Formation technique : le pari de l'autonomie totale au lycée de Gignac
Avoir en mains les clés d'une exploitation horticole : c'est l'enjeu fixé aux élèves de première année de BTS « Productions horticoles » du lycée de Gignac, dans l'Hérault. Lancée il y a quatre ans, l'expérience a trouvé son rythme de croisière afin de former des managers capables de prendre des décisions, de diriger, et de trouver des solutions aux problèmes qui se posent.
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Comment préparer des élèves de BTS « Productions horticoles » à leurs futures fonctions ? « Il faut répondre aux questions : Qu'attend-on d'un BTS ? Quel profil cible-t-on ? Et les placer en situation professionnelle, c'est-à-dire en quasi-totale autonomie », répondent Paul Milhau et David Cussol, respectivement professeurs de technique horticole et d'économie-gestion au lycée horticole de Gignac. En 2007, tous deux ont pris à la lettre le référentiel et la philosophie du nouveau BTS horticole qui mise sur la capacité à gérer plusieurs tâches d'une entreprise : production, gestion, calcul des coûts, des prévisionnels, gestion d'une trésorerie... « Autrefois, on enseignait tout par matières scindées. Or il faut comprendre que tout est lié. Mettre d'emblée les élèves face à leur futures responsabilités, cela donne du sens à l'enseignement », affirme David Cussol qui poursuit : « Il faut que les élèves prennent conscience du coût de tout ce qu'ils utilisent (plantes, intrants), qu'ils sachent choisir les équipements nécessaires en fonction de leurs choix culturaux (comme un écran d'ombrage adapté). » C'est un pari osé car les élèves arrivant en première année sont, en majorité, issus d'un bac général ou d'une formation post bac. La plupart n'ont donc pas de connaissances préalables en horticulture. Mais les enseignants parient sur les connaissances et les compétences des différentes composantes de la classe.
Dès les premiers cours de technique les élèves apprennent qu'ils vont devoir « se débrouiller ». Ils disposent de deux après-midi par semaine dédiés aux projets durant lesquels ils doivent s'organiser. Les professeurs ne sont pas forcément présents mais toujours disponibles si besoin (soirées, week-ends et vacances compris). Bénéficiant du parrainage et des conseils des élèves de seconde année, ils doivent choisir leurs cultures, trouver des fournisseurs de jeunes plants et d'intrants (*), si besoin contacter un représentant pour faire évoluer les équipements de la serre, négocier des devis, mettre en culture, réparer (changer des vitres, gérer une fuite d'eau...) ou faire appel au service technique du lycée ou à un réparateur, trier les déchets... et se répartir les tâches et les responsabilités.
Pour les plantes fleuries et potagères, ils ont été renseignés par Thibaud d'India, représentant indépendant, en particulier sur les modes et les tendances du marché. Au-delà des plantes de base (géraniums, verveines, salades), ils ont choisi de nouvelles productions avec lui : les gauras et les cléomes pour leur résistance à la sécheresse au jardin, les euphorbes pour leur longue floraison dès mars et toute la saison, et des plants maraîchers greffés. Un autre fournisseur les a aidés pour les agrumes.
