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Garder le savoir-faire malgré l'arrivée d'un handicap

« D'un commun accord, avec l'aide du Sameth, du médecin du travail, puis du Fafsea, à partir du moment où il était possible de réorganiser l'équipe et les chantiers, nous avons convenu que Fabrice pouvait garder son poste, plus orienté vers le management », explique Laurent Nouillot, directeur général de la SAEV (à gauche), ici aux côtés de Fabrice Chauliaguet, employé depuis 1984 au sein de l'entreprise, dont plus de vingt ans en tant que chef d'équipe.

La Société d'aménagement des espaces verts, basée à Sillingy, en Haute-Savoie, a pris le parti de conserver un chef d'équipe à son poste alors qu'il ne pouvait plus assumer de travail physique à la suite d'une chute. Des aménagements ont été mis en place avec l'aide d'organismes spécialisés...

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Le pari était risqué, d'autant plus pour une entreprise privée répondant à des exigences de rentabilité. Mais l'expérience a montré qu'après concertation et avec l'appui de plusieurs organismes spécialisés, des solutions existent pour maintenir à son poste une personne diminuée physiquement. Une décision, judicieuse économiquement et socialement pour l'entreprise comme pour le salarié concerné, a été mise en place en plusieurs étapes.

Licencier le salarié

LE RECOURS ULTIME

Fabrice Chauliaguet, 48 ans, est salarié de la Société d'aménagement des espaces verts (SAEV), - installée à Sillingy, en Haute-Savoie -, depuis 1984 et chef d'équipe depuis plus de vingt ans. Victime d'une chute survenue fin 2010 dans le cadre de son travail, il souffre, depuis cette date, de fortes douleurs dans le bas du dos (névralgie au niveau du nerf pudental). Les efforts physiques, la manipulation de charges lourdes, la conduite d'engins vibrants sont devenus, pour lui, impossibles à effectuer. Face à ce constat, il n'était donc pas envisageable qu'il puisse reprendre son poste... Cette inaptitude nouvelle représentait une remise en question totale de son avenir professionnel. Et pour l'entreprise, le risque de perdre un collaborateur détenant des savoir-faire et une longue expérience. Dans l'intérêt des deux parties, le licenciement ne pouvait être envisagé qu'en dernier recours. Et créer un nouveau poste de travail de bureau n'était économiquement pas concevable non plus, un nouveau collaborateur ayant rejoint l'entreprise peu de temps auparavant.

Le Service d'appui au maintien dans l'emploi de travailleurs handicapés (Sameth 74) a été sollicité par le médecin du travail pour aider l'entreprise à dégager des pistes d'actions. Le constat était clair : « La perte de facturation de l'équipe à la suite de l'arrêt de travail de Fabrice était difficilement quantifiable, mais nous l'estimions importante car il avait su fidéliser certains clients : particuliers, architectes..., explique Laurent Nouillot, directeur général de la SAEV. Son rôle en termes de renseignements sur le métier était primordial en raison de ses connaissances techniques. De plus, il avait su insuffler à ses gars un esprit d'équipe, d'entraide, conforme à l'entreprise et à l'esprit Scop (société coopérative de production et participative). Cet esprit particulier, partagé par l'ensemble de mes collaborateurs, et le fait que Fabrice faisait partie du conseil d'administration (CA), nous ont poussés à étudier toutes les possibilités qui s'offraient. Dans une entreprise classique, la démarche aurait sans doute été différente. »

Aménager le poste

LA CONDITION IMPÉRATIVE

Partant du constat que l'entreprise risquait de perdre une ressource importante en matière de compétences et de relations professionnelles, la solution proposée par le Sameth, et qui a retenu l'attention de l'ensemble du CA, était de maintenir le chef d'équipe à son poste moyennant un aménagement pour réduire les tâches physiques. L'achat de matériel spécifique, pour limiter les vibrations et les efforts physiques, a tout d'abord été étudié. Mais rapidement, il s'est avéré que, vu son état de santé, Fabrice Chauliaguet devait être entièrement déchargé de ces tâches. « En accord avec lui, avec l'aide du Sameth, du médecin du travail, puis du Fafsea (fonds d'assurance formation pour les salariés des exploitations agricoles), nous avons estimé qu'à partir du moment où on réorganisait son équipe, Fabrice pouvait rester en place : il conserverait le management, mais ne pourrait plus assumer le port de charges ni la conduite d'engins qui seraient effectués par une personne spécialement embauchée et formée pour le soulager. » Cette personne a été recrutée en août 2011, puis elle a suivi une formation permis poids lourd et CACES. Pour ce recrutement et les frais de formation, des aides financières ont été accordées par l'Agefiph, - ouvrir l'emploi aux personnes handicapées - (1), et le Fafsea (2). Le chef d'équipe étant par ailleurs reconnu RQTH (reconnaissance de qualité de travailleur handicapé), l'employeur a vu sa contribution Agefiph annuelle diminuée.

