La végétalisation sur un boulevard, si...
Plébiscités pour résoudre les problèmes climatiques et écologiques des villes, les végétaux, arbres en tête, ont été les stars des élections municipales. Reste à voir comment la production – en particulier française – pourra en assurer la fourniture.
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Impossible de calculer combien les maires élus à la tête des municipalités au printemps dernier ont promis de plantations d’arbres. Cela se chiffre souvent par dizaines de milliers… Alors que de nombreuses interrogations ont émergé depuis plusieurs mois sur les espèces à planter, que les ravageurs, maladies et sécheresses répétées limitent de plus en plus la palette végétale adaptée*, les élus ne s’embarrassent pas d’écueils techniques. Ils affirment haut et fort, en exagérant à peine, leur volonté de transformer leur cité en forêt. Des discours de plus en plus audibles : les pics caniculaires ont sensibilisé les électeurs à la place de la nature dans leurs quartiers !
Un nouveau système urbain
Lors d’une conférence coorganisée par Salonvert, la FNPHP et Le Lien horticole, le 23 septembre dernier dans le cadre du Salon des espaces verts et du paysage, la question de savoir dans quelles conditions ces politiques ambitieuses pouvaient réussir a été posée. Pour Jean-Marc Bouillon, paysagiste, ex-président de la Fédération française du paysage et président du fonds de dotation Intelligence Nature, ces annonces sont le signe que « la nature devient infrastructure et la biodiversité fonctionnelle ». Selon lui, l’élévation des températures est irréversible. Or les villes ont été conçues, depuis la fin du xixe siècle, sur la base d’infrastructures monoservicielles : un réseau pour chaque usage. L’eau n’y échappe pas. Elle est évacuée par des réseaux de plus en plus imposants, mais néanmoins toujours plus saturés !
Aujourd’hui, selon lui, s’invente un nouveau système urbain, coconstruit avec les citoyens, mais surtout multiserviciel. Il montre comment les choses se passent à Singapour, qui a transformé un canal urbain en parc capable à la fois de capter, guider et infiltrer localement l’eau tout en offrant aux habitants un lieu de détente dès que le sol a ressuyé. La ville du Havre, en Seine-Maritime, traite dans son entrée de ville ses eaux de pluie via un réseau de noues aériennes. Aux Mureaux (78), en région parisienne, dans le cadre d’un important projet de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine de 35 M€, l’eau de pluie d’un quartier entier a été déconnectée du réseau d’assainissement.
« L’eau et le paysage sont liés, estime Jean-Marc Bouillon. C’est en trouvant comment installer de meilleures conditions de sol que l’on remettra de la nature en ville. » Et cette nouvelle nature urbaine doit être en capacité d’aider à l’infiltration, de rafraîchir l’atmosphère, de dépolluer... devenant ainsi une infrastructure multiservicielle.
L’arbre est aujourd’hui choisi en fonction de sa résistance à la pollution, à la sécheresse, de sa floraison, de ses couleurs d’automne… Demain, il devra être sélectionné selon d’autres critères : son coefficient d’ombrage, son apport à la biodiversité, sa capacité à rafraîchir l’atmosphère de la ville… Planter des arbres devra répondre à des questions techniques telles que : si je plante tant d’arbres de telle espèce, de combien la température ressentie au sol sera-t-elle abaissée ? L’indice de canopée, indiquant la surface d’ombre apportée par des arbres de trois mètres de hauteur au moins, va devenir essentiel.
Le défi est de taille, mais la filière pourra ainsi montrer qu’elle est indispensable, que planter n’est pas un exercice à la portée de tous, parce qu’une plantation est vivante et que le vivant peut mourir, comme l’a montré par exemple l’arrivée de la bactérie Xylella fastidiosa en Italie. Il faudra aussi impliquer le secteur privé, qui possède 80 % du foncier urbain. Ces surfaces peuvent contribuer aux plantations, pour peu que les propriétaires soient incités au travers d’une politique fiscale adaptée.
De nouveaux regards sur l’usage de la ville vont aussi changer la donne : si l’on réduit la place de la voiture, les stationnements pourraient être plantés d’arbres. « Quand la nature devient infrastructure et la biodiversité opérationnelle, on change de champ de compétence pour entrer dans celui de la technique et de l’innovation, celui de notre secteur », a conclu le paysagiste, estimant qu’il nous revient d’accélérer cette mutation.
Inventorier et planifier
Éric Stremler, directeur du centre de production horticole et arboricole de Grand Paris Sud-Est Avenir (GPSEA), estime que la société actuelle est dans une période de disruption entre deux mondes. « C’est ce qui s’est exprimé lors des municipales. On a une chance, les élus n’ont jamais autant parlé de nos métiers ! »
En revanche, il faut faire face à certains écueils. Faire du greenwashing, du préverdissement, comme on l’a fait pendant des années, ne marche pas. La palette végétale à utiliser – alors que le climat de demain n’est pas précisément configuré – n’est pas facile à établir. Et surtout, les gestionnaires ne connaissent souvent pas assez le patrimoine dont ils s’occupent. Le diagnostic est donc la clé de voûte de tout projet, celle qui permet de définir des politiques et de planifier des budgets.
Pourtant, estime Éric Stremler, les outils existent : les schémas de cohérence territoriale (SCoT), le Schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif), les plans locaux d’urbanisme (PLU), voire intercommunaux (PLUi), permettent de figer la place du végétal dans la ville. Mais les gestionnaires d’espaces verts ne sont pas encore assez consultés lorsque sont délivrés les permis de construire. Le Plan climat-air-énergie territorial (PCAET), enfin, aide aussi à définir des politiques durables de végétalisation du domaine public, grâce à sa portée juridique. Ces politiques doivent être définies en pluridisciplinarité, mais aussi en concertation avec les citoyens.
Le gestionnaire insiste sur l’importance d’inscrire les actions dans le temps. Il plaide pour l’inscription dès la mise en œuvre des projets de plans de financement, pour une concertation afin d’éviter que des concepteurs livrent des projets sans laisser au gestionnaire le mode d’emploi du suivi de chantier. En amont des plantations, les contrats de culture pourraient être des outils gagnant-gagnant entre collectivités et producteurs.
Une volonté, des écueils
Les promesses des élus sauront-elles éviter les écueils de la précipitation, rédhibitoires dès lors que l’on travaille avec le vivant ? Les économies réalisables – Jean-Marc Bouillon estime que traiter l’eau dans des noues paysagères coûte infiniment moins cher que dans une station d’épuration, par exemple – seront-elles affectées au financement des projets de plantation ? Pourra-t-on enfin mieux anticiper les cultures en pépinière, alors que le sujet est sur la table depuis des décennies sans avoir beaucoup avancé (lire l’encadré) ? Tout projet impliquant la filière horticole donne une furieuse envie d’y croire. Mais, comme toujours, il faudra juger sur pièce la volonté réelle des élus face aux réalités d’un secteur qu’ils connaissent en général bien mal !
Pascal Fayolle*Voir le dossier du mois de septembre (Le Lien horticole n° 1098, pages 28 à 37), prolongé par notre fil rouge (Le Lien horticole n° 1099, pages 26 et 27) et dans ce numéro, pages 26-27.
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