Interdiction des phytos : tout n'est pas encore limpide...
En juin 2016, le CFPPA de Saintes (17) organisait une journée d'information pour les professionnels des Charentes, sur le thème « réglementation et évolution des techniques d'entretien des espaces verts ». L'occasion de soulever des questions juridiques et techniques face à l'échéance de 2017.
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Parmi les formations courtes les plus dispensées au sein du Centre de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) de Saintes figuraient jusque-là le certificat individuel « utilisation professionnelle des produits phytopharmaceutiques pour applicateur opérationnel en collectivités territoriales » ainsi que, ces dernières années, les formations relatives à la mise en oeuvre d'un plan de désherbage ou aux pratiques alternatives au désherbage chimique, aux fondamentaux du jardinage écologique, aux bio-agresseurs et aux auxiliaires. Les questionnements récurrents des stagiaires ont fait naître un souhait : celui de proposer une journée d'information et de sensibilisation à destination des élus, techniciens et professionnels du paysage de la région. Organisé le 9 juin dernier au CFPPA, ce rendez-vous a permis de rassembler plus d'une soixantaine de personnes au cours d'une demi-journée en salle, suivie de visites sur le terrain l'après-midi. La matinée a permis de faire un point sur le contexte général réglementaire et législatif, puis d'échanger, lors d'une table ronde, sur les retours d'expériences de trois communes du département de Charente-Maritime : Rochefort-sur-Mer (24 761 habitants), Pons (4 116 habitants) et Chérac (1 128 habitants).
Techniques alternatives
ENCORE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS
Les questions ont d'abord porté sur des aspects techniques, principalement centrés sur le désherbage, car c'est dans ce domaine que les points d'achoppement sont ressentis comme étant les plus nombreux : Quels sont les matériels de désherbage alternatif les plus performants selon les types de surface à traiter ? Peut-on disposer d'aides financières pour investir ? Comment faire accepter par la population les changements de pratiques ? Quels sont les principes d'aménagement qui permettent de limiter le recours au désherbage ? Les échanges ont fait ressortir l'existence de multiples initiatives mises en oeuvre dans la plupart des communes, mais aussi le manque de compétences internes et le sentiment d'être souvent démunis face à ce changement de paradigme pour nombre de petites communes rurales. Celles-ci éprouvent en particulier des difficultés organisationnelles pour envoyer leurs personnels en formation, ont peu le réflexe et le temps d'utiliser les réseaux professionnels ou les plates-formes de partage d'expériences.
Aspects juridiques
UN ARSENAL, UNE LOI LABBÉ, DES ARRÊTÉS...
Jugés plus complexes que les points techniques, les aspects juridiques et réglementaires ont suscité des réactions chez les participants. Ils ont souligné un fort besoin de clarification, notamment sur les espaces concernés par la loi Labbé et les produits de protection des plantes toujours utilisables dans ces lieux. Des attentes qui semblent pour le moment difficiles à satisfaire, tant les éléments à disposition pour répondre manquent de précisions.
Depuis une dizaine d'années, la France a développé un arsenal législatif et réglementaire visant à réduire l'impact des produits phytosanitaires sur la santé et l'environnement, en accord avec les directives européennes. Après avoir eu pour objectif prioritaire de réduire l'usage des produits phytosanitaires et de mieux encadrer les conditions d'utilisation et la formation des personnels amenés à en faire commerce ou à les utiliser, est venue plus récemment la loi Labbé (loi n° 2014-110 du 6 février 2014). Cette loi « visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national » est allée plus loin en proposant une interdiction d'emploi de la plupart d'entre eux sur certains espaces publics. Elle précise en substance que l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié par l'ajout de deux paragraphes, le point II concernant les personnes publiques, le III, les non-professionnels. « Il est interdit aux personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques d'utiliser ou de faire utiliser les produits phytopharmaceutiques mentionnés au premier alinéa de l'article L. 253-1 du présent code, à l'exception de ceux mentionnés au point IV du présent article, pour l'entretien des espaces verts, des forêts ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé. Cette interdiction ne s'applique pas aux traitements et mesures nécessaires à la destruction et à la prévention de la propagation des organismes nuisibles mentionnés à l'article L. 251-3, en application de l'article L. 251-8. » Le IV précise les catégories de produits de protection des végétaux autorisés : « Produits de biocontrôle figurant sur une liste établie par l'autorité administrative ; produits dont l'usage est autorisé dans le cadre de l'agriculture biologique ; produits qualifiés à faible risque conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil. »
Il va sans dire que l'utilisateur doit avoir vérifié le statut exact de chaque produit juste avant son emploi, sur les bases de données officielles (ephy.anses.fr, par exemple) et notamment que les produits ont été homologués pour une utilisation dans les jardins, espaces végétalisés et infrastructures (JEVI). En outre, il lui appartient de s'assurer s'il existe un arrêté municipal ou préfectoral imposant des restrictions d'usage particulières sur le territoire concerné par le traitement.
Réglementation
DES PRÉCISIONS ATTENDUES PAR LES PROFESSIONNELS
Plusieurs éléments de cette loi suscitent encore des interrogations, voire des « querelles de chapelle » quant à leur interprétation. Le premier point concerne la définition des espaces concernés par l'interdiction d'usage. Certains affirment que les terrains de sport et les cimetières sont inclus, d'autres disent le contraire. « Interrogé, l'État indique qu'il travaille sur un texte qui apportera des précisions sur la portée exacte de la loi Labbé. Il devrait être publié prochainement », explique Maxime Guérin, chargée de mission à Plante & Cité. Le second point concerne les produits de biocontrôle car la « liste établie par l'autorité administrative » citée dans la loi Labbé n'est pas finalisée. Par défaut, celle utilisée actuellement est la liste consolidée des produits de biocontrôle ouvrant droit à réduction pour la taxe de pharmacovigilance de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Mais celle-ci ne s'intéresse qu'aux produits phytopharmaceutiques de biocontrôle, alors qu'il existe des produits de biocontrôle qui ne figurent pas dans la catégorie des produits phyto, à savoir ceux entrant dans celle des macro-organismes : insectes prédateurs ou parasitoïdes, acariens prédateurs, nématodes entomopathogènes. Enfin, à l'heure actuelle, il n'existe pas sur le marché de produits phytosanitaires de synthèse chimique ou organique à faible risque et homologués pour une utilisation dans les JEVI.
En sachant que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi n° 2015-992 du 17 août 2015) a avancé au 1er janvier 2017 la date d'entrée en vigueur des restrictions d'usage pour les espaces publics de la loi Labbé - initialement prévue au 1er janvier 2020 -, on peut comprendre l'attente des professionnels face à ces points encore non clarifiés.
Yaël Haddad
Démonstration de désherbage mécanique sur la commune de Rochefort-sur-Mer (17). PHOTO : YAËL HADDAD
De gauche à droite, au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) de Saintes (17), au mois de juin dernier : Éric Bourdajaud, responsable du service des espaces verts à Rochefort-sur-Mer (17), David Cavignac, directeur des services techniques à Pons (17), Patrick Berteau, responsable du service des espaces verts à Pons, Yaël Haddad, journaliste et animatrice de la table ronde, Jean-Paul Compain, maire de Chérac (17), Xavier Baudillon, responsable du service des espaces verts à Chérac. PHOTO : CFPPA DE SAINTES
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