“À l'hôpital, les jardiniers sont aussi des soignants”
Technicien en espaces verts, Dominique Marboeuf travaille depuis près de quarante ans au centre hospitalier psychiatrique Georges-Mazurelle de La Roche-sur-Yon (85). Au fil des années, il a créé un parc devenu un véritable outil thérapeutique dont les patients peuvent profiter en toute liberté.
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À l'âge de 21 ans, Dominique Marboeuf, alors jeune technicien des espaces verts nouvellement recruté au sein de l'hôpital psychiatrique Mazurelle, se voit confier une mission : « Noyez-nous tout cela dans la verdure », lui demandent les médecins psychiatres. On est en 1975. Pour les patients privés de liberté, le parc doit être un espace dont ils peuvent au contraire pleinement profiter ; il doit participer à leur bien-être en les attirant vers l'extérieur pour rompre leur isolement physique et psychique et les immerger dans un environnement luxuriant et apaisant. Dominique Marboeuf a carte blanche pour transformer le lieu dans le but d'améliorer la prise en charge des patients. La vision était simple : « Ces personnes souffrent. Offrons-leur un environnement qui atténue leur souffrance », explique-t-il.
En près de quarante ans, le jardinier a eu le temps de modeler les 45 hectares de parc qui entourent l'établissement. « Nous avons organisé une unité de paysage avec une organisation de l'espace autour de corridors verts et d'espaces de liaison entre les bâtiments, y compris les pavillons de plain-pied qui sont éclatés dans le parc. Nous ne voulions pas d'espaces trop marqués et trop orthogonaux. Nous voulions casser les lignes de voirie et introduire des courbes. Le but était aussi d'habiller les bâtiments pour casser la rigueur architecturale avec une végétation en contraste, pas une haie bien domestiquée », explique-t-il.
Malgré les risques potentiels, les médecins ont toujours soutenu l'utilisation de l'eau dans le paysage, pourvu que les bassins et les mares ne dépassent pas 30 cm de profondeur. Ce cadre accueillant bénéficie à tous, patients et personnels. L'idée était également de créer des esplanades qui favorisent la rencontre et des espaces qui permettent de s'isoler comme cet énorme châtaignier colonisé par une glycine qui forme un havre naturel sous lequel on peut s'asseoir. L'équipe a remis en valeur les bords de la rivière l'Yon et a procédé à la restauration d'un lavoir. Avec une intervention minime (des arbres tombés en guise de bancs, une main courante), l'endroit est devenu un lieu de promenade un peu sauvage où les patients peuvent venir accompagnés.
Contribuer au bien-être des patients est une volonté constante. « Nous rattachons toutes nos actions à cet objectif pour répondre à des besoins thérapeutiques », affirme Dominique Marboeuf dont la longue expérience lui vaut de nombreuses invitations au cours desquelles il intervient, notamment dans le cadre d'une formation sur les jardins de soin à Chaumont-sur-Loire depuis 2012, ou dans les symposiums de l'association Jardins & Santé. On l'aura compris, le parc offre un paysage qui agit sur l'état d'esprit des patients et du personnel (500 lits sans compter l'hôpital de jour et 1 200 employés). Mais l'équipe des espaces verts est allée plus loin en créant des espaces thérapeutiques adaptés aux différents patients. Pour remplir ce rôle auprès des soignants, l'organisation institutionnelle prend toute son importance : « À l'hôpital, les jardiniers sont aussi des soignants. Le service des espaces verts n'appartenant pas aux services techniques, il est plus en relation avec les équipes soignantes et il est perçu comme un apporteur de solutions transversales », commente Dominique Marboeuf. Dans plusieurs unités gériatriques, son équipe a installé des parcours d'équilibre utilisés dans la prévention des chutes. Il s'agit pour les personnes âgées de monter, descendre, déambuler en foulant des matériaux contrastés (herbe, sable, cailloux, écorce...). Entre les chambres en vis-à-vis, on a planté des potagers dont certains sont gérés par les infirmiers et d'autres par les patients. Ailleurs, dans une unité d'addictologie, un petit jardin auto-géré apporte aux patients des odeurs aromatiques qui détournent leur attention et permettent de contrecarrer leurs troubles.
