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“Tirer les leçons du passé pour recomposer le paysage”

« Tout en gardant l'esprit des plantations monumentales du canal, ce projet permet de créer une nouvelle image en accord avec les attentes paysagères, historiques et patrimoniales », souligne Émilie Collet, chargée de projet à la direction sud-ouest de VNF.PHOTO : VNF

Émilie Collet, chargée de projet à la direction sud-ouest de Voies navigables de France, explique la démarche du gestionnaire du canal du Midi pour remplacer les platanes de plus en plus atteints par le chancre coloré, mais dont l'impact visuel est unique le long de cette voie d'eau classée par l'Unesco depuis 1996.

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Le chancre coloré du platane touche le canal du Midi depuis 2006. Or, cette essence y représente la grande majorité des plantations et aucun traitement curatif ou préventif contre la maladie n'est à ce jour disponible. De ce fait, la direction territoriale sud-ouest de Voies navigables de France (VNF) a lancé une vaste réflexion sur le renouvellement du patrimoine arboré, en parallèle de son action de lutte contre la progression de cette affection. Émilie Collet, chargée de projet environnement à la direction sud-ouest de VNF, nous explique comment ce projet paysager a été pensé, en tenant compte de l'expérience actuelle, qui implique de ne pas proposer une plantation monospécifique, tout en offrant un paysage cohérent au fil de l'eau.

Une expansion de la contamination pour l'heure inéluctable.

Depuis 2006, date à laquelle le premier foyer de chancre coloré du platane a été détecté le long du canal du Midi, près de Carcassonne, l'expansion de cette maladie incurable – présente dans le sud de la France et la vallée du Rhône – n'a pas cessé avec à la clef l'abattage de près de 6 200 arbres. Et ce, malgré les mesures de lutte curatives et préventives développées par VNF, gestionnaire de ce site. « La propagation est exponentielle, avec 15 foyers supplémentaires repérés en 2008, 30 en 2009, 200 en 2011, 215 en 2012 et 245 en 2013 [certains foyers ne comptant qu'un sujet malade, NDLR]. Depuis 2006, on estime à 10 600 le nombre de sujets abattus ou devant l'être », souligne Émilie Collet. Pour le moment, sur le canal du Midi, aucun foyer n'a été détecté en amont de Castelnaudary (11), en direction de la région Midi-Pyrénées.

Un cahier de références pour une approche patrimoniale et paysagère.

Dès 2008, face à la progression de ce pathogène et au risque potentiel de voir la grande majorité des 42 000 platanes bordant le canal disparaître d'ici à l'horizon 2020, aux dires du comité d'experts, VNF a choisi de mener une vaste réflexion sur le renouvellement des plantations. Associée aux services territoriaux de l'État, aux conseils régionaux de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon, aux conseils généraux de l'Hérault, de l'Aude, de la Haute-Garonne et à l'association des communes du canal des Deux Mers (regroupant le canal du Midi et le canal de Garonne), la direction territoriale sud-ouest a lancé une étude en vue de l'élaboration d'un « cahier de références pour une approche paysagère et patrimoniale des plantations du canal du Midi ». Il s'agissait de tenir compte du caractère paysager exceptionnel de ces lieux, lié en grande partie aux arbres ainsi qu'aux ouvrages tels que les écluses, aqueducs... En effet, le canal du Midi et ses abords ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco en 1996. « L'équipe qui a été retenue est pluridisciplinaire avec des spécialistes issus des domaines du patrimoine et de l'histoire, du paysage et de l'expertise arboricole. L'objectif était de proposer un projet de replantation avec une approche globale qui tienne compte non seulement du contexte paysager et patrimonial mais également des contraintes techniques et biologiques. Il était indispensable de retenir les leçons du passé pour recomposer le paysage, en ne privilégiant pas une seule et unique essence qui pourrait à nouveau risquer de disparaître à la faveur de l'apparition d'une nouvelle pathologie émergente, tout en proposant une cohérence d'ensemble le long de ce canal. »

D'ailleurs, l'analyse historique des plantations installées depuis la construction de cette voie d'eau, par Paul Riquet entre 1666 et 1681, montre que plusieurs espèces avaient été testées avant que le platane ne soit retenu comme essence majeure, notamment des fruitiers, des saules, des mûriers blancs, en particulier au niveau des écluses.

Une palette d'essences soumises à un ensemble de tests.

