Et si le circuit court était le nouveau modèle recherché par le consommateur ?
Depuis plusieurs mois, les opérateurs de la filière notent une progression des ventes en pépinière et chez l’horticulteur, encore difficilement calculable avec recul. Éclairage sur les tendances du moment et à venir… Manuel Rucar, tendanceur de ChloroSphère
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Que ce soit par l’intermédiaire du bouche-à-oreille, en constatant l’augmentation de la fréquentation des journées portes ouvertes des sites de production ou encore en observant l’engouement des particuliers pour les foires aux plantes et ventes éphémères à travers les réseaux sociaux, le constat est partagé par de nombreux acteurs de la filière : la vente directe connaît un regain d’intérêt depuis quelques saisons.
S’il est encore délicat de mesurer cette progression au travers des chiffres officiels Val’hor/FranceAgriMer qui ont été remis à jour en 2018*, les premières enquêtes montrent effectivement une embellie. Si la vente directe progresse, alors que le chiffre d’affaires global de la filière stagne depuis 2013, après une chute depuis 2008, c’est que le volume de ventes s’est déporté depuis un autre foyer de consommation, le plus gros du marché : la grande distribution.
Pour comprendre ce phénomène, il faut retracer l’historique de ce secteur.
Grande distribution alimentaire : quand le modèle qui a inspiré les jardineries s’écroule
Initiée en 2015 aux États-Unis, la fin des grands malls commerciaux est aujourd’hui une réalité à travers le monde et joue l’effet domino. Alors que le consommateur est en recherche d’authenticité dans les produits qu’il achète et d’un point de vente « réenchanté », les géants de la distribution, qui sont restés sur un modèle historique de flux tirés en volumes, commencent à perdre haleine. Les reventes de parcs commerciaux et les récentes vagues de licenciements en témoignent.
Alors que les hypermarchés étaient plébiscités par la société, les médias et les politiques à l’apogée du règne de la société de consommation pour la facilité qu’ils offraient aux clients de regrouper ensemble tous les produits de première nécessité, ils sont maintenant attaqués de toute part. Leur évolution a nécessité de la diversification de rayons, ce qui s’est avéré un point majeur pour leur essor.
Voyant ce succès, des filiales et concurrents se sont positionnés sur de la grande distribution spécialisée, donnant naissance à toutes les franchises que nous connaissons actuellement pour chacun des rayons d’un hyper : jouets, beauté, prêt-à-porter, sport, hi-fi, électroménager et bien entendu les jardineries et animaleries. Ces acteurs, devenus de plus en plus puissants et légitimes, se sont à leur tour pris au jeu de la diversification. De nos jours, il n’est pas rare de trouver des jouets en jardinerie, des plantes dans une enseigne de décoration, des accessoires pour animaux dans un magasin de sport, etc. Ces modèles sont eux aussi attaqués par de nouveaux concurrents que sont les circuits courts et l’hyperproximité.
Quelles solutions pour demain ?
Les enseignes qui s’en sortent ont su diversifier leurs implantations, avec parfois des surfaces plus petites, ouvertes plus longtemps, avec, dans l’extrême, des caisses automatiques ouvertes presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, surveillées par un vigile et implantées au plus près des foyers de consommation.
Bien entendu, il n’est pas question de transformer tout le parc vers ce modèle, car les hypers restent très fréquentés et constituent une vraie aide au quotidien pour des millions de Français. Toutefois, c’est bien leur hégémonie qui s’effondre aujourd’hui. Il suffit d’observer la croissance exponentielle d’ouvertures de boutiques, primeurs, concept-stores, marchés ou échoppes, surtout dans les domaines évoluant autour de la nature, du bio et du faire-soi-même.
Le constat est sans appel : la distribution sera plurielle à l’avenir : des hypermarchés fonctionnels qui centralisent l’offre courante, des spécialistes encore plus pointus sur leur sujet et qui offrent une expérience d’achat, le e-commerce pour une comparaison aisée sur des produits techniques ou spécifiques, avec une recherche du meilleur rapport prix/livraison/délais, de la vente directe pour aller à l’essentiel une fois que le produit et/ou la marque sont ciblés par le client et enfin des commerçants de quartier, pratiques et flexibles, qui peuvent apporter la sérénité d’une fourniture ciblée en continu.
Quel est le futur point de vente ?
Que ce soit à travers la communication, les réseaux sociaux, les discours médiatiques ou politiques, il y a une tendance lourde qui transparaît et qui rassure le public, c’est celle d’une image plus proche de la nature, plus verte, plus authentique.
