Manager une entreprise : un art qui s'apprend
Le management et la stratégie d'entreprise constituent deux leviers qui, bien appréhendés, peuvent se révéler de précieux atouts pour pérenniser son activité. Contrairement aux idées reçues, on peut se former à manager. Ou, au minimum, à acquérir des postures qui favorisent le dynamisme d'équipe et redonnent du sens au travail dans tous les domaines, à l'exemple de l'agriculture et de l'horticulture...
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« Attention, trop souvent, et en particulier dans les entreprises de petite taille, tout repose sur les épaules du chef d'exploitation. Vu le contexte global toujours plus complexe, il est nécessaire de conserver sa lucidité dans toutes les décisions », constate et affirme Richard Laizeau, formateur pour le réseau de producteurs détaillants Horticulteurs et pépiniéristes de France (HPF) et arboriculteur lui-même. Il partage ici ses retours d'expérience, notamment durant les formations qu'il anime sur le management et la stratégie (*). Les responsables d'entreprise ont rarement appris à manager et, contrairement à ce qui est souvent asséné, c'est rarement une affaire de prédisposition innée. Est-ce que cela devrait aller de soi ? « Non, et en agriculture particulièrement, on n'est pas ou très peu sensibilisé à ces sujets », regrette Richard Laizeau. « La culture principale, c'est celle du travail et de la transmission des pratiques et savoir-faire professionnels. Quand on essaie de bien manager, on ne réussit pas toujours. La première attitude à adopter est simple : se donner les moyens de privilégier d'abord et surtout le dialogue. Cela permet de prévenir nombre d'incompréhensions, voire d'affrontements. On peut susciter et écouter les critiques et les suggestions, même de la part de ses salariés. »
Pouvoir suivre l'aboutissement de son travail
Seconde préconisation : le formateur incite fermement à ne pas négliger la phase du recrutement. « Notre travail devrait commencer par là. Il est primordial de prendre le temps de décrire la fiche de poste et de concerter, et pourquoi pas de coproduire avec la personne embauchée, les contours de son travail. Il est judicieux également d'y inscrire au moins une responsabilité. J'estime que la première semaine d'emploi détermine si la recrue restera ou pas dans l'entreprise. Alors, mieux vaut y prêter attention. Et refaire un point au bout d'un mois, même seulement durant un quart d'heure, afin de vérifier que l'intégration se passe bien, que ce qui est prévu se met correctement en oeuvre. Et de discuter s'il y a des difficultés. »
Chaque employé, nouvellement embauché ou non, sera plus motivé et respectueux de l'entreprise, de ses activités et des collègues s'il voit l'aboutissement de son travail. « Par exemple, un ouvrier de production se sentira plus impliqué s'il est mis en contact direct avec la vente, au moins de temps en temps et en ayant une certaine responsabilité. Il s'agit de redonner "un peu de jus" aux gens, de leur offrir une ouverture plus complète sur leur utilité dans l'entreprise : comme contribuer à la commercialisation dans l'illustration ci-dessus. Le travail n'en sera que mieux fait. Cette règle s'applique évidemment dans l'autre sens : un commercial aura intérêt à connaître l'amont de son travail. D'ailleurs, pour de multiples raisons, il est plus intéressant d'aller vers davantage de polyvalence, et que chacun ait une vue d'ensemble du fonctionnement de l'exploitation agricole ou horticole. Un personnel d'encadrement sera nettement mieux reconnu s'il est capable de rejoindre ponctuellement la production et d'aider lors d'un "coup de bourre". Dans cette optique, il est possible de prévoir des stages de quelques semaines. »
Si le travail de dialogue et d'adaptation du poste au profil des salariés et aux besoins de l'entreprise n'a jamais été fait ou n'a pas été réévalué, il n'est pas trop tard pour engager les échanges. « Un chef d'entreprise est, de fait, un animateur d'une ou de plusieurs équipes. Tout comme un entraîneur dans le sport. Il repère les efforts et les compétences de chacun. Il valorise les domaines d'excellence et les zones de progrès des uns et des autres. Il développe le meilleur et les potentiels de tous. Il indique à chacun là où il aimerait aller avec elle ou avec lui. Il explique comment il envisage d'avancer progressivement. Il sollicite les bonnes idées. » Il cherche également à pallier les points faibles, notamment par un accompagnement ou de la formation. « Un producteur ne peut pas tout faire lui-même. Il doit pouvoir faire confiance, déléguer, co-construire les solutions, les innovations... »
