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La gestion du temps de travail : un enjeu majeur

Ce sujet sensible est de plus en plus complexe pour les employeurs agricoles. Des décisions récentes de la Cour de cassation invitent à bien s’organiser pour suivre, contrôler et enregistrer les heures supplémentaires.

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La gestion du temps de travail se révèle un véritable casse-tête pour les employeurs du monde agricole. D’abord parce que les textes applicables en horticulture sont nombreux : code du travail, code rural, accord national sur la durée du travail en agriculture, conventions collectives départementales, accords d’entreprises, etc. Ensuite parce que les modalités d’organisation du travail sont multiples et souvent adaptées par les usages des entreprises : 35 heures, heures supplémentaires payées ou récupérées, jours de RTT, annualisation... Enfin parce que, au fil des contentieux, les juridictions ont fait évoluer la jurisprudence dans un sens pas toujours favorable aux employeurs.

Ne pas oublier les règles « légales » de base

Dans tous les domaines stratégiques, l’exploitation doit reposer sur des fondations solides. C’est le cas en matière de durée de travail, pour laquelle tout employeur doit avoir précisément en tête les règles de base imposées par la loi. À savoir qu’en dehors des dérogations spécifiques (autorisation de l’inspection du travail ou conventions et accords collectifs) :

- la durée maximum quotidienne de travail ne doit pas dépasser dix heures effectives par jour ;

- la durée de travail hebdomadaire ne doit pas dépasser 48 heures effectives ;

- le repos doit être au minimum de onze heures consécutives entre deux journées de travail et de 24 heures consécutives par semaine.

Ce sont principalement les heures supplémentaires qui alimentent le contentieux devant les conseils de prud’hommes. Selon le code du travail et le code rural, l’employeur doit enregistrer chaque jour la durée de travail de ses salariés. Les heures considérées comme « supplémen­taires » sont celles accomplies au-delà de 35 heures de travail effectif hebdomadaires ou, pour les sociétés annualisées, au-delà de 1 607 heures de travail effectif dans l’année.

Heures supplémentaires : accord tacite de l’employeur

Si, par principe, les heures supplémentaires sont celles « commandées » par l’employeur, la Cour de cassation reconnaît désormais le concept d’acceptation « tacite ». Autrement dit, en dehors de toute demande ou consigne de sa direction, un salarié peut être fondé à réclamer le paiement d’heures s’il démontre que l’employeur les lui a tacitement autorisées.

Quelques illustrations de décisions récentes dans lesquelles les heures supplémentaires ont été reconnues le démontrent :

- un employeur informé du surcroît d’activité auquel doit répondre une salariée et qui ne revoit pas l’organisation de l’entreprise pour la soulager (décision du 12 septembre 2018) ;

- dès lors que les heures supplémentaires ont été rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié, l’employeur est tenu de les payer même s’il s’est opposé à leur réalisation (décision du 14 no-vembre 2018) ;

- les heures supplémentaires enregistrées par un logiciel de pointage doivent donner lieu à rémunération, et ce, même si l’employeur n’a pas donné son accord (décision du 8 juillet 2020).

Une charge de la preuve partagée

Dans toutes ces décisions, le salarié apportait bien entendu des éléments de nature à prouver sa demande. Mais l’employeur doit bien intégrer qu’en la matière la charge de la preuve est partagée. Ce qui est souvent l’origine de difficultés pratiques. L’article L3771-4 du code du travail, en effet­, indique que la preuve des heures supplémentaires n’incombe spécialement à aucune des parties. En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de na­ture à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Répondre à un commencement de preuve

La Cour de cassation s’est prononcée à plusieurs reprises sur l’interprétation de ce texte pour en donner un sens quelque peu différent de l’esprit de la loi. Elle a d’abord affirmé qu’il ne s’agissait pas pour le salarié de prouver absolument le bien-fondé de sa demande mais d’apporter un commencement de preuve auquel l’employeur se devait de répondre. Celui-ci devait toutefois être étayé. Par exemple a été jugée « suffisante » afin d’accréditer une demande d’heures supplémentaires, et déclencher pour l’employeur l’obligation d’y répondre, la production :

- des agendas ainsi que des récapitulatifs hebdomadaires des heures que le salarié prétendait avoir réalisées (décision du 29 mai 2019) ;

- d’un agenda et du planning du salarié qui mettaient l’employeur en mesure de répondre. Il importait peu, selon la cour, que celui-ci soutienne que ces éléments comprenaient des erreurs et des incohérences (décision du 23 janvier 2019) ;

- de fiches de saisie informatique enregistrées sur l’intranet de la société, comportant le décompte journalier des heures travaillées (décision du 24 janvier 2018).

Dernièrement, dans un arrêt du 18 mars 2020, la cour enfonce le clou en décidant que le salarié pouvait seulement produire des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande. Charge par la suite, pour l’employeur, à en apporter la preuve contraire.

On voit donc bien que si le législateur a voulu à l’origine partager la charge de la preuve, la Cour de cassation va dans un sens qui facilite les réclamations. L’évolution de la jurisprudence oblige donc les employeurs à la plus grande rigueur dans l’enregistrement et le décompte des heures de travail.

À noter également : dans cette même décision du 18 mars 2020, la Cour de cassation précise au passage­ que, sur la base des éléments produits de part et d’autre, le juge forme sa propre conviction et peut, s’il retient l’existence d’heures supplémentaires, déterminer le montant de la créance salariale sans qu’il soit amené à fournir le détail de son calcul.

Le contrôle des heures, une priorité dans toute entreprise

Ces décisions de la Cour de cassation donnent clairement la tendance : elles imposent aux em-ployeurs une obligation de résultat en matière de contrôle, d’enregistrement et de suivi des heures de travail. Le formalisme est incontournable pour apporter la preuve que les heures payées correspondent aux heures effectuées. Et sécuriser ainsi les exploitations.

Toutes ces précisions donnent l’évolution des décisions qui font jurisprudence, qui modifient ou orientent le sens de la loi initiale.

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