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Biodiversité en ville, de la réflexion à l’action

Le vivant peut avoir sa place en ville, comme dans le Bois habité, à Lille (59), où 50 % du sol a été gardé perméable dans une zone où pourtant 350 logements ont été construits. Même si le procédé n’est pas forcément duplicable partout, l’opération montre qu’il est possible de concevoir autrement. L. HESPEL

Apporter plus de vie dans la cité implique des changements de mode de conception, tant du bâti que de ce qui l’entoure. Des exemples de réalisations concrètes existent déjà.

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Dans le cadre d’un cycle de conférences sur le thème « 10 ans pour tout changer, 10 soirées pour en parler », le CAUE* de Paris a proposé le 6 mai dernier un rendez-vous sur le thème « Biodiversifier nos villes ». Objectif des organisateurs : voir « comment faire cohabiter les citadins avec la faune et la flore ».

Les débats ont été ouverts par Chris­tophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris en charge des transports, de la voirie et de l’espace public. Dans la capitale, depuis 2018, un plan biodiversité a été élaboré, dont la mise en œuvre « est bien avancée ». Ce plan colle à deux orientations de la mandature, protéger et développer l’habitat pour permettre le déploiement du vivant et végétaliser la ville. Pour le premier volet, il précise que « même dans une ville minérale, il y a de la biodiversité ». La Ville a réalisé un recensement et un annuaire des espèces présentes, soit presque 2 800 animaux. Selon lui, l’adoption du zéro phyto y est sans doute pour quelque chose. La municipalité va demander aux propriétaires privés d’en faire de même. La labellisation EcoJardin pour pas moins de 90 % des parcs et jardins­ parisiens joue aussi pour le maintien du vivant.

Mais certaines populations ont décliné, parmi elles les moineaux. Selon l’élu, il faut rétablir les habitats de ces volatiles pour qu’ils puissent reconquérir la ville, avec des haies, des buissons, etc. Le bâti doit aussi encourager la nidification. Des immeubles à biodiversité positive sont à l’étude, un centre de soins pour les hérissons a ouvert dans le bois de Vincennes… Un travail sur le PLU** est en cours, parce qu’il n’est pas assez­ protecteur pour les arbres ni suffisant­ pour « débitumer » (100 ha d’enrobés sont promis à la destruction). Différentes essences devraient prendre davantage de place dans l’espace laissé vacant.

La nature est d’accord pour vivre avec nous !

Gilles Clément était le deuxième invité­ de cette conférence. Le paysagiste que l’on ne présente plus, inventeur de la notion de « tiers pay­sage », qui préconise de faire plus avec la nature et moins contre, est parfaitement à son aise sur le thème de la biodiversité. « Dans n’importe quel projet, il faut s’interroger sur ce qu’est le vivant en amont et voir ce qu’il faut mettre en place pour que cela perdure, explique-t-il. Si nous sommes partants pour vivre avec la nature, elle est d’accord pour vivre avec nous ! Mais nous l’avons mise à distance : nous faisons la distinction entre bonnes et de mauvaises espèces. La terre est un espace clos, nous ne pourrons consommer toujours plus et faire tout ce que nous voulons. Les espèces sont liées les unes aux autres, les barrières n’existent pas. »

Le tiers paysage, concept dans lequel la dynamique des espèces est libre, mène vers la forêt si on ne fait rien. Et celle-ci est utile à tous, car elle fournit de l’oxygène. Les lieux d’abandon sont des trésors, poursuit celui qui a réalisé des relevés de friches dans plusieurs villes françaises, comme Nantes (44) et Mont­pellier (34). Selon lui, il faut laisser pousser la nature au pied des arbres, un milieu plein de richesse, et arrêter les souffleuses. Choisir des es­pèces qui peuvent se développer à l’échelle de la rue, sinon il faudra les tailler et l’opération tournera souvent au massacre. Il recommande d’arrêter les monocultures d’arbres alignés… et enfin d’accepter les animaux. D’autant que certains d’entre eux, comme les moutons, participent à l’entretien !

Gilles Clément insiste également sur la notion de jardinier, capitale pour bien gérer les espaces. Il la préfère au terme de concepteur paysagiste, le jardinier étant celui qui sait quel végétal planter et que conserver lorsqu’on entretient.

Le végétal pour retrouver des interactions avec le sol

Olivier Philippe, paysagiste au sein d’Agence TER, a bouclé cette conférence en présentant des projets répondant à des objectifs de préservation de la biodiversité. Il rappelle que si la ville représente 20 % du terri­toire national, l’habitat dense n’en constitue que 5 %, et c’est là que travaillent les paysagistes, là où les sols sont stérilisés, anthropisés. Or, « pas de sol, pas de vivant », estime le paysagiste, pour qui le tiers des orga­nismes se trouvent sous terre et ont de nombreuses interactions avec les deux autres tiers.

« On est à la fin du tout-automobile, pense-t-il, la façon de vivre en ville change. » Les pelouses sont aujourd’hui accessibles, on fait davantage de place aux vélos et aux piétons. Pour lui, le végétal est fondamen­tal : lorsqu’on imperméabilise un sol, on stoppe ainsi les interactions entre la vie souterraine et la surface, alors que les arbres améliorent au contraire la situation.

Mais le vivant peut avoir sa place dans le béton, comme au Bois habité, à Lille (59) : 50 % du sol a été laissé­ perméable là où 350 lo­ge­ments ont été construits, ce qui, en plus, faci­lite la gestion des eaux pluviales.

Olivier Philippe estime que ce n’est pas duplicable partout, qu’il s’agit plutôt d’un manifeste. Mais l’opération démontre qu’il est possible de concevoir autrement. À Barcelone, en Espagne, son agence a travaillé sur la place des Gloires-Catalanes, un nœud routier devenu un espace hybride entre une place et un parc, où une grande canopée a pu être installée dans un sol en continu, malgré la forte présence de moyens de transport en sous-sol. La biodiver­sité y a gagné, même si certains se plaignent quelquefois du bruit des grillons, la nuit !

Pascal Fayolle

*Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement.

**Plan local d’urbanisme.

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