Un concept pour changer la physionomie des cimetières
Planter de petits jardins sur les tombes... C'est l'idée de deuxpaysagistes indépendantes, Laurence Garfield et Nathalie Houdebine, lauréatesdu concours 2012 de Jardins, Jardin aux Tuileries. Un projet audacieux dans unpays où la mort reste encore un sujet tabou, où le cimetière est perçu comme unsanctuaire.
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Alors artiste mosaïste et graphiste, Laurence Garfield et NathalieHoudebine se sont rencontrées lors d'une formation pour adultes « Conception dejardin dans le paysage », suivie pendant deux ans à l'École nationalesupérieure du paysage (ENSP) de Versailles (78). Devenues paysagistesindépendantes, elle ont conjointement répondu à l'appel d'offres lancé, en2011, par la manifestation parisienne Jardins, Jardin aux Tuileries, transmispar l'ENSP. Cette participation a été l'occasion de se retrouver et deconcrétiser un projet – la création de jardins sur les tombes en lieu et placedes traditionnelles pierres tombales – qui mûrissait doucement et pouvait toutà fait répondre au thème du concours, « nouveaux microjardins de ville ».Présentation de leur cursus et du concept qui les a réunies autour de cettenouvelle activité de paysagiste qu'elles développent en commun.
De la mosaïque au paysage
IMAGINATION ET ASSOCIATIONS
Avant de se former à la conception en paysage, Laurence Garfield étaitartiste mosaïste. « Je suis née à Paris et j'ai eu ensuite la chance d'habiteren banlieue parisienne et d'avoir un jardin : un vrai cadeau, car j'aime lesplantes depuis toujours. Je les remarque partout. En visitant des cimetières auRoyaume-Uni, j'ai par exemple constaté qu'il y avait de vrais bouquets degraminées. Depuis, lors de mes déplacements, j'essaie de découvrir lescimetières », explique Laurence.
Proche de la cinquantaine, elle était à la recherche d'une formation pourlaquelle son profil atypique ne soit pas un frein. « Plus jeune, j'ai suivi desétudes de langues et de gestion. Puis j'ai travaillé la mosaïque en amateur :j'aime le rapport avec le minéral. Mais c'est suite à la visite du Potager duRoi au château de Versailles que j'ai eu envie de suivre la formation del'ENSP... Durant cette formation, j'ai apprécié la créativité et la libertéaccordées aux stagiaires dans leurs projets. J'ai beaucoup appris, notamment entermes d'association de plantes, d'espace ou de place au jardin. J'ai puréaliser deux maquettes alliant plantes et mosaïque [...]. Les stagiaires ontdes profils (y compris en termes d'âge), des parcours, des compétences et despersonnalités très variés (plasticien, publicitaire...). Ces deux ans intensesen travail ont été l'occasion de rencontres très riches », poursuit-elle.
Durant la seconde année de formation, en 2006, elle participe avec deuxautres élèves au concours de jardins de Chaumont-sur-Loire. Leur réalisationévoquait Alice au pays des merveilles dans une ambiance tropicale, associant lamosaïque à des souches d'arbres ou à des écorces. « Sensibilité et surprisesétaient au rendez-vous, ce qui avait conquis les enfants. » Depuis saformation, Laurence travaille comme paysagiste indépendante. L'idée des petitsjardins sur les tombes est née de la demande d'une amie, après la mort de sonmari. « La petite réalisation, moins “froide” qu'une tombe traditionnelle, a unpeu atténué sa tristesse. Les gens ne savent généralement pas qu'il estpossible de paysager les tombes », souligne-t-elle.
Du graphisme au paysage
TOUT PASSE PAR LE DESSIN
Pour développer cette idée et présenter le concept au concours Jardins,Jardin 2012, Laurence a fait appel à Nathalie, ancienne camarade de promotion.Avant de se former à la conception en paysage, Nathalie Houdebine était artistepeintre par passion. Professionnellement, après avoir suivi différents cours dedessin, elle a surtout travaillé en tant que graphiste pendant vingt ans,intervenant en communication pour de la VPC, du recrutement de personnel, desdossiers de presse... « J'ai toujours aimé les plantes et associé le végétal àmes dessins. À la recherche d'un cursus en jardinage, j'ai découvert cetteformation continue, diplômante, lors d'une journée portes ouvertes à l'école dupaysage, tout près de chez moi, à Versailles. J'ai pu la financer grâce auFongecif (congé individuel de formation). J'ai effectué deux stages d'un moisen agence de paysage et avec un paysagiste. L'un des stages m'a fait prendreréellement conscience de ce que je préfère, à savoir dessiner. Ce qui tombebien, car l'école révèle tout par le dessin. Pour le second stage, j'ai choisiun paysagiste qui travaille encore le dessin “en manuel” et non avec deslogiciels sur ordinateur », raconte Nathalie.
De petits jardins sur les tombes
LEUR PROJET COMMUN
Aujourd'hui, elle poursuit en tant qu'artiste indépendante, expose sespeintures en solo. Mais elle a ajouté une corde à son arc qui la séduit de plusen plus : elle dessine et conçoit des projets de jardins, notamment pour despaysagistes. C'est à ce titre que Laurence a fait appel à elle pour participerau concours.
