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“ Se chauffer et être autonomes grâce à la méthanisation ”

Les associés du Gaec de l'Aurore, installés à Reugney, dans le Doubs, ont investi dans une unité de méthanisation produisant du biogaz, qui assure l'alimentation d'un moteur de cogénération. L'électricité produite est vendue et la chaleur récupérée offre la possibilité de cultiver des légumes. Un moyen de diversifier les ressources de l'entreprise, transposable à l'horticulture...

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« Plusieurs facteurs nous ont conduits à installer une unité de méthanisation, mais c'est avant tout l'aspect humain qui a été déterminant : nous préférons partager l'argent et avoir une certaine qualité de vie plutôt que gagner davantage individuellement mais travailler à un rythme de fou ! », explique René Monnier, l'un des cinq associés du Gaec de l'Aurore. « Pour moi, par exemple, il est important d'être avec mes enfants le dimanche. »

Situé à Reugney, village du Doubs, en Franche- Comté, à 700 mètres d'altitude, le Gaec existe depuis plusieurs générations. Les vaches montbéliardes produisent du lait à comté, la tradition dans cette région. En complément, les associés se sont lancés dans la culture de légumes. À cet effet, ils ont investi dans une unité de méthanisation, reliée à une serre multi-chapelle de 1 000 mètres carrés.

« En 2008, parmi les quatre associés, l'un s'apprêtait à prendre sa retraite, tout en étant remplacé par une nouvelle personne, ce qui nécessitait de trouver de nouveaux revenus », poursuit René Monnier. « Nous avons donc choisi la méthanisation de lisier et d'autres déchets organiques. L'idée a été étudiée pour plusieurs raisons : il y a une scierie juste à côté et, au départ, nous pensions fournir de la chaleur pour sécher le bois. Mais l'activité de la filière bois a décliné et la scierie n'était plus intéressée. Malgré tout, il était important de continuer à explorer cette voie, qui offrait plusieurs atouts pour l'exploitation : nous voulions devenir autonomes en fertilisants et le digestat nous le permettait (on s'est interdit dès le départ de prendre des boues de stations d'épuration pour être sûrs de ne pas avoir de problème). Le digestat, c'est ce qui reste après la méthanisation. Ici, il est utilisable en l'état et nous pouvons l'épandre sur les prairies. Nous n'apportons rien d'autre à la terre désormais et nous utilisons 100 % des résidus obtenus, soit environ 5 000 mètres cubes par an. C'est un fertilisant organique qui respecte la vie du sol, sans aucun risque pour le vivant. Le digestat ne dégage pas d'émanation, donc l'herbe n'a pas d'odeur spécifique après épandage. De plus, on utilise la chaleur pour sécher nos fourrages en été. » Autres arguments avancés par Gilles Vallet, un autre associé : « Il fallait valoriser le lisier des vaches et diversifier la production. La méthanisation permet les deux ! »

Valoriser le lisier de l'exploitation, mais pas seulement, car une unité de méthanisation nécessite un ensemble d'équipements obligatoires, à la fois pour son bon fonctionnement et pour satisfaire à la réglementation, ce qui exige un niveau d'investissement élevé. Le dimensionnement est quasi obligatoirement plus important que ce que produit l'exploitation agricole en termes de déchets méthanogènes. Il faut, du coup, envisager des apports extérieurs. Au Gaec de l'Aurore, l'unité a été dimensionnée pour pouvoir accepter tous les déchets, lisiers, fumiers, résidus végétaux, déchets agroalimentaires en provenance du territoire franc-comtois. « La Franche-Comté n'est pas la région qui en produit le plus. Il faut toutefois trouver des solutions locales pour diminuer la logistique », précise René Monnier.

Le principe de la méthanisation (voir l'encadré ci-contre) est de recréer ce qui se passe à l'intérieur du rumen d'une vache : autour de 39,5 °C, en l'absence d'oxygène, les matières organiques sont digérées par des microorganismes. Ici, une première fosse en béton, de 6 mètres de haut et de 16 mètres de diamètre, est occupée par 200 mètres cubes de biogaz et 1 000 mètres cubes de matière en digestion. Cette dernière est brassée en permanence et chauffée à 39,5 °C. Le chargement de la fosse s'effectue par pompage pour les liquides, et à l'aide d'une vis sans fin pour les solides. De 15 à 20 tonnes de matière sont ajoutées chaque jour ; cela prend environ une demi-heure. Le fonctionnement est permanent, et il faut prévoir des temps de maintenance et de nettoyage.

