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Une maladie en expansion dans l'Hexagone Chancre coloré du platane : l’essence emblématique des villes en sursis

Le platane concentre de nombreux atouts - vigueur, port, longévité, tolérance au sec, ombrage de qualité - qui l’ont conduit à devenir emblématique depuis le xixe siècle pour les alignements de voirie, mais aussi sur les places et squares des villes et villages.

Le Groupement d’experts conseils en arboriculture ornementale et ses partenaires ont organisé un colloque international sur le chancre coloré du platane les 27 et 28 septembre derniers au siège de la SNHF, à Paris. L’occasion de se pencher sur certains aspects de cette maladie qui progresse inexorablement.

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La maladie du chancre coloré est causée par un champignon microscopique vasculaire, Ceratocystis platani, originaire d’Amérique du Nord, décrit pour la première fois en 1929. Dans un délai de deux à cinq ans, l’arbre atteint meurt inéluctablement, car aucun traitement n’existe à ce jour. Le pathogène touche des arbres en bonne santé, en pénétrant dans les tissus vivants à la faveur d’une blessure. Toutes les espèces de platane sont sensibles, en particulier celui d’Orient (Platanus orientalis), originaire du sud-est de l’Europe et du Proche-Orient, et le platane commun (Platanus x hispanica), hybride naturel entre le platane d’Orient et celui d’Occident.

© Yaël Haddad - Le Groupement d’experts conseils en arboriculture ornementale et ses partenaires ont organisé un colloque international sur le chancre coloré du platane les 27 et 28 septembre derniers au siège de la SNHF, à Paris.

Extension de la maladie sur le continent européen

Probablement arrivé par Marseille durant la Seconde Guerre mondiale, le chancre coloré n’a été détecté officiellement dans l'Hexagone qu’au début des années 70. Le département des Bouches-du-Rhône a été suivi par le Vaucluse et le Var, puis des foyers sont apparus dans le Rhône et l’Ain. Depuis le milieu des années 2000, l’extension de la maladie s’est accélérée dans le sud de la France dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie. Entre 2013 et 2017, le chancre coloré a été détecté dans huit nouveaux départements : Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Orientales, Isère, Drôme, Aveyron, Ariège. Depuis peu, la moitié nord de la France est également contaminée, avec des foyers détectés à Nantes (44) en 2019 et en Île-de-France : Antony (92) en 2019, Pantin (93) et Villejuif (94) en 2021, Créteil (94) en 2020 et 2022. La ville de Chartres (28) est touchée depuis 2022.

Sur le continent européen, les premiers signalements datent de 1972 pour l’Italie, 1986 pour la Suisse (dans le Tessin et à Genève en 2001), 2003 pour la Grèce, 2010 pour l’Espagne, 2014 pour l'Albanie et 2018 pour la Turquie (côté européen). « Il est probable que le pathogène soit également présent dans la partie orientale de la Turquie où il existe des forêts naturelles de platanes d’Orient et dans d’autres pays des Balkans », précise Marc Bardin, chercheur à l’Inrae d’Avignon. En Asie occidentale, il a été détecté en 1982 en Arménie. En Amérique du Nord, la maladie est aujourd’hui présente dans plusieurs États de l’est et de l’ouest américain.

Une détection qui devrait gagner en rapidité

« L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) développe et valide les méthodes d’analyse, forme et évalue les laboratoires agréés, confirme les nouveaux foyers. Le laboratoire départemental d’analyses des Bouches-du-Rhône est le seul agréé en France pour les recherches officielles sur Ceratocystis platani », explique Renaud Ioos, de l'unité de mycologie du laboratoire de santé des végétaux de l’Anses. Pour des arbres présentant des symptômes, la technique de détection s’opère à partir d’un échantillon de bois sur lequel on prélève des fragments mis en culture dans une boîte de Petri. La recherche du champignon se fait par identification au microscope. Pour une détection à partir d’échantillons plus gros ou plus complexes, il est nécessaire de recourir au piégeage biologique, technique mise au point par un chercheur de l’Inrae et validée par l’Anses depuis 1997. Le matériel à tester (carottes de bois, copeaux, sciures, terre, eau d’un cours d’eau traversant une zone contaminée…) est alors immergé dans un récipient rempli d’eau « aérée » dans lequel est plongée une baguette de platane écorcée saine (baguette « piège »). Après trois semaines d’incubation en salle confinée, la présence du champignon peut être confirmée au microscope.

Ces méthodes de détection sont jugées (trop) longues par les professionnels de terrain, alors qu’il existe d’autres protocoles qui permettraient de confirmer plus rapidement le caractère positif des échantillons et d’enclencher une gestion du foyer rapide. Ils font appel à l’analyse ADN et sont notamment développés dans des pays comme la Suisse ou l’Italie. L’Anses travaille actuellement à la validation d’un protocole de détection par PCR en temps réel.

© CD 31 - L’un des symptômes de la présence du chancre coloré, l’apparition d’une écorce craquelée.

Quelles essences pour remplacer le platane?

Une table ronde animée par Corinne Bourgery, du bureau d’études Citare, à Montélimar (26), a permis d’échanger sur le thème de la replantation en site contaminé. Le platane concentre de nombreux atouts – vigueur, port, longévité, tolérance au sec, ombrage de qualité – qui l’ont conduit à devenir emblématique depuis le xixe siècle pour les alignements de voirie, mais aussi sur les places et squares des villes et villages. « Au début des années 1990, il représentait 52% des arbres de la métropole et 75% des arbres gérés par la Ville de Lyon. Une proportion qui a diminué de moitié avec la diversification végétale engagée ces dernières décennies. Désormais, la stratégie est qu’aucune espèce ne dépasse 10% du patrimoine. Pour les genres, ce taux est fixé à 15% et à 25% pour les familles. La réflexion s’élargit aujourd’hui en abordant la diversification à l’échelon du projet avec une approche en camaïeu – une homogénéité d’aspect mais une diversité d’essences – et, à l’échelle de l’espèce, avec la recherche d’une diversité génétique, encore difficile à trouver en pépinière, car plus complexe à produire », précise Frédéric Ségur, service écologie à Lyon Métropole (69).

