" Un effet immédiat, grâce aux écorces décoratives "

Le portail est grand ouvert. Dans la cour, une immense grange abrite le modeste chalet en bois qui accueille les visiteurs. Juste devant, des plantes attendent d'être emportées par les clients ; des particuliers et des paysagistes venus en habitués, souvent même en amis, tant la pépinière Hennebelle est une histoire de famille. Ici, au coeur du village fleuri de Boubers-sur-Canche, Jean-Loup et Nicolas Hennebelle perpétuent l'héritage de leur père, Jean-Pierre, fondateur en 1960 de la pépinière jardin du même nom. Dans la vallée humide de la Canche, ce n'était alors qu'une simple prairie de moins d'un hectare où cet autodidacte cultivait des vivaces.

Puis, à partir de 1970, au fil de ses voyages, il tombe en amour pour les feuillages colorés et les écorces décoratives. Il est le premier à ramener le fameux saule crevette et crée un lieu étonnant, une pépinière jardin entièrement dédiée à ces arbres et arbustes. Ses plantes préférées venues de Chine, du Népal ou de Mandchourie y trouvent refuge dans des mises en scènes, aujourd'hui soigneusement entretenues et renouvelées par ses fils, auxquels il a transmis sa passion.

Des savoirs bien transmis. Comme une écorce tendre qui se détache de son tronc, Jean-Loup Hennebelle raconte un peu de cette enfance partagée avec Nicolas, son frère aîné. Leur apprentissage se fait dès leur plus jeune âge. Sans jamais rien leur imposer, c'est par le jeu que leur père éduque leur regard, leur apprend à reconnaître les plantes qu'ils aiment, quelles que soient leurs conditions de cultures. En bon pédagogue, il leur fait passer des tests : « Mal exposé, un arbre à feuillage pourpre à la pépinière ne le sera pas chez un client ! À 11 ans nous connaissions déjà une centaine de végétaux », explique Jean-Loup Hennebelle. L'endroit est fréquenté par la princesse Greta Sturdza, créatrice du jardin du Vasterival, à Sainte-Marguerite-sur-Mer (76). Elle apprécie le pépiniériste, l'homme autant que son savoir. Alors, quand Jean-Pierre Hennebelle décède en 2002, elle fait confiance à ses fils. Nicolas, qui travaille déjà dans l'entreprise depuis six ans, est rejoint par son frère pour reprendre l'établissement. La complémentarité est évidente entre le premier, titulaire d'une maîtrise en biologie cellulaire, et le second, diplômé d'un BTS « commerce ». La complicité aussi.

Le choix d'une production de pleine terre. Aujourd'hui, le domaine s'étend sur trois hectares. La gamme est constituée d'environ quatre cents taxons d'arbres et arbustes à feuillages colorés et écorces décoratives. Huit cents plantes sont généralement prêtes à la vente, commercialisées de quarante centimètres jusqu'à trois mètres de hauteur selon les espèces : « Pour les arbres, cette taille assure une belle présence tout en simplifiant la mise en oeuvre », affirme Nicolas Hennebelle. Les végétaux sont cultivés sans aucun traitement, en jauges, en pleine terre, dans un sol argilo limoneux au PH de 6,7. Un choix garant d'une bonne reprise des plantes chez les clients dont le type de sol est souvent le même (80 % de particuliers surtout du nord et de l'est de la France mais aussi de Bretagne et de Belgique). Sur deux hectares et demi, la production est organisée en parcelles à thème, réparties le long des trois kilomètres d'allées du jardin. Une configuration qui invite le visiteur à la flânerie, guidé par des noms évocateurs : l'allée des fées pour les plantes d'ombre, celle des sorcières pour les formes ou encore celles de l'automne ou des baies et des parfums. Car c'est tout le travail du pépiniériste : sélectionner les meilleurs sujets et permettre aux clients de se projeter dans leur futur jardin. Les végétaux sont donc présentés à différents stades de leur développement.

Ainsi, une parcelle de jeunes Acer griseum (à écorce de papier), plus facile à réussir que les variétés d'érable jaspé, est immédiatement suivie par des sujets de trois ans, prêts à être prélevés, tandis que des arbres adultes sont mis en scène un peu plus loin. Pour les petits jardins, on trouve des assortiments de hêtres tels Fagus 'Mercedes' à la croissance lente ou Fagus 'Nana Purpurea' au beau feuillage foncé.

Les bouleaux jouent les vedettes. Toutefois, ce sont certainement les bouleaux qui illustrent le mieux la philosophie du lieu. Éduqués pour penser un jardin sur le long terme, les deux frères accompagnent leurs clients dans la création d'une ambiance unique. Structurer et planter serré pour obtenir un bel effet est un héritage de leur père. Ainsi, chez Hennebelle, les bouleaux, emblématiques des grands espaces, défient les idées reçues. Aussi surprenant que cela paraisse, dix-sept arbres plantés à moins d'un mètre les uns des autres y prospèrent sur neuf mètres carrés depuis quarante ans.

Cependant, « la clientèle a évolué. Plus mobiles, les particuliers ne plantent plus pour les vingt ans à venir ou pour leurs enfants. Trop complexe, un jardin effraie jusqu'aux héritiers alors que celui facile à gérer valorise le patrimoine », confie, réaliste, Nicolas Hennebelle. Bien conscients de ces changements, les deux frères promeuvent la création de scènes paysagères « à effet immédiat », grâce aux écorces décoratives. Ce qui du reste correspond à une demande croissante aussi bien des paysagistes que des collectivités, à l'instar de la ville de Marckolsheim (67), qui projette d'en planter deux cents spécimens. C'est pourquoi, la pépinière développe son offre : « Pour les plantations denses, les troncs uniques en cépées des arbres à écorces donnent de belles scènes graphiques, sans brouillard de feuilles », préconise Nicolas Hennebelle. Un intérêt tout particulier est porté aux bouleaux à écorces roses. Parmi plus de douze variétés en production, Betula albosinensis 'Pink Champagne' y occupe une place de choix. Associé à Betula costata 'Hennebelle', une autre écorce claire, et à trois écorces foncées, Betula utilis 'Mont Luogi', Betula albosinensis 'China Rose' et Betula ermanii 'Mont Zao Purple', « ils sont parfaits pour une scène en minibosquet, plantés de un à deux mètres et demi de distance. Ces arbres à croissance moyenne conviennent pour les petits espaces. Le capital lumière est préservé par l'élimination des branches basses », précise Nicolas Hennebelle, toujours soucieux du bien-être des arbres.

Isabelle Cordier