Pourquoi et comment innover au sein d'une entreprise ?
Soutenir une démarche d'innovation exige d'un chef d'entreprise de mobiliser ses équipes, des réseaux, des financements… Illustration à travers le témoignage de deux experts et l'exemple du Prieuré, à Moisy (41). Spécialisée en bâtiment-paysage-horticulture, cette société a lancé l'Hydropack®, un bac précultivé pour couverture végétale.
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À l'occasion d'une journée sur le thème « Innovation & prospectives végétales », mardi 16 octobre dernier à la faculté des sciences d'Orléans, Nicolas Maniez, chargé de mission Végépolys en région Centre, et Marie-Pierre Papet, responsable de projets collaboratifs à la technopole d'Orléans Val de Loire, ont proposé une réflexion sur les bonnes raisons d'innover pour une entreprise et les moyens pour se faire accompagner.
Une innovation, c'est avant tout introduire un changement. Elle n'est pas toujours purement technologique ou technique : elle peut concerner une plante, un produit, un équipement, un process, mais également un service, une méthode de commercialisation, un type d'organisation, une adaptation à des contraintes réglementaires ou à un enjeu (protection environnementale...). Elle peut apporter une amélioration, créer un nouveau besoin, provoquer une rupture profonde des usages ou des comportements. L'objectif reste de trouver un avantage compétitif sur son ou ses marché(s) pour gagner du temps sur la concurrence. L'enjeu final est souvent la survie de l'entreprise : meilleur positionnement à l'export, accès à un marché plus large, meilleure croissance globale, diversification… via sa capacité à évoluer, à s'adapter. L'innovation est une des réponses possibles. Une étude réalisée par la Chambre de commerce et d'industrie constate que 66 % de ceux qui innovent ont vu leur activité se développer.
Vaste champ
DE LA DÉPOLLUTION AUX BIOTECHNOLOGIES ET À LA CHIMIE DU VÉGÉTAL
Le champ des innovations possibles est vaste. Dans nos secteurs ou à la marge, il peut s'agir de plantes utilisées pour dépolluer (phytoremédiation). Dans les biotechnologies, des entreprises travaillent sur la mise en évidence de « marqueurs technologiques », par exemple pour détecter des polluants dans l'environnement, ou sur l'appropriation des effets stimulateurs de défense naturels (SDN) des plantes. Des travaux concernent aussi l'optimisation des synergies engrais-microorganismes dans la plante… Côté chimie du végétal, de nouveaux débouchés sont recherchés, et le potentiel de promesses est large, notamment avec des molécules et ingrédients obtenus à partir de déchets végétaux. Sans oublier tout ce qui touche à l'analyse sensorielle (hors visuel ou organoleptique : odorat, toucher…) qui peut amener aussi à créer pour capter de nouveaux consommateurs.
Prétextes faciles
BAISSER LES BRAS RAPIDEMENT
« Attention, il y a toujours de bonnes raisons de ne pas innover », alerte Marie-Pierre Papet. Les prétextes sont faciles à trouver pour qui baisse vite les bras : manque de temps, trop à faire, pas qualifié, ne maîtrise pas, ne sait pas faire, pas de veille informative dans l'entreprise, rétention d'information, culture d'entreprise dont le management freine les initiatives, peur des coûts divers et variés, incapacité à formuler une idée… Si l'on sait calculer le coût de création et de mise en oeuvre d'une innovation, il est plus ardu d'en chiffrer le rapport et l'impact. Le manque d'ouverture et la difficulté des entreprises à coopérer est un autre frein majeur à l'innovation, particulièrement en France. Trop peu participent aux forums Internet qui lui sont consacrés ou sont engagées avec des laboratoires de recherche.
Accompagnement recommandé
MULTIPLIER LES CHANCES DE RÉUSSITE
Pour se donner des chances de réussir, il faut une bonne vigilance financière (d'autant plus que les résultats ne sont pas immédiats), savoir estimer le budget, et ce que son entreprise peut supporter. Il est parfois judicieux de penser à une nouvelle embauche. Il ne faut pas hésiter à faire des essais, à vérifier s'il faut se former à certaines technologies… Un bon concept s'accompagne d'un bon développement commercial : il est possible de se faire aider pour réaliser une étude de marché ou pour évaluer la concurrence. « Une entreprise doit avoir conscience qu'elle n'est pas seule dans sa région. Elle peut y trouver des structures d'accompagnement pouvant intervenir, même ponctuellement, dans diverses phases comme remplir les dossiers et trouver des aides. Il faut également penser à regarder du côté des centres de formation : certains ont des “junior entreprises” pour tester et développer des projets », soulignent Marie-Pierre Papet et Nicolas Maniez.
