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VÉGÉTAL DE DEMAIN Adapter pratiques et choix variétaux au dérèglement climatique

L’arbre à raisins (Hovenia dulcis), importé en France à la fin du siècle dernier pour ses fruits, a rencontré un échec commercial, mais c’est un champion nectarifère.

Verdir, avec pour fil conducteur de son 79e congrès « Plongez dans le végétal de demain », a cherché à explorer les évolutions possibles des espèces à planter.

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La 79e édition du congrès Verdir, qui s’est tenue les 26 et 27 juin à Brest (29), a réuni la filière horticole et pépinière autour d’une question centrale : « Qu’allons-nous produire demain ? » Les débats ont porté sur trois enjeux majeurs, dont l’adaptation des pratiques et des choix variétaux au dérèglement climatique*.

« Dunkerque va rassembler à Bilbao » : quid du végétal ?

« Le changement climatique est bien là », a souligné Marie-Pierre Cassagne, responsable de l’unité Recherche précompétitive de Végépolys Valley, s’appuyant sur les résultats du projet ClimatVeg. Bien que l’échelle d’étude soit locale, celui-ci vise à partager les connaissances sur l’impact du climat en agriculture et les solutions d’adaptation explorées. L’étude a notamment porté sur l’évolution climatique en Bretagne et Centre-Val de Loire. À Rennes (35), les températures actuelles sont comparables à celles de Bordeaux (33) dans les années 1980. Depuis lors, la tendance au réchauffement est nette : élévation des températures moyennes annuelles, hausse de la fréquence ou de l’intensité d’événements extrêmes. « La pluviométrie reste plus difficile à anticiper, avec une forte variabilité spatiale et interannuelle, mais on observe une diminution des précipitations estivales et une augmentation en hiver. »

> À lire également : "Les essais ClimatVeg analysés par Astredhor"

Le projet a développé un outil web cartographique visualisant le climat passé, le futur proche et lointain, et l’impact sur des indicateurs agroclimatiques sélectionnés, tel le nombre de jours de gel prévisibles par territoire.

Ingénieur agronome, auteur et apiculteur, Yves Darricau a détaillé le climat de demain : « C’est un peu comme si la Méditerranée montait jusqu’à Paris. Toute la côte atlantique, de Bayonne (64) jusqu’à Dunkerque (59), va prendre peu à peu le climat côtier du nord du Portugal. »

S’ajoute donc un changement paysager : « Vous imaginez bien que la flore de Dunkerque n’est pas celle de Bilbao aujourd’hui, de même que celle de Paris diffère de celle de Montpellier (34). »

Nourrir les pollinisateurs

Selon lui, « le changement climatique est responsable de la moitié de la perte de biodiversité en France depuis les années 1950 », en grande partie à cause du décalage et de la concentration des floraisons : 75 à 80 % des espèces fleurissent désormais un mois plus tôt, allongeant les périodes de disette estivale pour les pollinisateurs.

Les abeilles sont confrontées à de multiples menaces : parasites (varroa), prédateurs (frelon asiatique), pesticides, productivité des sols insuffisante pour la production de nectar… À cela s’ajoute la raréfaction et le manque de diversité des ressources florales : « Les abeilles ont besoin de trois pollens différents pour être en bonne santé », rappelle Yves Darricau.

Pour répondre à ce nouvel enjeu, il juge le végétal « local » insuffisant et recommande d’introduire des espèces issues de conditions proches du futur climat français : Californie et Texas pour la résistance au sec et au froid, Chine ou Japon pour les floraisons tardives, mais également l’Iran, l’Argentine, le Brésil. « Refaites la route de la soie à l’envers ! » Ce travail d’importation des horticulteurs s’est arrêté en 1950 avec l’acacia, « dernier arbre “exotique” qu’on a mis dans nos campagnes ».