Ce n’est pas un hasard si Yves Rocher propose dans ses vœux à ses clients de se re-connecter à la nature, que deux nouveaux concurrents du Nutella se montrent sous un jour plus écologique ou si Aldi revoit sa baseline en faisant « place au nouveau consommateur », ciblant clairement les moins de 30 ans avec un discours « rupturiste » : « Les hypers, les supers, la grande distribution, les grandes marques... tout le monde n’a pas les moyens de tout s’acheter en grand. Un autre modèle est possible, plus proche des gens. Il suffit d’écouter la génération qui vient. » La marque U n’est pas en reste avec sa nouvelle campagne visant à démontrer son visage plus humain, ancré dans la vie quotidienne des habitants des territoires.
Du côté du non-alimentaire, le discours est certes amoindri mais bien présent. Le point de vente de demain aura une image plus nature, notamment dans sa forme.
Sébastien Durand, directeur du réseau de vente directe Horticulteurs et pépiniéristes de France (HPF), confirme que lorsque l’on interroge les jeunes générations sur les lieux d’achat où ils seraient prêts à acquérir des végétaux, ces derniers citent des espaces qu’ils ont l’habitude de fréquenter : un salon de coiffure-barbier, un bar, le hall d’entrée d’un espace de coworking… Pour eux, franchir les portes d’un fleuriste traditionnel ou bien d’une jardinerie n’est pas évident car cela représente des lieux fréquentés par une autre génération que la leur. Les prix pratiqués et l’approche commerciale ne correspondent plus tout à fait non plus à leurs valeurs.
Ces jeunes générations se retrouvent davantage dans ces boutiques que l’on a baptisées « jardineries urbaines », qui jouent la carte d’une rencontre avec un propriétaire qui les forme et qui met en avant un approvisionnement auprès de producteurs et artisans locaux. Ils apprécient également les ventes éphémères qui les invitent, via leurs réseaux sociaux, dans des lieux urbains, souvent atypiques et avec une politique tarifaire simple et une gamme qui correspond bien à leur habitat actuel.
Miser sur des éclairages plus doux, du mobilier en bois…
Le producteur local qui aura su intégrer ces nouvelles formes de distribution, de communication et qui aura su renouveler sa gamme sera certainement l’un des acteurs privilégiés par ces jeunes acheteurs. Pour ce producteur en vente directe, l’enjeu est d’acquérir ces nouvelles compétences assez rapidement, afin de montrer à sa clientèle cible le chemin de son exploitation. Individuellement, ce n’est pas évident, mais collectivement tout s’avère possible. C’est l’une des raisons qui ont poussé plus de 260 producteurs à se regrouper sous la marque label « Artisan du végétal ».
Afin de s’emparer de cette tendance, les commerces peuvent miser sur des éclairages plus doux, du mobilier en bois, des inclusions de végétaux, des matières naturelles et des gondoles moins hautes. L’esprit global de notre société tend à donner plus d’humanité à nos actions, plus d’authenticité. Pour exemple, si l’on interroge les clients réguliers des concept-stores qui fonctionnent et perdurent sur leur motivation de fréquentation, la majorité répondront une phrase en lien avec la personnalité de l’équipe. C’est bien le visage humain, l’humeur du personnel, la philosophie du gérant qui sont mis en avant dans l’affection que porte un client à sa boutique, là où les enseignes travaillent sur l’expérience client, la notoriété de leur MDD ou le merchandising expérientiel. Ce qui n’est pas possible chez l’un doit absolument être appuyé par l’autre. Dans un « idéal consommateur », le ou les points de vente de demain auront un aspect plus humain, un fonctionnement plus malléable et une atmosphère plus authentique. Des axes de vigilance à garder à l’esprit pour les distributeurs.
Quelle clientèle s’oriente vers la vente directe ?
Comme l’indique Sébastien Durand, « le consommateur change. Bien sûr, nous restons attentifs à notre clientèle historique qui constitue le cœur de notre valeur, mais nous voyons arriver sous nos serres des jeunes qui s’installent à la campagne et ont de nouveaux réflexes. Nous devons les comprendre, décoder pourquoi ils ne se retrouvent plus dans les commerces traditionnels et ce qui les motive à venir chez nous, parfois bien loin des villes. C’est capital pour notre avenir et nous mettons les moyens pour y parvenir, notamment en misant sur les réseaux sociaux et la construction d’une véritable stratégie digitale ».
Il est indispensable pour tout producteur en vente directe de bien comprendre les motivations que peuvent avoir ces clients qui leur rendent visite. Sans une appréhension rapide de ce phénomène et une adaptation tout aussi énergique, le risque est de voir ce potentiel énorme d’acheteurs s’orienter de nouveau vers d’autres acteurs. On estime actuellement que la clientèle historique du monde du jardin représente 11 % de la population sur la pyramide des âges. Dans le même temps, les nouveaux consommateurs intéressés par les produits nature en circuit court font partie de 48 % de la population de cette même pyramide... De quoi laisser rêveur tout chef d’entreprise !
*Le Lien horticole n° 1089 d’octobre 2019, p. 44- 45.
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