Inciter chaque participant à revoir la notion de relation
Richard Laizeau insiste sur les indicateurs à surveiller : « Ils doivent nous alerter sur d'éventuels dysfonctionnements. » À l'instar du taux de renouvellement des salariés. Si un problème se répète souvent, mieux vaut se poser des questions. Car le personnel représente un capital énorme pour une entreprise. D'une façon ou d'une autre, il a été formé. Faut-il vraiment se payer le luxe de laisser partir quelqu'un, sans réagir, juste parce qu'il sollicite un meilleur salaire ? Il est plus que profitable d'organiser, de temps en temps, 10 minutes d'échange ou de faire un point d'étape plutôt que de risquer 100 minutes (ou bien plus) de conflits ou de malentendus à résoudre. Ainsi, Richard Laizeaupropose une approche : « Il est préférable de discuter régulièrement afin d'organiser, de prévoir, de faire évoluer un plan de carrière, de fidéliser un collaborateur. Il existe des outils de management, par exemple pour préparer et bien réussir l'entretien annuel... »
Richard Laizeau affirme que « les employés ne sont pas que négatifs. Parfois, ils n'attendent seulement qu'un peu de reconnaissance. Nous sommes des humains, patrons compris. Nous avons tous besoin d'entendre, au moins de temps en temps, que ce que l'on a fait est bien. »
Cette formation au management peut être prise en charge par le VIVEA (Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant) pour les exploitants, ou le FAFSEA (Fonds d'assurance formation des salariés des entreprises et exploitations agricoles) pour les salariés. Son contenu a été mis au point en partenariat avec Sébastien Durand, directeur du réseau. Il s'agit d'inciter chaque participant à revoir la notion de relation. Un sujet qui n'est pas facile à gérer, y compris au sein de la sphère privée. Mais ce n'est pas impossible. « Une entreprise ne peut pas avancer sans ses salariés, affirme Richard Laizeau. Sinon le responsable risque l'épuisement. Et si ce dernier travaille sans arrêt, même les week-ends, c'est son couple et sa famille qui peuvent se retrouver en danger. Par ailleurs, sans salarié, un établissement se coupe de certaines opportunités de chantiers, de marchés, de débouchés... Il est important de collaborer avec d'autres. Quoi qu'il en soit, il ne faut jamais se fermer de portes définitivement par une approche trop restrictive. »
De même, pour mieux manager, il est nécessaire de vivre « comme tout le monde » et de préserver le plus possible la vie en société. « Il faut, par exemple, consacrer du temps aux loisirs, à la détente. Sans oublier par ailleurs de s'octroyer une rémunération minimale. Ces éléments sont essentiels pour soi et pour son entourage. » En effet, si on ne se ménage pas, on tombe. On voit trop d'agriculteurs qui font de la dépression, dont le couple ne tient pas, voire qui se suicident... Il faut s'extraire des schémas de fonctionnement d'autrefois qui privilégiaient avant tout et uniquement le travail. « La vision actuelle du travail est très différente de celle des générations précédentes ; elle est une véritable révolution dans les mentalités. Les salariés ont changé d'état d'esprit vis-à-vis de l'activité professionnelle. Les plus réticents peuvent être encore plus sensibles à la façon dont ils sont considérés. Il suffit parfois de peu pour qu'ils soient motivés et s'investissent bien plus et bien mieux », conclut Richard Laizeau. Être patron, c'est prendre des risques dans sa stratégie d'entreprise. C'est également s'engager dans des relations constructives.
Odile Maillard
(*) HPF aide les producteurs à se projeter dans le futur, un article paru dans le Lien horticole n° 943 du 7 octobre 2015 afin d'aider à prendre les bonnes décisions dans une période difficile.
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