“Nous sélectionnons des espèces naturellement résistantes à l'altitude ”
Jean-Yves Périllat et Pascal Bricier ont repris les pépinières Puthod, au Petit-Bornand-les-Glières, en Haute-Savoie, en 1999. Cultiver des végétaux en zone de montagne, entre 850 et 1 000 mètres d'altitude, ne leur laisse pas d'autre alternative que d'adapter leur production, – choisie parmi une palette traditionnelle –, aux contraintes climatiques.
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Créées par Hubert Puthod en 1946, les pépinières du même nom sont spécialisées dans la production d'arbres et arbustes ligneux de reboisement et d'ornement adaptés au climat montagnard. « Notre objectif est de proposer des espèces sélectionnées pour leur résistance naturelle à l'altitude parmi une palette traditionnelle », indique Pascal Bricier, cogérant de l'entreprise et responsable de la partie paysage. « La plupart des variétés que nous cultivons peuvent toutefois se retrouver dans toutes les régions de France, mais nous ne conservons, parmi cette palette, que les végétaux les mieux adaptés aux contraintes montagnardes. » En ornement, le catalogue présente plus de deux cents taxons d'arbres, arbustes et conifères.
«Nous cherchons constamment à élargir notre gamme », poursuit Pascal Bricier. « Quand, au hasard de nos visites, comme le Salon du végétal à Angers, nous découvrons de nouveaux taxons qui semblent correspondre à nos critères, nous en achetons quelques dizaines. Nous voyons comment ils se comportent en pépinière par rapport à la résistance au froid ou à la neige. » En fait, la résistance au froid n'est souvent pas le facteur limitant, les plantes étant la plupart du temps protégées par la neige. Ainsi, en pépinière, les conteneurs restent dehors l'hiver, simplement regroupés et paillés pour les conifères afin d'éviter que le feuillage ne grisaille. Même en 2012, il y a eu peu de dégâts provoqués par le gel sur les conteneurs. En pépinière de pleine terre, le gel n'a pas d'incidence ; par contre, et notamment à 1 000 mètres d'altitude, la couche de neige permanente pendant l'hiver favorise les dégâts des campagnols et du gibier sur les jeunes végétaux. La neige, et tous les problèmes qui en découlent (poids, déneigement, projection de sel…), constituent une contrainte importante pour les plantes une fois installées. « Quelques stations d'expérimentation nous permettent de tester – in situ – certaines espèces pour voir comment elles supportent les hautes altitudes, les sels et le passage des engins de déneigement. Par exemple, les Hydrangea résistent bien au froid et à la neige mais supportent mal les dégâts causés par les engins. Ce sont des contraintes dont il faut tenir compte quand on réalise un aménagement en montagne. On doit intégrer, dans les choix de végétaux, cette connaissance du milieu. Les architectes ne doivent pas décider seuls des espèces à planter. Ils doivent consulter les pépiniéristes pour connaître les disponibilités locales », affirme Pascal Bricier.
« À côté de notre gamme généraliste nous mettons en avant des espèces typiques des zones montagneuses comme l'arolle (nom usuel du pin cembro), le pin à crochet (Pinus montana), l'arbousier, le sorbier ou l'alisier... », poursuit Pascal Bricier. « Nous insistons auprès des prescripteurs pour qu'ils plantent ces espèces en priorité dans les stations. Notre adhésion à la “Marque Savoie” est un pas supplémentaire pour la reconnaissance de la production locale et du savoir-faire, autant auprès des décideurs publics que des particuliers (voir l'encadré). » La filière horticole a rejoint récemment cet organisme ambassadeur des produits de terroir et de qualité aux côtés des productions agricoles alimentaires et de l'artisanat.