Le choix des essences et l'organisation des plantations se déclinent autour de plusieurs principes :

- la conservation des structures arborées existantes de valeur, comme les chênes pubescents du secteur atlantique, lorsque cela est possible sur les plans technique mais également phytosanitaire ;

- l'implantation de structures arborées symétriques de part et d'autre du canal, sur la majeure partie du linéaire ;

- la création de structures permettant de renforcer la monumentalité du site (par exemple des doubles alignements) ou la mise en valeur de certains ouvrages avec des essences particulières ;

- l'aménagement de plantations spécifiques permettant de s'adapter au contexte environnant dans les secteurs dégradés, les zones urbaines, le milieu littoral, en collaboration avec les collectivités territoriales concernées.

Au fil de l'eau, des séquences plantées alterneront avec une essence « jalon » qui représentera à terme 40 % du patrimoine arboré et des unités plantées d'essences qualifiées d'intercalaires. Les candidats à l'essence « jalon » sont des espèces de première grandeur, capables d'atteindre plus de 30 mètres de haut à l'âge adulte, de vivre 150 à 200 ans, de présenter un feuillage caduc avec une belle qualité d'ombrage et un houppier apte à former une voûte.

Elles ont été sélectionnées pour leurs capacités à se plaire en bord d'eau dans des conditions pédoclimatiques pouvant aller de Toulouse à la Méditerranée et ne présentant pas de pathogènes problématiques connus. Le copalme d'Orient, le chêne à feuille de châtaignier, le chêne des Canaries (Quercus canariensis), le pacanier (Carya illinoensis), le caryer à feuilles cordées (Carya cordiformis), le tilleul argenté et le platane résistant ('Platanor'® Vallis Clausa) ont été retenus. En fonction de leur comportement sur le terrain, une sélection s'opérera dans une dizaine d'années pour ne retenir qu'une seule d'entre elles. En ce qui concerne les essences intercalaires, elles ont été choisies dans une palette végétale de moindre grandeur mais parmi des espèces bien connues, avec des qualités de reprise avérée sur les milieux considérés : chêne chevelu, orme (variétés réputées résistantes à la graphiose), cyprès de Provence, micocoulier, pin parasol, peuplier blanc, tamaris, pin d'Alep, mûrier blanc. Pour ces trois dernières essences, elles sont réservées aux zones lagunaires où le principe de structures arborées « lâches » a été retenu. « Tout en gardant l'esprit des plantations monumentales qui ont fait la valeur paysagère du canal du Midi, ce projet permet de créer une nouvelle image en accord avec les attentes paysagères, historiques et patrimoniales, ainsi qu'avec le contexte sanitaire. C'est également l'occasion de s'inscrire dans une démarche de diversification des essences plantées », indique Émilie Collet. Cette étude et les principes de replantation proposés ont été validés le 27 septembre 2012 par la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Sa mise en oeuvre engage le renouveau du canal. Le financement du budget de restauration, estimé à 200 millions d'euros, doit être assuré pour un tiers par l'État, au travers de son établissement public VNF, pour un tiers par les collectivités territoriales concernées et pour un tiers par des financements innovants, dont le mécénat environnemental.

Des plantations de qualité pour assurer leur pérennité.

« Nous sommes très attentifs à la phase de plantation et au suivi des premières années pour garantir la meilleure reprise possible et la pérennité de ces nouveaux aménagements. Le calibre retenu est par principe de 12/14 en secteur rural et de 18/20 en agglomération, en s'adaptant selon les disponibilités en pépinière. Le suivi des jeunes arbres (arrosage, taille de formation, suivi du tuteurage, paillage...) est assuré par l'entreprise qui a réalisé la plantation durant trois saisons. Celle-ci s'effectue entre les souches des platanes abattus car ces dernières ne peuvent être arrachées sous peine de voir les berges s'effondrer. Elles ont été dévitalisées et recouvertes d'une couche de 20 à 30 cm de terre végétale. Un protocole sanitaire strict est imposé aux entreprises pour éviter tout risque de propagation de matériaux contaminés. »

Yaël Haddad

Près de 6 200 platanes ont déjà dû être abattus le long du canal du Midi en raison du développement rapide du chancre coloré.

PHOTO : GROUPE HOLTZINGER

Le chêne à feuille de châtaignier fait aussi partie des essences testées pour dominer, à terme, les berges de la voie d'eau.

PHOTO : VNF

Pas moins de 42 000 platanes bordent le canal du Midi. La plupart sont aujourd'hui menacés par le chancre coloré et seraient amenés à disparaître d'ici à 2020.

PHOTO : WITOLD FLAK

'Platanor'® Vallis Clausa, le platane résistant au chancre coloré, fait partie des essences testées pour devenir « jalon ».

PHOTO : VNF

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