Avec le changement climatique, le choix de la palette arborée de demain pour les villes fait l’objet de nombreuses réflexions. « Si, globalement, le climat se réchauffe, avec une augmentation des phénomènes de sécheresse et des hivers plus courts, ces derniers ne sont pas toujours moins froids. Le plus important réservoir d’espèces adaptées à ces évolutions se situe en Amérique du Nord, dans les déserts d’altitude, entre la Californie, le Texas et le Mexique. Le platane hybride est irremplaçable, mais il pourrait être intéressant de se replonger dans la collection de platanes présente à l’Inrae de Montfavet, à Avignon (84), pour évaluer notamment Platanus racemosa, originaire d’Arizona, et Platanus wrightii, originaire du Mexique », explique Thierry Lamant, dendrologue, expert arbre conseil à l’ONF. Autres espèces mentionnées : Celtis australis, les ormes résistants, Acer cappadocicum, Acer monspessulanum, Sophora japonicum, sans oublier le genre Quercus.

Le long du canal du Midi, changement de paysage

Sans nul doute, la disparition du platane dans un nombre croissant de sites engendre un profond changement de paysage. L’exemple du canal du Midi, présenté au cours du colloque, est l’un des plus marquants. Il souligne les écueils pour diversifier la palette.

© Voies navigables de France - Avant l'arrivée de la maladie, les platanes formaient une voûte majestueuse au dessus du canal du Midi.

Au sein de ce site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, la voûte végétale qui encadre l’ouvrage hydraulique, sur plus de la moitié du parcours, était composée de majestueux platanes. Détecté en 2006, le chancre coloré n’a cessé depuis de faire son œuvre, malgré des mesures d’éradication et de prophylaxie strictes menées par le gestionnaire VNF (Voies navigables de France) : 30 490 sujets ont été abattus à ce jour, sur un patrimoine d’environ 43 000 arbres. Dès 2008, VNF a mis en place un comité de pilotage scientifique et technique pour réfléchir au renouvellement des plantations, en cherchant à concilier les enjeux patrimoniaux, économiques et écologiques. Avec l’appui des services de l’État et des collectivités territoriales concernées (Région, Départements, communes), une étude pluridisciplinaire a conduit à l’élaboration d’un « cahier de référence pour une approche paysagère et patrimoniale des plantations du canal du Midi » en 2012.

© Voies navigables de France - Le long du canal du Midi, l’abattage des platanes atteints par le chancre coloré modifie radicalement le paysage

Diversifier mais avec des espèces locales

Plusieurs principes ont été retenus : sélectionner différentes espèces afin de limiter les risques sanitaires ; conserver les structures arborées existantes disposant d’une forte valeur patrimoniale, comme, par exemple, les chênes pubescents du secteur atlantique ; maintenir un schéma de replantation symétrique de part et d’autre du canal sur l’essentiel du linéaire replanté. « Nous avons également identifié des secteurs permettant la plantation d’alignements doubles pour renforcer la monumentalité du site et choisi des espèces spécifiques pour souligner certains ouvrages comme les écluses. Des essences jalons – de première grandeur et propices à créer des voûtes végétales – ont été choisies pour constituer à terme la trame principale associée des essences intercalaires pour ponctuer ces unités majeures », explique Émilie Collet, responsable de l’unité Eau-Environnement à la direction territoriale sud-ouest. Dans la proposition initiale, les essences proposées comportaient des espèces locales, mais aussi exotiques, comme le copalme d’Orient, le pacanier, le caryer, le chêne des Canaries. Elles ont été adoptées pour leurs capacités à s’adapter aux conditions de sol, de climat et de bord d’eau, ainsi que pour l’absence de problématiques sanitaires connues. Mais les recommandations du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) ont finalement conduit à exclure toutes ces essences exotiques, pour des questions de biodiversité. « Au final, la palette est assez restreinte. L’essence jalon qui revient au fil du canal est le chêne chevelu, complétée par l’érable plane, le micocoulier, le tilleul, le charme houblon. Le peuplier blanc initialement retenu a été abandonné, car il s’avère sensible à de nombreux pathogènes », regrette-t-elle. À ce jour, près de 16 700 arbres ont été replantés et 57 km de berges restaurées. Un comité technique de suivi biodiversité est sollicité autant que de besoin pour suivre les orientations du projet de replantation et mettre en place les mesures adéquates lors des chantiers d’abattage (inventaire préalable, protocole de conservation temporaire de cavités, pose de nichoirs…).

© Voies navigables de France - L'abattage des nombreux arbres contaminés par le chancre coloré a modifié radicalement le paysage.

NB : La richesse du colloque ne nous permet pas d’aborder ici l’ensemble des sujets traités autour de la problématique du chancre coloré qui menace les paysages urbains, en particulier les difficultés rencontrées pour la gestion des chantiers en conformité avec la réglementation et la question de l’efficacité de plusieurs méthodes de désinfection du matériel. Pour en savoir plus, voir le numéro 180 de janvier-février de nos confrères de Matériel & Paysage.

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