Hydropack®
LE PARCOURS D'UN CRÉATEUR
Dirigeant du Prieuré, à Moisy (41), Raphaël Lamé, ancien céréalier dans la Beauce, est devenu créateur dans le secteur de l'horticulture et du bâtiment paysage. Quels éléments ont motivé cette reconversion ? « L'innovation était une tradition et une culture chez nous. J'ai baigné dedans depuis tout petit, notamment avec mon père et un salarié “Géo Trouvetout” de la ferme familiale. Nous arpentions les allées du Salon de l'agriculture à la recherche de la moindre nouveauté. Ma première activité de diversification dans le gazon de placage dans les années 80 n'a pas décollé, faute de marché porteur en France. Mais cet échec a aussi été une opportunité car il m'a permis de détecter, dès 1992, le marché des toitures végétalisées. La production de gazon en rouleau a donc laissé la place à celle de tapis de Sedum, qui a nécessité beaucoup de recherches au Prieuré avec des partenaires techniques étrangers. La mise au point de substrats spécifiques, inconnus en France, a été l'aspect le plus complexe. Après plus de dix ans d'une demande quasi inexistante, les normes HQE ont enfin fait décoller le marché à partir de 2005. »
L'atout de l'entreprise a été d'être la première à comprendre les contraintes spécifiques à ce marché de niche. Avec, à la clé, un nouveau produit, breveté puis développé à partir de 2002 : l'Hydropack®. Ce bac précultivé à réserve d'eau « tout en un » pour couverture végétale, comprenant le substrat, les plantes et le système de drainage, peut être mis en oeuvre sans difficulté, y compris par des services peu familiarisés avec le végétal. Après deux ans d'expérimentation et une médaille d'or au salon Batimat, les ventes ont vite progressé.
Le Prieuré s'est fortement structuré depuis 2005 pour répondre au marché et garder la nette avance acquise depuis 1992. « Nous nous sommes développés autour de deux métiers : la production horticole avec l'une des plus grandes pépinières en Europe dédiée à la production de bacs et tapis précultivés pour les toitures, et un bureau d'études pour accompagner chaque projet de toiture végétalisée. Une équipe d'une dizaine de personnes apporte des solutions techniques aux architectes, maîtres d'ouvrage, entreprises du bâtiment ou du paysage. » Le savoir-faire du Prieuré porte sur le choix des complexes (substrats, plantes, systèmes de drainage), les calculs de structures pour la charpente ou l'élément porteur, et le choix de l'arrosage quand il s'avère nécessaire (région méridionale ou toitures en pente). Trente personnes ont rejoint la société ces cinq dernières années. Les aides ont été obtenues via Oséo et le conseil régional. « Notre sensibilité sur les enjeux de l'innovation nous a poussés à embaucher deux ingénieurs R & D à plein temps. Un vrai pari sur le futur ! », affirme Raphaël Lamé. Beaucoup de besoins nouveaux se profilent, notamment en matière de développement durable. « Être premier sur une idée permet de maîtriser les process, de basculer vers une stratégie de volume et de se défendre par rapport à des concurrents moins qualitatifs. On prend de l'avance, a priori pour longtemps, grâce aux brevets. Attention toutefois à ne pas confondre évolution et innovation : innover n'est pas copier (ce que l'on fait beaucoup trop en France, alors qu'il y a plein de voies possibles). C'est penser et créer avant les autres. Il faut garder un lien très fort avec son marché », poursuit Raphaël Lamé. Hydropack® a participé à la notoriété du Prieuré sur le marché du bâtiment. Initialement franco-française pour les toitures végétalisées, l'entreprise se mondialise. « Protégé par un brevet international, Hydropack® nous a tirés vers l'export, en Europe, depuis cinq ans. Et depuis dix-huit mois, nous avons monté une filiale pour sa production aux États- Unis. Pour faire aboutir un projet, le chef d'entreprise doit anticiper. Moi, j'y pensais depuis 1993. Il faut être solide financièrement et savoir rebondir après un échec. Aujourd'hui exportateurs, nous conservons nos racines à Moisy. Nous ne voulons pas déménager… Notre ADN, c'est notre bureau à côté du silo et de l'atelier ! »
Odile Maillard
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