Intitulé « 2 m² d'éternité », leur concept a pour objectif, via desminipaysages, « de changer la physionomie des cimetières pour rendre leurfréquentation plus douce à ceux qui viennent s'y recueillir sur les tombes deleurs proches décédés ». Une idée qui, en France, se heurte toutefois au tabouqui entoure la mort : on n'aime pas y penser ni en parler... Laurence Garfieldet Nathalie Houdebine définissent ainsi leur offre : « Nous proposons deplanter des petits jardins d'éternité sur les tombes afin d'en faire desespaces moins minéraux, des lieux de souvenir vivants [...]. Des projetspersonnalisés évoquant la mémoire des disparus, des micro-jardins adaptés àchaque site, beaux à chaque saison, car même à une aussi petite échelle, lecycle de la vie et de la biodiversité continue. » « La transformationprogressive des cimetières en jardins permettrait d'en faire à la fois deslieux de recueillement et de promenade », observent les deux paysagistes, quiavouent leur penchant pour ces lieux publics chargés d'histoires. « Pourquoi nepas les végétaliser davantage et rendre ainsi leur fréquentation plus agréable? » s'interroge Laurence Garfield.
Concrètement, Laurence et Nathalie travaillent sur une gamme de plantes àfaible développement, rustiques, supportant la sécheresse, acceptant parfoisseulement 20 cm de terre, et ne nécessitant qu'une ou deux opérationsd'entretien par an. Il leur faut aussi tenir compte du degré de la pente, del'emplacement géographique... Elles proposent, par exemple, un jardin desimples, au développement limité, ou de médicinales, d'aromatiques, de buis, enmonothème ou en association... On peut marier une gamme végétale avec unerivière de pierres ou de galets, jouer avec les couleurs et les textures commepour d'autres jardins, mais ici en miniature sur 2 mètres carrés !
Si on a la contrainte d'une pierre tombale, une série de jardinières enpériphérie judicieusement végétalisées peuvent constituer un mini-jardin. « Ilfaut juste respecter quelques règles juridiques liées au contexte du cimetière: pas d'espèces envahissantes, éviter d'excéder 50 cm de hauteur, ne pasempiéter sur les passages inter-tombes... Généralement, les pompes funèbres nenous brident pas trop dans notre créativité. Ces tombes sont en réalité plusmodernes qu'on l'imagine... », constate Laurence.
« L'idéal, c'est de travailler en amont, quand la personne détermine avantson décès ce qu'elle souhaite. Nous intervenons toutefois souvent avec lafamille après le décès ou même lors de rénovation de concessions. Nousproposons également une sépulture provisoire : elle sera le relais entre lesfleurs fraîches du jour de l'inhumation et la pose du monument oul'installation du “jardin d'éternité”. Cette période peut durer parfois jusqu'àsix mois ; l'emplacement est rarement esthétique (terre brute, fleurs fanées,tampon de fermeture en ciment...). Nous souhaitons, avec une installationépurée, créer un espace apaisant. »
Le « plus » artistique
POUVOIR PERSONNALISER
La fibre artistique des deux « associées » s'exprime dans leurs minipaysagespour offrir plus qu'un simple espace paysagé. Elles proposent ainsi auxfamilles de personnaliser les tombes, en discutant avec elles, pour parlersimplement des passions ou des traits de caractère des personnes disparues. Unchoix de végétaux et de minéraux permettra alors d'évoquer un pays d'origine,comme ce soubassement et cette stèle de schiste choisis pour « Le jardin deRosa G. » (notre photo), défunte originaire d'Irlande. Leur jardinimpressionniste est plus coloré, mais demande aussi plus d'entretien. Telautre, pour la tombe d'un ex-peintre, reproduit un de ses tableaux et lacouleur des végétaux est choisie en écho aux tonalités du tableau.
Il n'est pas interdit, au contraire, d'ajouter une inscription, un mot, unlogo, un poème... Dans ce cas, Laurence fait appel à son expérience demosaïste. « En personnalisant le jardin, on peut créer chaque fois quelquechose de différent, adapté à chaque personnalité. La tombe végétalisée prendalors un véritable sens, elle n'est pas seulement décorative. C'est importantdans ces moments de la vie où l'on a besoin de réconfort et d'empathie »,constate Laurence.
Artistes complémentaires, Laurence et Nathalie sont chacune installées entant que paysagiste indépendante. Parties avec l'idée que leur concepts'inscrivait parfaitement dans l'esprit du concours Jardins, Jardin auxTuileries, celui-ci leur a donné raison puisqu'elle en ont été les lauréates2012. Cette participation les a réunies ponctuellement. Elles aimeraient bien,désormais, que ce prix contribue à les faire connaître, afin de développer ceconcept encore tout neuf, et même pionnier en France.
Odile Maillard
www.lienhorticole.fr Retrouvez le travail de Laurence Garfield et Nathalie Houdebine en rubriquePhotos& Vidéos de notre site, ainsi que sur le sitewww.2m2deternite.com
Laurence Garfield (à droite) et Nathalie Houdebine ont suivi une formationcontinue pour devenir paysagistes indépendantes. Inscrites au concours deJardins, Jardin aux Tuileries, elles ont été récompensées pour leur concept « 2m² d'éternité ». Via des minipaysages, elles souhaitent « changer laphysionomie des cimetières ».
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