Une association pour gérer l'exploitation
En 2008, une association a été créée : Hortignac. De loi 1901, elle permet aux élèves de gérer entièrement l'exploitation du lycée. Ils doivent arriver à répondre aux deux questions : Comment produire ? Comment vendre ? Ce statut juridique leur permet une totale autonomie financière. À dix, ils sont leur propre chef d'exploitation, avec tous les problèmes d'un responsable d'entreprise et d'équipes. Ils ont un carnet de chèque, font leurs devis et achats, financent leurs supports de communication... Ce type de structure passe bien auprès des producteurs locaux puisque les élèves tiennent les prix du marché. Il y a même de l'entraide quand les uns ou les autres manquent de produits. À la rentrée, pour leur fonds de roulement en début d'exercice, ils peuvent être amenés à emprunter auprès du directeur, Jean-Luc Caumil, en fonction du bilan laissé par la promotion précédente et des exigences d'investissements dues aux cultures choisies : « Le lycée prend en charge le chauffage et le transport par camion (si nécessaire) mais rien d'autre. Je fais volontiers office de banquier. Les élèves doivent présenter un projet logique, argumenté, et le refaire s'il n'est pas assez pertinent. Cette année, j'ai prêté environ 6 000 euros à ce groupe qui nous a paru d'emblée très dynamique. Nous mettons nos élèves dans des conditions professionnelles. Et je serai remboursé cette année encore ! »
Après le paiement des charges et le remboursement de l'avance, le bénéfice devient la récompense avec laquelle ils peuvent se payer un voyage d'étude, la destination et la durée du voyage dépendant du résultat. C'est une motivation et une bonne raison pour « peser » le coût de chaque dépense. Cette année, la classe est très contente : avec 11 000 euros de chiffre d'affaires, moins l'emprunt, les élèves vont disposer d'environ 500 euros par personne. Ils prévoient de partir quinze jours en Tunisie, à la Toussaint 2012. Ils pourront payer le vol, loger chez l'habitant, aider à mettre en place un jardin, et visiter des exploitations... Leurs éventuels stocks en fin d'année seront donnés à des associations ou revendus à la promotion suivante.
« Au final, la technique n'est vraiment pas le plus dur. Ce serait presque accessoire même », affirment les étudiants en coeur. « On peut trouver facilement les informations utiles. La communication et l'organisation entre nous (relations humaines) est un exercice à appréhender peu à peu, qui se gère sur la durée : il n'y a pas de livre pour cela. » Selon Nathan Lapeyre, le plus difficile a été la gestion du temps et des imprévus : il faut être très polyvalent. En général, le plus dur a été la gestion des commandes : « Si nous nous présentons en tant qu'association d'élèves, nous ne sommes pas vraiment pris au sérieux. Cela n'a pas été facile pour les devis par exemple. » Manon Maymard confirme : « J'ai eu de véritables problèmes avec la gestion des commandes : peu de respect des délais de livraison, ni de l'authenticité des cultivars commandés, ceci sans prévenir, sans explications. Difficile d'anticiper dans ce cas ». Le plus intéressant pour ces jeunes reste la communication : « Nous communiquons directement avec le nom de l'association. Nous avons notre propre logo, notre adresse sur les demandes de devis et les factures, ainsi que notre ligne téléphonique, notre catalogue... », précisent Kentin Bardin et Stéphane Bartout. « Nous devons apprendre à mettre en valeur nos produits, à les présenter. C'est important pour écouler les stocks. »
Des acquis exigés en BTS
À la rentrée de septembre, ces étudiants auront pour UV (unité de valeur appelée « certificatif ») comptant pour l'examen final la défense de leur bilan de première année de production et de commercialisation. Ils devront argumenter sur leurs choix, stratégies et actions (notamment concernant les cultures), leurs erreurs ou échecs, leur bilan comptable, leur gestion des ressources humaines, proposer un prévisionnel et des préconisations pour la promotion suivante... En seconde année, ils seront évalués sur un certificat, « gestion de chantier », autour des notions d'organisation de la plantation, de prévisionnel, d'analyse des écarts entre prévisions et résultats... qui font partie des validations d'acquis exigés en BTS. Ils devront savoir faire une autoanalyse de leur groupe et une analyse individuelle basée sur trois de leurs compétences. Mais ils seront plus particulièrement notés sur l'aide qu'ils vont apporter à la nouvelle promotion et sur les évolutions de leur exploitation. Au total, ils passeront quatre examens pour ce projet « gestion de production » inscrit au référentiel du BTS (consacré à Gignac à la gestion d'une exploitation horticole) : suivi de chantier, suivi d'un process de production, diagnostic de production, épreuve écrite sur des aspects techniques.
