“ Accepter quelques dégâts mineurs pour conserver une faune naturelle ! ”
Jean-Baptiste Mondou, responsable des pépinières de l'Albanais, en Haute-Savoie, a fait le choix de la diversité variétale et de la protection biologique intégrée (PBI). Mais s'engager dans une réelle démarche de respect de l'environnement confronte l'entreprise à un paradoxe : s'ils souhaitent le recours aux méthodes naturelles, les clients acceptent difficilement les défauts visuels même mineurs...
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Avec plus de quatre cents variétés conservées, dont une grande partie en culture, les pépinières de l'Albanais ont fait de la diversité variétale un de leurs atouts. Aujourd'hui, c'est aussi la préservation de la biodiversité naturelle, végétale et animale, sur laquelle s'appuie la protection biologique intégrée (PBI), qui peut être valorisée auprès d'une clientèle de plus en plus sensible à ces démarches environnementales. Spécialisées dans la production d'arbres fruitiers en conteneur et en pleine terre, les pépinières de l'Albanais sont implantées depuis 1936 à Vallières, à proximité de Rumilly (74), entre les lacs du Bourget et d'Annecy. Située à seulement 400 m d'altitude (zone parmi les plus basses du département), cette plaine fertile connaît néanmoins les rigueurs du climat montagnard. Ces conditions rudes sont idéales pour produire des végétaux adaptés tant aux zones d'altitude que de plaine.
Initié à partir des années 2004-2005, le passage à la PBI s'est effectué progressivement. « La protection de l'environnement est aujourd'hui un enjeu de société et les dangers des traitements chimiques sont un sujet de préoccupation pour beaucoup. Nous ne pouvions pas échapper à ces questionnements », explique Jean-Baptiste Mondou, qui dirige les pépinières depuis 1997. « Dans notre entreprise, plusieurs salariés, dont le chef de culture, étaient très motivés pour engager une démarche environnementale. Nous sentions également une certaine pression de la part de nos clients. » En 2004, nous avons commencé par réduire les herbicides chimiques, remplacés par le travail mécanique du sol et par du paillage sur les conteneurs, puis réduit de plus en plus tous les types de traitement et, enfin, développé des techniques de piégeage et les lâchers d'auxiliaires. « Aujourd'hui, on redécouvre les cycles de vie des insectes – auxiliaires ou parasites », constate le pépiniériste. « Notre démarche est proche de l'agriculture biologique : cela fait trois ans qu'aucun traitement insecticide chimique n'a été pratiqué malgré quelques attaques importantes. Nous progressons vers le moins de traitements possible. En 1997, nous pratiquions quinze à dix-huit traitements annuels. Aujourd'hui, nous les avons réduit à seulement six ou sept, uniquement fongicides (NDLR : les maladies cryptogamiques sont encore peu ou pas solutionnables par la PBI). »
Si l'arrêt des traitements chimiques permet une économie sur l'achat des produits, beaucoup de temps doit être dégagé pour l'observation des auxiliaires et parasites : pour comprendre et intégrer comment ils évoluent, comment l'arbre passe les périodes sanitaires délicates. « Tout en recherchant 100 % de qualité commercialisable, il faut accepter quelques dégâts mineurs pour conserver une faune naturelle. Le problème de l'auxiliaire est qu'il arrive en décalage par rapport aux ravageurs. Il y a une tolérance aux dégâts à apprendre, et il faut savoir attendre », poursuit Jean-Baptiste Mondou, qui évoque une situation concrète. « Cette année, nous avons eu une forte attaque de pucerons sur les fruitiers en conteneur et sur les cerisiers notamment. Nous nous sommes posés un temps la question de savoir si nous devions traiter chimiquement ou pas. Comme nous avions constaté la présence d'un très grand nombre d'auxiliaires indigènes (surtout des coccinelles), nous avons décidé de laisser faire la nature. Effectivement, quelques semaines après, tous les pucerons avaient été éradiqués. Depuis, les arbres ont repris leur croissance normale, mais les dégâts sur les feuilles sont irréversibles. Nos conteneurs sont sur les points de vente dès le mois de septembre et ces marques inesthétiques nous sont reprochées par nos clients. Le paradoxe c'est que ce sont les mêmes qui, d'un côté, nous demandent de travailler de plus en plus de façon naturelle, mais, d'un autre, ne tolèrent pas de défauts visuels sur les plantes, à l'image des consommateurs devant un étalage de pommes. » En fait, la pépinière doit lutter contre les excès du marché et les incohérences des consommateurs. « Il est nécessaire de former les vendeurs en jardinerie pour qu'ils amènent le client à tolérer certains dégâts mineurs ou sans