Ravageur Vigilance sur la noctuelle méditerranéenne
Spodoptera littoralis sévit depuis dix ans dans le sud-est de la France. Ce redoutable insecte défoliateur d’origine exotique infeste de nombreux végétaux cultivés, parmi lesquels des genres importants en horticulture ornementale comme Chrysanthemum, Dianthus et Pelargonium.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
La noctuelle méditerranéenne est établie dans les cultures de plein air en Afrique, au Proche-Orient et dans les régions les plus méridionales d’Europe. Ailleurs, cet insecte nuisible est transitoire en extérieur ou colonise les serres. Les papillons migrent sur de longues distances, tandis que tous les stades de l’insecte peuvent se propager lors des échanges internationaux de plantes atteintes. En France, des individus avaient été capturés à Ajaccio, en Corse, dès 1975. Mais c’est à partir de 2009, dans l’île de Beauté puis en Provence-Alpes-Côte d’Azur, que son acclimatation a traduit les effets du réchauffement climatique : sédentarisation, précocité d’attaque, augmentation du voltinisme (1) et intensification des dégâts. L’impact économique du ravageur se produit entre août et novembre, mais le niveau d’attaque et la densité de population varient d’une année à l’autre.
Classé nuisible par l’Union européenne
Dans le sud de l’Europe, Spodoptera littoralis infeste des cultures légumières, aromatiques, ornementales, des grandes cultures et peut même dégrader les gazons des terrains de sport. Parmi les plantes horticoles, elle s’attaque à l’anémone, l’arum, l’aster, le chrysanthème, la cinéraire, les graminées à gazon, l’hibiscus, le kalanchoé, le lisianthus, la menthe, l’œillet, la reine-marguerite et la violette. Cette polyphagie, associée à une grande voracité, justifie le classement de ce lépidoptère parmi les organismes nuisibles réglementés de l’Union européenne. Le bioagresseur figure à l’annexe IAII de la directive 2000/29/CE modifiée, avec des exigences particulières pour la circulation des végétaux destinés à la plantation, à l’exclusion des semences de trois genres ornementaux : Chrysanthemum, Dianthus et Pelargonium (annexes IVAI et IVAII).
Mais à partir du 14 décembre 2019, un nouveau règlement sur la santé des végétaux (2) entrera en vigueur et devrait modifier le statut de la noctuelle méditerranéenne. Son caractère endémique dans le sud-est de la France et son potentiel de progression territoriale plaident pour un classement comme organisme réglementé non de quarantaine ORNQ), selon de récentes analyses de risque phytosanitaire (ARP). Dans ce cas, le papillon ferait quand même l’objet d’une surveillance des végétaux sensibles destinés à la plantation et de mesures de lutte préventives. Par ailleurs, S. littoralis reste à ce stade inscrit sur la liste d’alerte A2 de l’OEPP (3) et dans l’arrêté national du 31 juillet 2000 modifié, comme organisme contre lesquels la lutte est obligatoire de façon permanente sur tout le territoire.
Identification et risques de confusion
S. littoralis a une morphologie semblable à celle d’une autre noctuelle, S. litura, dite ver du coton. Mis à part l’organe génital du mâle adulte, seules les méthodes moléculaires de type PCR fournissent un moyen fiable de distinguer les deux espèces. Cependant, sauf en Irak, en Iran et au Pakistan, ces noctuelles occupent des zones géographiques distinctes. On peut par ailleurs confondre les dégâts de S. littoralis avec ceux d’autres noctuelles défoliatrices : Spodoptera exigua, Autographa gamma, Heliothis armigera…
Biologie et dégâts
Le cycle de développement complet de S. littoralis dure entre cinq et huit semaines, selon les températures et l’hygrométrie. Le papillon nocturne se nourrit de nectars floraux. Il peut émerger tôt au printemps en plein air, mais dès janvier-février en serre, avec un potentiel de ponte élevé, chaque femelle pouvant déposer de 1 000 à 2 000 œufs en paquets de 100 à 300 sur les parties basses des plantes, la face inférieure des feuilles, deux à cinq jours après leur sortie. Ces amas sont couverts de poils brun jaunâtre détachés de l’abdomen de l’insecte. La fécondité est inversement affectée par les fortes températures et la faible humidité.
L’éclosion se fait en quatre jours par températures douces, mais en onze à douze jours l’hiver. Six stades larvaires se succèdent en quinze à vingt-trois jours à 25-26 °C. Un stade supplémentaire peut avoir lieu en serre et le développement perdurer jusqu’à trois mois. Les jeunes larves (L1-L3) s’alimentent en groupe et broutent superficiellement les feuilles. Puis, les chenilles âgées (L4-L6) se dispersent et passent la journée dans le sol, sous la plante hôte. Au bout de deux semaines, les larves se nymphosent dans le sol entre 2 et 10 cm de profondeur pendant onze à treize jours à 25 °C. La diapause hivernale a lieu à ce stade. En fin d’hiver ou au printemps, un nouveau cycle reprend. On compte trois générations par an en extérieur, jusqu’à cinq, voire sept, sous serre.
Piégeage et surveillance
La détection précoce du ravageur se fait par piégeage phéromonal dans les cultures sensibles. Le réseau d’épidémiosurveillance Ecophyto est constitué de plusieurs lieux de piégeage dans les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône. Si les captures ne sont pas systématiques, les observateurs signalent localement de forts niveaux de population.
On constate d’ordinaire un décalage entre le piégeage sous abri et le plein champ pour une même zone géographique. Il est d’ailleurs nécessaire de placer des pièges dans les serres et abris pour enregistrer au plus tôt les premiers papillons. Ces derniers semblent fortement attirés par les endroits irrigués.
Lutte intégrée
Les mesures préventives consistent à ne pas importer de plantes provenant de lieux infestés, à vérifier l’état sanitaire des végétaux achetés, à refuser tout lot suspect, à désherber les abords des serres, à pailler le sol, à effectuer une surveillance par piégeage phéromonal et visuelle des cultures sensibles, à traiter à froid les boutures de chrysanthème et œillet (1,7 °C pendant dix jours), à équiper les serres de filets insect-proof. Certains traitements insecticides sont peu efficaces, le ravageur ayant développé des résistances avec des pyréthrinoïdes ou le Bacillus thuringiensis, dont l’efficacité est meilleure en soirée sur les jeunes larves.
On peut aussi appliquer des nématodes entomopathogènes Heterorhabditis bacteriophora, Steinernema carpocapsae ou S. feltiae. À l’avenir, le piégeage de masse (25 pièges/ha) et la confusion sexuelle pourraient compléter l’éventail des solutions de lutte intégrée.
Jérôme Jullien
(1) Nombre de générations engendrées par une espèce en une année.
(2) Règlement UE 2016-2031 du 26 octobre 2016, relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux.
(3)Organisation européenne et méditerranéenne de protection des plantes.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :