“Se mobiliser pour sauver la filière rose et pépinière du bassin douessin”
Michel Viault, Laurent Harpin, Alain Pichot, Jean-Marie Maitreau, Christophe Chargé sont quelques-uns des producteurs douessins (Doué-la-Fontaine, dans le Maine-et-Loire) engagés dans une démarche collective visant à valoriser et à pérenniser la filière locale. Bilan à mi-parcours de cette association de rosiéristes et de pépiniéristes.
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Depuis deux siècles, les pépiniéristes du bassin douessin se succèdent de père en fils. « Le bassin douessin, c'est 63 producteurs de rosiers et de fruitiers : pépinières commerciales, pépiniéristes ne faisant que du contrat, entreprises installées depuis trois générations, jeunes qui s'installent... », décrit Jean-Marie Maitreau, président de l'association des rosiéristes pépiniéristes du bassin douessin (fondée en juin 2006). La production regroupée géographiquement et le savoir-faire en racines nues maintiennent encore le bassin parmi les leaders en rosier, mais pour combien de temps ? Le territoire est fragilisé par sa dépendance à l'égard de la distribution : 60 à 70 % de la production de rosiers de Doué-la-Fontaine est commercialisée auprès de distributeurs spécialisés. Il fait face à une concurrence croissante, notamment des pays de l'Est. Il a du mal à s'adapter aux changements du marché, d'autant que les producteurs étaient jusqu'alors peu impliqués dans les démarches locales et nationales. Ces derniers subissent par ailleurs des pertes en culture.
Conscients de la situation, les pépiniéristes et rosiéristes du bassin douessin se sont engagés dans une réflexion sur l'avenir de la filière locale. Aidés par la chambre d'agriculture du Maine-et-Loire, ils ont dressé un état des lieux de ses atouts et de ses contraintes. « Il nous fallait une aide financière », explique Michel Viault, vice-président de l'association, référent avec Christophe Chargé sur le développement de la filière. Cet état des lieux a servi de base à l'établissement d'un plan d'action, pour lequel une demande de financement a été déposée en fin 2011 auprès de la Région. En 2012, la plate-forme régionale d'innovation (PRI) (*) « Innovation et modernisation de la filière pépinière et rosier du bassin douessin » était lancée officiellement au Salon du végétal, à Angers (49), pour quatre ans.
À l'origine, 32 producteurs souhaitaient participer à la PRI. Au fur et à mesure du montage de la plate-forme, certains ont quitté le projet. La PRI est désormais portée par les 26 adhérents de l'association des pépiniéristes et rosiéristes du bassin douessin. La diversité des entreprises complexifie la tâche : « Nos intérêts sont différents selon la taille et le mode de commercialisation », confirme Michel Viault.
Sur quatre ans, le coût total du projet est estimé à plus d'un million d'euros. La Région des Pays de la Loire le soutient à hauteur de 50 %, complétés d'une participation de 40 % de l'IRHS (Institut de recherche en horticulture et semences, composé de l'Inra, d'AgroCampus Ouest et de l'université d'Angers), des contributions de l'Arexhor Pays de la Loire (3,5 %), de la chambre départementale d'agriculture du Maine-et-Loire (3,5 %), de celle de l'association (3 %), et du BHR (Bureau horticole régional). Les adhérents paient ainsi, en plus de leur cotisation annuelle de 70 euros, 250 euros pour le financement de la PRI.
Répondant aux principales contraintes identifiées, la PRI se décompose en trois volets. Le premier, technique, concerne l'amélioration des systèmes de culture (diminution des intrants et de la consommation en eau, fatigue des sols, étude du porte-greffe). Le deuxième touche l'organisation collective et la mutualisation des matériels. Et le troisième, la promotion.
Les essais techniques sont menés en partenariat avec l'Arexhor Pays de la Loire et le BHR. Ce dernier se charge de la formation : gestion des adventices, connaissance des maladies, visites sur parcelles... Tous les quinze jours à trois semaines, les producteurs se réunissent sur une parcelle « exemple » pour apprendre à observer, en complément des formations en salle. Les essais sont répartis entre les différentes entreprises et la station d'expérimentation. Les expériences de paillage avec de la paille, non concluants sur les rosiers buissons, continuent sur des fruitiers tiges et des rosiers tiges. Reste à étudier comment mécaniser l'apport de paille. D'autres tests sont stoppés, faute de résultats intéressants : enherbement spontané, sondes capacitives... Côté phytosanitaire, les producteurs ne sont pas encore en PBI, mais s'y engagent doucement, avec par exemple la mise en place de potentilles comme plantes hôtes d'auxiliaires. Les comptages et les observations des auxiliaires et des ravageurs en 2013 ont révélé une forte présence de chrysopes permettant un bon contrôle des populations de pucerons (en rosier). Cette année, le travail porte sur les seuils d'intervention et les essais d'herbicides naturels. Avec les expérimentations de l'Arexhor menées sur leurs parcelles, les producteurs savent que l'apport d'inoculants mycorhiziens peut être intéressant sur de mauvais terrains. La station va s'attacher à mettre au point une méthode pour mesurer le potentiel mycorhizien du sol.
Autre partenaire de la plate-forme, entièrement dédié à l'étude du porte-greffe : l'IRHS, qui accueille la plus importante équipe européenne consacrée au rosier. La chute du greffon (non reprise du greffon), qui dépend de la variété, peut affecter 5 à 30 % de la production, voire plus. Il s'agit d'abord de comprendre le phénomène. Le porte-greffe Rosa corymbifera 'Laxa' (convenant en sol calcaire, résistant au froid, mais mal adapté aux conteneurs), jusqu'alors non concerné par la chute du greffon est aujourd'hui touché. Avec les porte-greffes Rosa multiflora « Authion » et « Allemand » (adaptés aux conteneurs mais peu résistants au froid), ce sont les trois types testés. Un travail sur un éventuel nouveau porte-greffe est également réalisé. « L'idéal serait de trouver un nouveau porte-greffe, que nous pourrions protéger, polyvalent, adapté à tous types de sols, qui ne subisse pas la chute de greffon, résistant à la sécheresse... », souligne Laurent Harpin, rosiériste à Doué-la-Fontaine. « Adapté pour le conteneur et la pleine terre », ajoute Alain Pichot, producteur à Louresse-Rochemenier (49). Les travaux de l'IRHS portent sur l'établissement d'une collection, l'étude de la variabilité génétique des porte-greffes et le phénotypage. L'institut réalise des essais sur son site à Beaucouzé (49), comme des plants greffés in vitro en conditions contrôlées, des tests d'hormone..., et sur le terrain à Doué-la-Fontaine.
« Il y a des avancées », annonce Jean-Marie Maitreau. Les observations réalisées par les producteurs et l'institut permettent de définir plusieurs pistes d'exploration : vigueur du porte-greffe ; dates d'écussonnage (fin juillet ou mi-août) ; variations de températures ; taux de sucre dans la plante ; sol argileux vs. sol sableux ; quantité d'eau disponible... Une journée terrain organisée en juin a permis aux pépiniéristes de visiter les essais de la station Arexhor et de celle de l'Inra (IRHS), ainsi que le laboratoire de culture in vitro.
Le deuxième axe de la PRI vise à identifier le matériel utilisé et les besoins, à développer du matériel innovant (plantation, binage...) pour améliorer la compétitivité des entreprises, à organiser l'emploi et les services pour maintenir le savoir-faire sur le bassin.
« En 2013, nous avons organisé une démonstration de matériels ouverte au monde agricole, sur le désherbage mécanique, qui a rassemblé environ 60 personnes : une réussite », raconte Marion Pillier, chargée du suivi du projet au sein de la chambre d'agriculture du Maine-et-Loire. La journée sera certainement renouvelée. Elle permet aux producteurs de découvrir de nouveaux matériels. Reste un point d'achoppement : l'achat. Après un premier projet avorté d'achat de matériel en commun, les producteurs se sont tournés vers la Cuma d'Ambillou-Château (49), pour y développer une section spécifique pépinière. Des acquisitions de matériels sont en cours (une bineuse intercep, une herse étrille) au sein de la coopérative, avec une demande d'aide PVE (Plan végétal pour l'environnement). Une réflexion se poursuit pour disposer en commun d'une arracheuse.
