Matière première Le dur chemin des alternatives à la tourbe
L’utilisation de cette matière première est de plus en plus décriée, alors que les besoins en substrats augmentent constamment. Est-il possible de s’en passer ?
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La qualité des substrats joue un rôle majeur sur la croissance des végétaux : rétention de l’eau, pH, aération... La tourbe a longtemps été plébiscitée pour ses nombreux atouts techniques. Mais son bilan carbone est très mauvais. Les tourbières constituent d’excellents puits de carbone. De plus, son extraction est l’une des principales causes de disparition ou de dégradation de certaines zones humides.
Quelques pays essaient bien d’en restreindre, voire même d’en interdire, l’usage. D’autant plus que la tourbe est avant tout utilisée pour le chauffage, et dégage donc du CO2 en brûlant. Mais la mise en pratique est compliquée, et la crise de l’énergie n’aide pas à accélérer le processus. Ainsi l’Irlande, qui devait mettre fin à l’exploitation de ses tourbières (en majorité pour le chauffage en zone rurale), a rétropédalé cet été face à la hausse des prix de l’énergie. En France, une proposition de loi* avait été déposée en 2020 afin d’interdire l’extraction comme l’importation de tourbe. Elle n’a jamais abouti.
Depuis plusieurs années, une certification permet d’attester que les tourbières sont exploitées de façon responsable : c’est la RPP (Responsibly Produced Peat). L’exploitation doit avoir un impact minimal sur les zones alentour et garantir le respect de l’environnement. Après l’exploitation, le producteur doit revaloriser le site en un écosystème de haute qualité. Les fournisseurs français de substrats y adhèrent en majorité.
Toutefois cette exploitation durable n’est pas suffisante à long terme, d’autant plus que la demande en substrat devrait augmenter dans les années à venir.
Des disparités selon les végétaux concernés
Pépiniéristes, horticulteurs, services d’espaces verts ou particuliers n’ont pas les mêmes besoins concernant les substrats. Certains peuvent diminuer fortement les pourcentages en tourbe, voir s’en passer à condition d’adopter certaines pratiques culturales.
Du côté des particuliers, il n’y a que pour les plantes en pot, sur les terrasses ou balcons, qu’il est difficile de s’en passer. « Pour les substrats destinés à la pleine terre, cela fait bien longtemps qu’on ne met plus de tourbe, témoigne Alain Thomas, acheteur terreau pour l’enseigne Botanic. Le seul problème, c’est la rétention en eau pour les bacs en extérieur, surtout lors d’étés très secs. »
Chez les professionnels, ce sont les horticulteurs serristes à se montrer les plus gourmands. Pas loin de 80 % du total du substrat, voire plus. La tourbe est difficile à remplacer, encore une fois pour ses pouvoirs de rétention de l’eau. Mais elle s’avère surtout indispensable pour certains usages, à l’exemple des semis et des jeunes plants. Les pépiniéristes utilisent des substrats avec des pourcentages en tourbe beaucoup moins importants. Les services des espaces verts peuvent également travailler avec des proportions plus réduites qu’en production horticole.
Des tentatives pour la limiter dans les mélanges
La station du Ratho d’Astredhor, à Brindas (69), a réalisé depuis 2020 des essais pour restreindre la part de tourbe dans les substrats horticoles, tout en conservant la qualité de la production. Des substrats avec 50 % de tourbe, ou sans tourbe, ont ainsi été testés pour la culture de lobélies, diascias et verveines. Résultat : les tests montrent que la réduction de la quantité de tourbe est synonyme de moindre qualité des productions et d’un plus faible développement racinaire.
« Les écarts en matière d’enracinement se creusent au début de la culture », note David Vuillermet, responsable d’expérimentation à la station. De plus, « les alternatives à la tourbe retiennent moins d’eau, par conséquent on arrose moins mais plus souvent, ce qui nécessite une adaptation pour le producteur ». Sinon se présente un risque d’arrosage excédentaire et de lessivage des éléments nutritifs. D’autres essais sur des plantes de pépinière se sont en revanche montrés très satisfaisants, avec 30 % de tourbe dans le mélange.
Si baisser drastiquement la part de tourbe dans les terreaux horticoles semble difficilement réalisable aujourd’hui, les fabricants tentent tout de même de la réduire progressivement. « Notre objectif est de proposer des substrats enrichis à hauteur de 30 % de matières premières alternatives d’ici 2025, indique Lionel Debauge, qui est cogérant de Klasmann-Deilmann France. L’année dernière, nous étions à 14 % de matières alternatives locales pour nos usines en mer du Nord. Fin août de cette année, nous atteignions 19,5 %. » L’entreprise avait lancé un processus d’enrichissement (fibre de bois, compost…) nommée « stratégie Advanced ». La crise actuelle a fonctionné comme un accélérateur (lire pages 32-33).
Par quoi la remplacer ?
Mais si l’on réduit la proportion de tourbe dans les mélanges, par quoi la remplace-t-on ? La fibre de coco pourrait être une solution simple. Mais si son bilan carbone s’avère meilleur que celui de la tourbe, nonobstant son importation de régions lointaines et le transport maritime, elle pèche sur d’autres sujets. Notamment en matière de conditions de travail et de pollution de l’environnement.
Chez la plupart des fournisseurs, les fibres de bois, l’écorce et les composts représentent des pistes. Certaines fibres de bois sont de plus en plus performantes quant à leur faculté de retenir l’eau, par exemple.
De nombreuses autres pistes sont à l’étude. Le biochar – charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de biomasse – pourrait être ajouté à des supports de culture afin d’améliorer le drainage. Mais son coût est élevé.
La Ville de Roubaix (59) a testé cette année l’ajout de zéolite chabasite, un minéral volcanique, dans des bacs pour accroître la rétention en eau (environ 30 % du mélange dans la partie supérieure), pour des résultats plutôt satisfaisants.
Autre idée, la fibre de sphaigne. Elle est déjà utilisée dans certains substrats pour remplacer en partie la tourbe. Elle en aurait les avantages, tout en étant écoresponsable. Mais la disponibilité de ces matières premières est pour le moment limitée.
Mais quelles que que soient les solutions retenues, complémentaires ou non, la transition sera longue et doit être anticipée en amont. « Il ne faut pas promettre à la filière des choses que l’on n’est pas capable de tenir », estime Lionel Debauge.
Des gammes sans tourbe
Des gammes exemptes de tourbe sont d’ores et déjà disponibles. Des entreprises pionnières se sont lancées dans ce créneau il y a plusieurs années. En France, c’est le cas de Florentaise, qui décline une gamme de terreaux pour les particuliers et les professionnels. « Au début, on riait un peu au nez du PDG. Maintenant, beaucoup de fournisseurs tentent eux aussi de fabriquer des gammes sans tourbe », relate Marion Pierchon, responsable marketing chez Florentaise. Environ 5 à 10 % de leurs clients en production, espaces verts ou collectivités travaillent avec ces substrats « sans ». Leurs autres produits en contiennent une part limitée, grâce au développement d’une fibre de bois depuis le début des années 2000. Mais, selon l’entreprise, passer au 100 % sans tourbe pour tous les professionnels n’est techniquement pas encore réalisable.
La généralisation des substrats sans tourbe pour tous les usages n’est pas pour demain. Néanmoins la filière réfléchit depuis plusieurs années à des alternatives, pour une transition en douceur.
Léna Hespel
*Proposition de loi nº 3291 relative aux solutions fondées sur la nature afin de protéger la ressource en eau.
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