« La première année, il leur faut mettre les mains dans le cambouis, s'immerger dans la pratique et les responsabilités. En seconde année, lorsqu'ils iront visiter des exploitations pointues, ils auront un regard plus professionnel et plus avisé. Dès la première année, ce groupe s'est fortement investi. Je leur ai fait d'emblée confiance et je suis toujours là s'ils viennent vers moi. Mais je veux qu'ils fassent des erreurs pour ne plus avoir à les commettre quand ils seront en poste. Nous souhaitons qu'ils appréhendent d'abord la pratique », affirme Paul Milhau. Ce que confirme David Cussol : « Les cours théoriques sont ensuite plus faciles, les élèves faisant plus rapidement le lien entre les concepts et la pratique. On perd beaucoup moins de temps en classe. »
Pour les professeurs, il s'agit aussi d'une remise en cause. Il ne s'agit plus d'enseigner des contenus de matières à ingurgiter et à digérer. Il faut travailler en interdisciplinarité, être plus disponible, aborder les cours par pédagogie de projet. « La première année, nous étions comme nos élèves, sans savoir si l'enjeu était tenable. Nous avons commencé avec du géranium et d'année en année les élèves ont diversifié les productions. Nous aussi, nous maîtrisons mieux l'encadrement “à distance” des élèves », reconnaît Paul Milhau qui s'appuie sur son expérience de consultant en technique agricole, animation et management d'équipes en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie et à Dubaï. « Nous voyons très vite dès les premières semaines où sont les compétences. Quand le groupe est suffisamment motivé, chacun se trouve vite un rôle, voit où il est le plus à l'aise et prend un poste ; les équipes se forment. Par contre, il n'y a pas forcément un chef chaque année, et le dynamisme du groupe s'en ressent », poursuivent Paul Milhau et David Cussol.
L'association Hortignac s'inscrit dans la durée et se transmet entre les promotions successives. « Les élèves ont généralement une très bonne appréciation des jurys aux examens car ils ont déjà acquis une solide expérience professionnelle en deux ans ! Au final, ces jeunes sont vraiment aptes à intégrer le marché du travail. Ils en ont réellement vu les contraintes. Ils ont même eu à prendre en charge et diriger, officiellement au titre de leur association, deux stagiaires de bac pro », affirme Paul Milhau. « En entreprise, on attend des élèves de BTS qu'ils soient des managers. Qu'ils sachent prendre des décisions et trouver des solutions aux problèmes. Qu'ils aient de l'autonomie et de la flexibilité. Qu'ils ne rechignent pas sur les horaires de travail. Qu'ils sachent diriger une équipe... Au cours de ces deux années, les étudiants ont eu sans cesse à endosser ce costume... »
Odile Maillard
(*) Quatre élèves sont allés à la rencontre de fournisseurs durant le Salon du chrysanthème 2011 à Aubagne (13). Voir le Lien horticole n° 777 du 30 novembre 2011. www.lienhorticole.fr Retrouvez les élèves de BTS de Gignac à travers trois vidéos et un diaporama en rubrique Photos&Vidéos.
Paul Milhau (à gauche), professeur de technique horticole, et David Cussol, professeur d'économie-gestion, au lycée de Gignac, sont par ailleurs co-créateurs de WallFlower™, entreprise de cadres muraux végétalisés.
« Au départ, les fournisseurs ne nous ont pas vraiment pris au sérieux. Sur les marchés, en revanche, nous avons toujours été bien perçus par les consommateurs », soulignent Julie Jouve et Nathan Lapeyre.
Arno François (à droite) et Louis Cannat (cet élève est par ailleurs chargé des abricots) prennent soin des rosiers.
Le bureau de l'association Hortignac comprend Stéphane Bartout (à gauche), trésorier, Manon Maymard, secrétaire et responsable des commandes (tous les deux sont également chargés de communication), et Laurent Martin, président.
Florian Chautard (à droite) et Arno François récoltent les dernières salades.
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