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Convention collective agricole : attention aux incidences juridiques

Au-delà de la nouvelle mécanique qui entre en vigueur le 1er avril, il faut analyser les implications de la nouvelle convention dédiée aux productions agricoles et aux Cuma*. De même que les risques à impérativement appréhender pour éviter les contentieux potentiels.

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Annoncée depuis plusieurs années pour harmoniser les pratiques locales, une convention collective nationale agricole a été signée le 15 septembre 2020. Elle instaure un nouveau mode de classification des salariés. Fini les positionnements en « niveaux » et « échelons ». Place à la notion de « palier » qui permet désormais­ de fixer le taux horaire minimum de chacun. Et également de déterminer sa catégorie socioprofessionnelle.

Un nouveau cheminement imposé pour « classer » ses salariés : critères, degrés, coefficients, points, paliers…

Dans la plupart des départements, les conventions collectives agricoles « classaient » les salariés en « niveaux » et en « échelons ». Il subsistait parfois des coefficients. Dans tous les cas, ces grilles définissaient des emplois ou des tâches, généralement sous forme d’un référentiel, avec un taux horaire rattaché (donc un montant de salaire). Et les employeurs positionnaient leurs salariés­ selon une grille préétablie, en cohérence avec leur fonction (compétences, autonomie, responsabilité…) dans l’exploitation même. Les employeurs choisissaient donc – en fonction de leurs attentes propres – si le salarié était ou­vrier, technicien, agent de maîtrise ou cadre.

Avec la nouvelle convention, applicable à toutes les entreprises, la démarche de classification change totalement. Le taux horaire minimum et le statut du salarié découlent désormais du ré­sultat de l’analyse du poste, selon une démarche imposée­, en plusieurs étapes.

Ce cheminement peut paraître complexe au premier abord tant la démarche diffère de celle préexistante, comparé au positionnement dans les anciennes grilles départementales. En fait, il se déroule par étapes successives bien cadrées.

Déterminer le taux et le « statut »

La première étape implique d’abord d’« évaluer » le poste selon cinq critères (lire l’encadré page suivante), six degrés, des points et coefficients, rattachés à douze paliers.

Cette première étape permet de connaître le taux horaire minimum correspondant au poste. Mais ce n’est pas fini, l’employeur doit ensuite le rattacher à un « statut ». Et c’est là une nouveauté importante de la convention : c’est bien le nombre de points obtenus en suivant la méthode qui va déterminer le statut du salarié. Est-il ouvrier, technicien, agent de maîtrise, cadre ?

Ce statut dépendra du classement obtenu et du nombre de points. Et non plus uniquement de la décision de l’employeur.

À noter également que la nouvelle convention prévoit des nombres minimums (des seuils) afin de déterminer les qualifications de technicien, d’agent de maîtrise ou de cadre : l’emploi devra non seulement atteindre un certain coefficient (nombre total de points) mais aussi un certain degré dans tel ou tel critère.

- Technicien : ce statut s’acquière avec 74 points, c’est-à-dire au minimum le degré 4 dans le critère technicité, et le degré 3 en critère responsabilité ou autonomie.

- Agent de maîtrise : ce statut s’obtient avec 105 points, soitau minimum le degré 3 dans le critère autonomie dans celui de management, ou 4 en technicité.

- Cadre : ce statut requière 197 points, donc au minimum le degré 4 dans le critère autonomie et le degré 3 en critère management ou technicité.

La nouvelle convention collective nationale s’applique impérativement à partir de la feuille de paye d’avril 2021. Elle doit quand même être articulée avec les anciennes conventions collectives locales devenant « accords étendus locaux », en particulier pour les montants des primes ou du treizième mois. Le principe qui s’applique est celui du droit du travail en général : « application de la règle la plus favorable au salarié ».

Quelles conséquences immédiates ?

Plusieurs questions se posent selon le « résultat » du nouveau classement obtenu.

- S’il aboutit, par exemple, à un salaire minimum inférieur­ au salaire actuel, l’employeur ne pourra bien entendu pas réduire la rémunération. S’il aboutit à un statut moins élevé pour un salarié déjà présent dans l’entreprise (par exemple un technicien deviendrait ouvrier), le salarié conservera son affiliation au régime de protection sociale liée à son ancienne catégorie (il restera donc affilié au régime de techniciens).

- À l’inverse, si le résultat aboutit à un salaire supérieur, l’employeur sera en devoir d’augmenter le taux horaire pour atteindre le palier. Le salarié évoluera au statut supérieur et bénéficiera du nouveau régime social.

Cette nouvelle méthode de classification peut donc engendrer de profonds bouleversements dans les entreprises horticoles, avec des changements de taux horaire et/ou de statuts.

Quels risques juridiques ?

Si cette nouvelle méthode de classification s’impose, à l’employeur comme au salarié, il n’y a pas de débat de fond sur l’application de la méthode.

En revanche, des divergences de vues pourront rapidement apparaître sur la cotation des postes. Car la nouvelle méthode impose une part importante de subjectivité dans l’appréciation des « degrés » attribués à chaque critère.

Par exemple, par son calcul, l’appréciation ini­tiale de l’employeur aboutit, au terme de la démarche, à positionner son salarié selon un statut d’« ouvrier ». Celui-ci conteste. Il considère que sa technicité, son autonomie et ses responsabilités ont été sous-cotées. Notamment au vu de son ancienneté dans le poste. Et que, selon son analyse, il devrait être positionné comme technicien.

Autre exemple : le salarié ne conteste pas son statut mais il estime que – selon sa propre analyse des critères – son palier de rémunération devrait correspondre à la tranche supérieure.

Il y a bien là, dans ces exemples, des sujets relevant de la compétence du juge prud’homal. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, un salarié pourrait engager une action visant à faire reconnaître son statut ou son palier de rémunération. Le débat judiciaire porterait alors sur les éléments factuels que chacun pourrait apporter pour justifier sa position. Et si le juge donnait raison au salarié, l’employeur serait, par exemple, tenu de procéder à des rappels de salaires et/ou à une affiliation au régime des techniciens ou des cadres. Des dommages et intérêts pourraient également être octroyés en fonction du préjudice.

Et, à l’extrême, ce type de désaccord pourrait même fonder une action du salarié visant à faire constater par le juge que le manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations (en l’occurrence en matière de « juste » classifi­cation) ne permet plus la poursuite du contrat de travail. Cette rupture alors prononcée dans le cadre­ d’une résiliation judiciaire ou par prise d’acte s’analyserait en un licenciement abusif, aux torts de l’employeur. Avec toutes les con­séquences indemnitaires qui en découleraient.

Autre enjeu, le changement de statut en application de la grille impose une révision du contrat de travail qui peut soulever d’autres interrogations (sur la durée du travail par exemple).

Il s’agit donc là d’un sujet sensible car la nouvelle mécanique peut venir modifier les contrats en cours. Il convient donc de l’appréhender avec une vision globale de l’ensemble des incidences potentielles à anticiper.

*Cuma : coopérative d’utilisation de matériel agricole.

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