incidence sur l'avenir des plants », affirme le pépiniériste. « Jusqu'à un certain seuil, la présence de parasites ne gène en rien le développement de la plante. C'est le cas du puceron lanigère sur les pommiers. Habituellement, nous le maîtrisons très bien en introduisant des souches de Paecilomyces en arrosage, mais fin août 2011, suite à un coup de chaleur, nous avons eu une forte attaque que nous n'avons pas pu maîtriser. Pour nous, en culture, cela reste un parasite secondaire, mais pas pour le consommateur au moment de l'acte d'achat. Les revendeurs n'acceptent pas non plus ces parasites à l'effet peu esthétique. Nous les incitons à venir visiter les pépinières, à constater les dégâts causés par les parasites (feuilles enroulées, par exemple) et à observer comment les plantes réagissent. »
Une importante faune prédatrice s'est installée depuis la réduction des traitements insecticides chimiques, spontanément ou suite à des lâchers les premières années (chrysopes, coccinelles, punaises prédatrices), une véritable explosion de la faune auxiliaire naturelle. Cette année, sur les conteneurs, chaque plant abrite au minimum entre dix et quinze coccinelles, du stade larvaire à adulte. Les pratiques culturales comme les zones enherbées non fauchées, les haies bocagères et les plantes hôtes contribuent à favoriser cette population d'auxiliaires. En 2010, des haies bocagères ont été plantées autour des aires de conteneurs. Les espèces, choisies pour leur floraison et leur feuillage – fusain, sureau, lierre, viorne, noisetier, sorbier, cornouiller sanguin, amélanchier, érable champêtre... – ont un rôle de réservoir de nourriture pour ces auxiliaires. Elles permettent leur pérennisation sur le site, en complément de différents dispositifs pour favoriser l'hivernage : boîtes en bois, fagots de bambou, paille... dispersés en hiver le long de ces haies. Des conteneurs de potentilles, dispersés sur les aires de culture, jouent le rôle de plantes hôtes, leurs fleurs attirant les syrphes, insectes prédateurs des pucerons. Sensibles au sec, ces plantes constituent également un bon indicateur de l'état hydrique du substrat dans la planche de culture.
Avec ces nouvelles pratiques et le retour des auxiliaires indigènes, certains parasites sont spontanément beaucoup moins présents comme la mineuse sur le pêcher alors qu'auparavant il était difficile d'en contenir les populations, les traitements à base de Bacillius étant peu efficaces. Ces parasites n'étaient pas sans incidence sur le développement des plantes : « Nous constatons, aujourd'hui, beaucoup moins de pertes au démarrage de la végétation au printemps. Et les alternatives aux herbicides présentent d'autres atouts : le paillage des conteneurs avec du broyat de bois a ainsi permis une économie sur l'arrosage de près d'un tiers », constate Jean-Baptiste Mondou.
La diversité variétale proposée par les pépinières de l'Albanais constitue aussi une réponse pour les consommateurs dans la lutte contre les maladies et parasites, en leur permettant de choisir des variétés résistantes ou adaptées aux contraintes locales (voir l'encadré). « Gérer une telle diversité passe par une grande rigueur au niveau de l'étiquetage », précise Jean-Baptiste Mondou. « L'authenticité variétale étant un critère très important, nous avons un peu la “psychose de l'étiquette”. Malgré toutes ces contraintes, nous tenons à conserver cette diversité végétale qui a une valeur patrimoniale. Nous offrons aussi un service de greffage, à destination des particuliers : ils nous apportent leur(s) propre(s) greffon(s) pour conserver une variété particulière qu'ils ont dans leur jardin. » Les conteneurs représentent plus de 70 % de la vente de fruitiers, mais la racine nue fait son retour en jardinerie pour les offres promotionnelles d'automne et pour élargir la gamme variétale. Les arbres à noyaux représentent plus de 60 % des ventes, le cerisier restant l'espèce la plus appréciée des particuliers.
Les pépinières de l'Albanais répondent au cahier des charges MPS (*) qui, pour le chef d'entreprise, est relativement peu contraignant. « Aujourd'hui, nous pourrions potentiellement envisager le label AB (agriculture biologique), mais nous avons un problème de rotation des cultures. N'étant pas propriétaires de suffisamment de surfaces, nous échangeons des terres avec des agriculteurs, mais ceux-ci ne sont pas en bio. Ensuite, il faudrait réfléchir à la manière de valoriser ce label et de répercuter le coût des contrôles sur le prix de vente... »
Claude Thiery
(*) Milieu Programma Sierteelt est un label officiel pour mesurer l'impact sur l'environnement des productions horticoles.
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