« Nous sommes moins avancés sur l'organisation de prestation de service », nuance Jean-Marie Maitreau. « La problématique est de ne pas perdre notre savoir-faire. » C'est pourquoi les rosiéristes auraient aimé avoir l'équivalent, sur leur territoire, des entreprises anglaises spécialisées dans l'écussonnage, le greffage et l'arrachage... Ces dernières se déplacent dans l'ensemble de l'Europe pour effectuer ces opérations. La formation de partenaires locaux susceptibles de jouer ce rôle n'a pas abouti pour l'instant, d'autant que certains producteurs ont pris goût aux prestations britanniques.
Dernier axe, et non des moindres, selon Michel Viault, il s'agit d'identifier et de promouvoir les produits et le territoire, notamment par une communication auprès des professionnels et du grand public. Le pépiniériste vient de transmettre son entreprise à deux successeurs douessins (Pépinières Forest et Pépinières Bardet), mais ne délaisse pas pour autant son cheval de bataille. « Environ 95 % des ventes du bassin sont faites en gros et sous contrats. Nous sommes plus connus des producteurs que des consommateurs. » Dans ce contexte, apposer une mention « Produit à Doué » aurait peu de sens. La réflexion continue. « Quand on traverse le bassin douessin, rien n'indique qu'il s'agit du premier site de production de rosiers », assène Jean-Marie Maitreau. C'est pourquoi les producteurs travaillent sur une signalétique, avec, en 2013, la réalisation d'un plan de communication, d'une charte graphique et d'un logo. En 2014, un logo a été réalisé. Des panneaux vont être positionnés à différents endroits du territoire. Une communication sur la filière et la PRI est engagée dans la presse, ainsi que sur le web pour le grand public. La PRI souhaite travailler avec d'autres structures (tourisme, zoo...) pour instaurer d'éventuels partenariats.
Les producteurs réfléchissent sur la création d'un événement dédié aux rosiers, peut-être à l'occasion des Pépifolies (marché aux végétaux), dont la sixième édition se tiendra les 22 et 23 novembre à Doué-la-Fontaine.
« Les producteurs se mobilisent pour sauver la filière douessine », conclut Jean-Marie Maitreau. Si des avancées techniques, organisationnelles et promotionnelles se font jour petit à petit, un problème demeure : celui de l'absence de reprise. Sur les 26 adhérents de l'association, un tiers est âgé de plus de 50 ans. Les producteurs espèrent, grâce à la PRI, montrer le dynamisme de leur filière et ainsi attirer d'éventuels repreneurs.
Valérie Vidril
(*) Projet à vocation territoriale réunissant acteurs de la recherche et acteurs économiques, et assurant un lien avec les organismes de formation. Ce dispositif de soutien d'une filière industrielle a été mis en place par la Région des Pays de la Loire en 2009.
Les essais réalisés sur le terrain et encadrés par l'Arexhor Pays de la Loire permettent d'expérimenter de nouvelles techniques. Ici, protection du sol par de la paille et potentille pour attirer les auxiliaires, chez Alain Pichot. En vignette : la paille retient l'humidité. PHOTOS : VALÉRIE VIDRIL
Alain Pichot espère que la PRI aboutira à la création d'un porte-greffe performant. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
La chute de greffon intervient à différents stades de développement du plant, sans qu'une cause précise ait encore pu être déterminée. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
La démonstration du 11 juin, à Ambillou-Château, a permis aux producteurs du douessin et d'ailleurs d'échanger sur leurs besoins en amélioration de matériels. Ici, présentation d'une bineuse intercep sur fruitiers. PHOTO : CHAMBRE D'AGRICULTURE 49
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