Redéfinir la place de chacun

UNE MISE À PLAT NÉCESSAIRE

Fabrice Chauliaguet a repris le travail en octobre 2011 après neuf mois d'arrêt. « Le positionnement de chaque salarié n'était pas évident, poursuit Laurent Nouillot. Dans le monde agricole et le paysage, la capacité aux efforts physiques est toujours mise en avant, au même niveau que les compétences techniques. Un chef d'équipe n'est pas uniquement perçu au travers de son ancienneté et de ses connaissances, mais aussi de son travail sur les chantiers. » Les relations au sein de l'équipe ont été difficiles au départ. Fabrice Chauliaguet restait tenté d'accomplir des tâches physiques. Associée au sentiment de culpabilité, cette envie a provoqué le retour des douleurs, qui l'ont contraint à de nombreux arrêts de travail. Au bout de trois mois, il a fallu remettre les choses à plat et redéfinir la place de chacun, accepter et comprendre qu'il était primordial de décharger le chef d'équipe de toutes activités physiques. Ce dernier a dû apprendre à mieux déléguer. « Cet aspect psychologique ne doit pas être négligé. Et payer quelqu'un à 100 % ne présentant pas 100 % de ses moyens physiques était un choix courageux de notre part. On peut comprendre que cela ait pu choquer ou heurter autant les autres salariés que la personne concernée qui, se sentant affaiblie physiquement, pouvait ne plus se considérer à la hauteur des autres chefs d'équipe... Ce qui est loin d'être le cas », confirme le directeur.

Ce travail de fond a été concluant : l'équipe a retrouvé sa sérénité et depuis deux ans, Fabrice Chauliaguet n'est plus contraint aux arrêts maladie. Il reconnaît que les membres de l'équipe sont très vigilants et lui interdisent de porter ou d'utiliser les engins, ne lui réservant que des tâches légères. Économiquement, l'équipe a retrouvé le montant de facturation et la marge bénéficiaire d'avant l'accident, malgré l'embauche d'une personne et un coût annuel supplémentaire, pour l'entreprise, de 30 000 à 35 000 euros. Pour permettre au chef d'équipe de n'assurer que le management, il a fallu mettre en face des chantiers d'envergure « grands espaces » et des chantiers de longue durée, avec des équipes élargies (quatre et cinq personnes en moyenne, et jusqu'à seize personnes, soit 2 000 à 2 500 euros de facturation par jour, hors fournitures, et jusqu'à à 4 000 euros par jour). « Envoyer une équipe de cinq personnes, dont une pour le management, sur de petits chantiers n'aurait eu aucun sens. »

Même si le volet social est très poussé au sein de la Scop, avec notamment le respect du pourcentage de travailleurs handicapés, ce dénouement n'aurait pas été possible sans l'appui de la Sameth et du médecin du travail, ni sans l'aide financière de l'Agefiph et du Fafsea. « Nous n'aurions certainement pas eu la même réponse si la personne avait été plus jeune ou avec seulement quelques années d'ancienneté », précise toutefois le directeur.

Claude Thiery

(1) Aide ponctuelle : 9 150 euros de l'Agefiph. (2) Aide ponctuelle pour former l'assistant du chef d'équipe : 4 018 euros par le Fafsea + une aide bilan de compétences pour Fabrice Chauliaguet de 628 euros. Témoignages de la Sameth 74, du médecin du travail, de la délégation régionale Agefiph Rhône-Alpes et du Fafsea sur www.fafsea.com/handi/index.html

La conduite d'engins ou le port de charges sont désormais assumés par une personne qui a été spécialement embauchée et formée à cet effet. Ainsi, le chef d'équipe n'a plus à craindre les douleurs au dos et les arrêts de travail successifs...

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