Au fur et à mesure de la digestion de la matière organique par les bactéries, le biogaz est collecté et la matière digérée, plus liquide, est évacuée vers une deuxième fosse. Le digestat est extrait par pompage, puis laissé à l'air libre pour une dernière maturation aérobie avant utilisation, pendant environ 15 jours. La production de biogaz est de 75 mètres cubes par heure. Il est intégralement brûlé dans un cogénérateur qui transforme cette énergie primaire : à 38 % en énergie électrique revendue à EDF, et à 42 % en énergie thermique. Les 20 % restants constituent des pertes impossibles à capter dans le système actuel. L'énergie thermique est valorisée pour chauffer les deux fosses de process, sécher le fourrage en été, et chauffer la serre en hiver.

L'ensemble de l'installation – méthanisation et serre de production – représente un investissement de 1,5 million d'euros. « Il est difficile de calculer le retour sur investissement pour une telle structure », reconnaît René Monnier. « Le gros oeuvre est remboursable sur quinze ans, le matériel sur huit ans. Mais nous sommes loin d'un calcul économique. Nous voulons vivre, prélever des salaires corrects, c'est tout. Et nous avons besoin de faire des choses différentes. Partir d'une idée pour la mettre en oeuvre avec l'implication humaine que cela représente, c'est important pour l'épanouissement ! Ça forme un tout. De plus, je crois que la ressource en pétrole va s'appauvrir, et comme les engrais en découlent, il faut trouver une alternative. » René Monnier en profite également pour rendre hommage aux générations précédentes : « Nous avons pu faire tout ça grâce à l'héritage qui nous a été transmis, à savoir une exploitation saine, qui tourne, et de véritables valeurs en termes de travail, d'argent. »

La serre multichapelle Richel de 1 000 mètres carrés, dont 900 mètres carrés sont consacrés à la culture de légumes en pleine terre, a été étudiée en fonction de la chaleur disponible. « Elle peut paraître surdimensionnée pour des légumes », explique Samuel Masson, responsable de la production avec Chantal Vallet au sein du Gaec. « Il fallait qu'elle soit fonctionnelle, bien isolée puisqu'on apporte de la chaleur, et assez solide pour supporter la neige et le vent ! » Le choix s'est porté sur un abri de 3,5 mètres au chéneau et 6,5 mètres sous faîtage, avec une toiture à doubles parois gonflables et des pignons en polycarbonate. Les côtés peuvent s'ouvrir quasiment intégralement. Un bac de récupération d'eau de pluie, relié aux chéneaux de la serre et installé à l'intérieur de cette dernière, permet d'arroser les plantes toute l'année avec de l'eau tempérée.

« Le choix d'une production bio s'est imposé de lui-même. On ne se voyait pas faire autrement. Pour les vaches, nous n'en sommes pas loin même si nous n'avons pas encore passé le cap. » Samuel Masson souligne qu'il leur a fallu se former, Chantal Vallet et lui, pour cette production : « Nous avons une structure de production conventionnelle pour des produits en bio : la hauteur de la serre et l'apport de chaleur font que notre productivité est plus élevée. Il faut être réactifs et organisés si on ne veut pas que ce soit le bazar ! Nous cultivons des légumes et des jeunes plants, essentiellement destinés à notre production. Nous en vendons également un peu aux particuliers et organisons à cet effet deux jours de vente sur place. L'exploitation est un lieu de rencontre ! Les gens ont vite pris l'habitude de venir ; ils boivent un café et peuvent discuter. Nous cueillons devant eux, nous leur faisons découvrir des variétés anciennes et de nouvelles choses comme le Physalis. On vend par ailleurs à la Biocoop de Pontarlier, à trois collèges qui sont venus nous voir et à un ou deux restaurants. »

Pour la conduite des cultures, l'entreprise est accompagnée en protection biologique par un distributeur local, Gustave Muller. « Nous sommes satisfaits des résultats de cette deuxième année de production, mais cette année ce sera notre premier hiver vraiment chauffé. J'ai juste un regret », précise Samuel Masson. « Les apports en chaleur sont bons, mais la lumière manque pour produire mieux ! La terre est chaude, elle permet de démarrer plus vite au printemps. Nous pouvons gagner de quinze jours à trois semaines sur la saison, mais pas davantage à cause de ce manque de luminosité. »

Les aspects financiers sont satisfaisants. Récupérer la chaleur de la méthanisation permet au Gaec de bénéficier d'une prime énergétique à la revente du kilowatt/heure électrique et, ainsi, de mieux valoriser l'électricité. « C'est une mesure destinée à encourager les producteurs dans ce sens. Par ailleurs, la création de l'atelier de légumes a permis l'installation, au sein du Gaec, de Chantal, l'épouse de Gilles Vallet, l'un de nos associés. Pour nous, c'est une réussite sur tous les plans ! », conclut Samuel Masson.

Cécile Claveirole

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