Pour le service de pédo-psychiatrie qui accueille trois unités d'hospitalisation, Dominique Marboeuf a mis toute son imagination à destination des enfants. « L'espace était plat. Nous avons donc organisé des vallonnements pour qu'ils puissent faire des roulades dans l'herbe et pour pouvoir construire une forteresse. Du haut de cette dernière, ils ont une vue sur le labyrinthe et le théâtre de verdure. Et le pont suspendu pour monter au fort fait travailler l'équilibre », explique-t-il. Cet édifice répond bien sûr à toutes les normes de sécurité. Dans le théâtre de verdure, les enfants apprivoisent le corps et l'esprit dans l'espace. Tous les ans, ils y donnent un spectacle pour leurs parents. Le labyrinthe a été conçu pour qu'ils explorent l'idée de se perdre et de se retrouver sans angoisse grâce à des haies à leur taille. Ils découvrent par ailleurs, grâce à une harpe éolienne construite dans un atelier thérapeutique de l'hôpital, des sons étonnants. Et un ancien terrain de foot s'est transformé en terrain d'aventure, laissé en herbe.
« Ces jardins sont toujours créés à la demande de l'unité. Nous sommes leur conseiller technique. L'écueil à éviter : que le projet repose sur la volonté d'une personne et s'arrête rapidement. Si le jardin fonctionne, on peut ajouter une clôture pour bien identifier le lieu, un banc. Ces jardins ne coûtent pas cher », précise le jardinier. Dans une Maison d'accueil spécialisée (MAS) où vivent des résidents avec des handicaps physiques et moteurs, mais aussi dans de nombreux cas une pathologie mentale, les patients voient des chevreuils paître dans une prairie fleurie et jardinent dans des bacs construits à hauteur sur mesure. Une zone de pique-nique est isolée dans un cadre naturel.
Même les serres se transforment en espace thérapeutique en accueillant des ateliers d'art-thérapie où des patients créent avec une plasticienne des sculptures collectives à base de matériaux récupérés et en particulier du bois coupé sur place. Au détour de la promenade dans le parc, Dominique Marboeuf indique une de ces sculptures, Les Fées de Serre, fabriquée dans l'atelier d'art-thérapie. « Un jeune avec qui je discute depuis qu'il est venu à l'atelier m'a expliqué que ce projet le stabilisait. » Le jardinier de Mazurelle adore ces projets de sculpture. D'ailleurs, tous les ans, son équipe fabrique en grand secret une oeuvre monumentale qu'elle dévoile à l'entrée de l'établissement le 1er avril (cette année, une baleine et son baleineau en parfaite harmonie avec l'interdiction de la pêche à cette espèce annoncée le jour même).
Par ailleurs adepte des noues, il en a créé plusieurs pour faciliter l'évacuation des eaux. Et féru de haies tressées, il a organisé un atelier pour de jeunes patients qui ont appris cet art ancien lequel a précédé la méthode du barbelé.
Cette année sera un peu particulière au centre Mazurelle avec le départ à la retraite de Dominique Marboeuf qui passe progressivement la main à l'actuel agent de maîtrise principal qui le seconde déjà, Michel Grelier, afin de continuer à faire vivre ce projet unique en son genre.
Isabelle Boucq
Le service des espaces verts aime laisser en herbe des prairies fleuries au coeur desquelles des chemins tondus invitent à la promenade. PHOTO : DOMINIQUE MARBOeUF
Dominique Marboeuf a parsemé le parc de mares et de bassins qui ne dépassent pas 30 cm de profondeur. Celui-ci est agrémenté d'une sculpture, l'une des passions du jardinier. PHOTO : ISABELLE BOUCQ
Élément clé du terrain d'aventure des enfants, ce labyrinthe, dont les haies ont une hauteur adaptée à leur taille, encourage l'exploration de l'espace sans angoisse. PHOTO : DOMINIQUE MARBOEUF
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