Objectif : proposer des essences adaptées, ayant des phénologies de floraison décalées pour assurer une ressource alimentaire continue. Et Yves Darricau de citer quelques essences exemplaires : le robinier du Nouveau-Mexique (Robinia pseudo­acacia ‘New Mexico’), remontant ; l’arbre à miel (Tetradium daniellii) qui fleurit en août ; l’arbre à raisins (Hovenia dulcis), un champion nectarifère fleurissant fin juillet ou le châtaignier chinois (Castanea seguinii) qui fleurit et produit des fruits en continu pendant deux mois et demi.

Rafraîchir la ville

Les fortes chaleurs de cet été, surtout en août, ont mis en avant – pas suffisamment – l’intérêt du végétal pour ombrager les rues et les rendre plus vivables. Mais les arbres plantés dans nos villes il y a 150 ans n’ont connu ni les mêmes conditions de plantation ni le même climat que ceux plantés dans les années 2000. La mortalité accrue des arbres urbains invite à la réflexion, à la fois sur les conditions de sol (lire le dossier du mois de septembre en pages 24 à 30) et sur les gammes adaptées au dérèglement climatique.

Benjamin Pierrache, chargé d’études chez Plante & Cité, responsable des catalogues horticoles et des collections botaniques, a présenté le projet 'Avec' (Adaptation du végétal au climat de demain), porté par le Cerema, l’Ademe et Plante & Cité.

'Avec' vise à identifier les végétaux les plus adaptés aux conditions climatiques futures et à mettre à disposition des outils d’aide à la décision pour la végétalisation urbaine. Né en 2023 pour une durée de vingt mois, ce programme a permis de constituer une base fiable de données sur pas moins de 2 100 taxons ligneux.

Les critères étudiés sont la vulnérabilité climatique, le potentiel de rafraîchissement (ombrage, évapotranspiration) et le stockage du carbone. Pour chacun, une note sur cinq indique le potentiel de la plante. Des lacunes subsistent con­cernant les végétaux de petite taille, grimpants et herbacés, souvent absents des bases. Les strates basses sont souvent les oubliées de la thématique « fraîcheur en ville ». Une chose est sûre : « Il n’existe pas de champion universel, note Benjamin Pierrache. Certains végétaux résistent bien au sec mais offrent peu d’ombrage, ou inversement. »

Les données sont disponibles sur Floriscope (onglet « changement climatique » dans « Description détaillée de la plante »). Elles sont en cours de trans­fert dans l’outil Sésame du Cerema. Destiné en particulier aux collectivités, cet outil aide à identifier les espèces le plus susceptibles de produire les services attendus pour des projets d’aménagement ou de végétalisation.

> À lire aussi : "Arboscore : mesurer les services écosystémiques d’un projet arboré"

En complément, Plante & Cité travaille sur le montage du projet Entomoflore, qui évaluerait l’intérêt nutrition­nel des végétaux.

Climat, végétal et services écosystémiques

Le règlement européen sur la restauration de la nature (2024) fixe des objectifs ambitieux pour rétablir la biodiversité et la résilience des écosystèmes, créant un marché en forte croissance pour le génie écologique (estimé à 1,7 milliard d’euros en 2024). Les infrastructures paysagères sont en mesure de répondre à de nombreux enjeux en lien avec le dérèglement climatique : circuit de l’eau (restauration des cours d’eau, gestion des inondations et du ruissellement…), sols (érosion), biodiversité (préservation, gestion des envahissantes), voire ralentissement des incendies…

> Sur le même sujet : "Adapter les pratiques de gestion… et en parler !"

Mais le marché du génie écologique, en demande de végétaux labellisés « Végétal local », a des difficultés d’approvisionnement car peu de pépiniéristes peuvent répondre à la demande globale. Des modèles économiques restent à trou­ver. Des discussions s’imposent entre pépiniéristes et maîtres d’ouvrage afin d’anticiper les besoins et de sécuriser les commandes.

*Les deux autres enjeux étaient : répondre à l’évolution des marchés et des attentes sociétales ; saisir les opportunités offertes par l’intelligence artificielle, les filières émergentes et la diversification.

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