent aller de pair, a reçu sa 4e fleur du label Villes et Villages fleuris.Depuis peu, Besançon a nommé un écologue à la tête de ses espaces verts. Cette nomination a été suivie de plusieurs mesures. Il n'y a plus d'abattage après le 15 mars ; il n'y a plus de taille avant le 15 juillet ; il n'y a plus d'arrosage automatique non plus ; les pieds des arbres sont végétalisés, de même que les cimetières... Pour les insectes pollinisateurs, les plantes les plus intéressantes sont celles à fleurs. Besançon a donc choisi de faire une sélection des espèces dans des prairies fleuries jardinées : « On retire les graminées et on laisse les plantes à fleurs » explique Samuel Lelièvre, le directeur des espaces verts de la ville, qui précise que pour cela, la mairie a fait l'acquisition de chèvres. Les fauches tardives nourrissent les chèvres en pâturage extensif. Lyon a, pour sa part, choisi de développer du végétal sauvage local, et dans le même temps, de continuer à installer des plantes horticoles. « C'est un devoir de mémoire de garder cet art du fleurissement » justifie Tatiana Bouvin, responsable du pôle développement durable aux espaces verts de Lyon. Cependant, ne sont pas plantées à Lyon n'importe quelles plantes horticoles. Elle précise que Chaque année, toutes les palettes végétales sont testées pour leur caractère attrayant. « Les premières années, on testait l'attractivité des plantes en fonction de l'aspect de la fleur », explique Tatiana Bouvin. L'appareil reproducteur devait notamment être accessible aux insectes.
4 «LE GÎTE ET LE COUVERT » : CES DEUX ÉLÉMENTS SONT ESSENTIELS POUR LES INSECTES. Depuis l'année dernière, des tests sont basés sur un protocole scientifique dérivé du Spipoll*. Un suivi photographique permet de savoir quels insectes pollinisateurs viennent butiner quelles plantes. Les résultats permettent à la ville de Lyon de composer des listes pour ses jardiniers. Une plus grande diversité de ressources pour insectes pollinisateurs peut être favorisée par diverses mesures complémentaires : fauche tardive, fleurissement alternatif ou pâturage extensif. Il est également envisageable de développer plusieurs strates végétales, qui sont à la fois ressource et habitat. Favoriser des plantes vivaces et des espèces sauvages indigènes enrichit les ressources pour les pollinisateurs. Une corrélation positive entre richesse botanique et diversité des insectes floricoles est par ailleurs observée. Si les collectivités souhaitent garder des plantes horticoles, il est possible, à l'image de la ville de Lyon, de tester l'attractivité de ces plantes. Certaines collectivités et organismes établissent des listes de plantes ressources. Mais il faut avoir conscience que les listes ne sont pas exhaustives. Concernant les habitats, depuis peu, des « hôtels à insectes » fleurissent dans les villes. Mais ces constructions sont avant tout des actions de sensibilisation auprès du grand public. Les habitats naturels sont plus efficaces. Pour favoriser leur présence, il ne faut pas évacuer la matière en décomposition, le bois mort par exemple, ni dessoucher. Il est aussi possible de créer des réseaux de mares qui vont fournir le gîte à de nombreux insectes.
5 JARDINIERS, GESTIONNAIRES ET SCIENTIFIQUES MAIN DANS LA MAIN. À Lyon, des jardiniers sont formés en interne. Une demi-journée par mois, ces jardiniers deviennent des référents en biodiversité.Les collectivités peuvent aussi être des partenaires de programmes de recherches. Les deux applications de suivi de la biodiversité, Propage et Florilège du MNHN destinées aux gestionnaires, sont un exemple. Ces dernières sont utilisées par les référents biodiversité à Lyon. Un autre exemple est Urbanbees (2010-2015). Ce programme mêlait l'étude des abeilles en ville par des chercheurs de l'INRA et des actions de communication avec la population.Mais la vision d'espaces verts « propres » est fortement ancrée dans l'imaginaire collectif. D'où la nécessité d'une bonne communication de la part des villes, pour faire comprendre les choix pris. L'évolution des pratiques et mentalités en ville permettra peut-être d'y augmenter les populations d'insectes pollinisateurs dans les années à venir.
Léna Hespel
(*) Programme participatif de suivi des insectes pollinisateurs du MNHN.
À la citadelle de Besançon, il a été décidé de n'installer que des vivaces dans les massifs et d'avoir des prairies fauchées. PHOTO LENA HESPEL
Parc de Gerland à Lyon. Les prairies fleuries représentent à la fois les ressources et l'habitat pour les insectes pollinisateurs. PHOTO VILLE DE LYON
Micro-implantations florales dans les rues de Lyon. Au nombre de 1 000, elles sont entretenues par les habitants. PHOTO VILLE DE LYON
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