La production de plantes pour secteur montagnard passe aussi par une approche différente en ce qui concerne les modes de culture. Les pépinières ne produisent pratiquement pas de tiges, mais privilégient les formes naturelles : cépées, touffes ou formes tourmentées. On voit généralement peu d'arbres droits mais plutôt des troncs tordus parce que la neige a cassé plusieurs fois la flèche. Le poids de la neige est une contrainte dont il faut tenir compte en culture, aussi bien en plants forestiers que d'ornement. Pour éviter des troncs et des flèches trop fragiles, les producteurs privilégient ici une pousse lente, par des cultures longues dans le temps (semis, repiquages, transplantations) et une fertilisation uniquement organique. En gros sujets, la taille la plus vendue (entre 2,50 et 4,50 m de hauteur) correspond à une culture de douze à quinze ans depuis le semis. Les sujets de 6-8 m, voire 8-10 m de hauteur, sont dans les pépinières depuis vingt à vingt-cinq ans. En plants forestiers, les épicéas comptent au minimum cinq ans de culture pour obtenir des collets de fort diamètre. Livrés en racines nues, ces plants sont certes plus difficiles à faire repartir mais présentent une bonne capacité à résister à l'enneigement et aux contraintes de montagne.
Spécialisées au départ dans les plants forestiers, les pépinières Puthod ont peu à peu réorienté leur production vers l'ornement pour suivre l'évolution du marché. « La demande en plants forestiers a fortement diminué en l'espace de cinquante ans », explique Jean-Yves Périllat, chargé de la production et de la vente directe. « Aujourd'hui, la pépinière forestière ne représente plus que 11 % de notre chiffre d'affaires, mais occupe près de la moitié des surfaces en pleine terre. Néanmoins, il n'est pas envisagé d'abandonner ce produit, d'abord parce qu'il répond encore à une demande, principalement chez les producteurs de sapins de Noël, et ensuite parce que la plupart de nos plants d'ornement de grande taille sont issus de notre gamme de plants forestiers. Conserver cette production nous permet d'avoir la traçabilité sur les plants. » Ces conifères ou feuillus de grande taille vendus comme plants d'ornement et issus des semis forestiers représentent ainsi plus de 40 % du chiffre d'affaires. « Nous bénéficions d'une clientèle plutôt aisée, composée de résidents secondaires et de propriétaires souvent retraités ou proches de la retraite », reprend Pascal Bricier. « N'ayant plus de personnes à charge, ils peuvent consacrer un budget plus important à leur jardin. C'est aussi un âge où on ne veut plus trop attendre pour voir ses arbres grandir. Ces acheteurs se tournent donc plus facilement vers les sujets de grande taille. La complémentarité avec notre entreprise de jardin pour les plantations chez les clients est un élément crucial dans leur décision. Quelques sujets sont cultivés en conteneur de gros litrage, plus particulièrement destinés aux résidences secondaires, en ventes estivales. »
Sur les plants forestiers, la pépinière maîtrise la culture du semis à la plante finie, en étant très attentive à l'origine des graines. Ces dernières proviennent prioritairement des Alpes françaises. L'origine détermine l'altitude à laquelle les plants seront le mieux adaptés. La traçabilité est certifiée par l'ONF (Office national des forêts) ou par un certificat d'origine. « Pour conserver des clones locaux, quelques propriétaires privés nous confient leurs propres graines d'arbres forestiers ou plantes locales quelque peu oubliées (comme l'arbousier, le sorbier, l'alisier). Nous les envoyons au service des graines et plants de l'ONF (Sécherie de la Joux, dans le Jura), où elles sont triées, séchées et préparées en vue des semis », expliquent les deux responsables des pépinières Puthod.
Le climat montagnard influe fortement sur les périodes d'activité aussi bien en pépinière qu'en aménagement de jardins. Les saisons de travail sont en décalage par rapport à la plaine : par exemple, le repiquage des jeunes plants forestiers en pleine terre se fait au mois de juillet. La saison de vente est aussi plus réduite : 60 % des ventes en pépinière sont concentrées entre le 15 septembre et le 30 novembre ; au printemps, la saison ne redémarre que début mars. Au niveau de l'entreprise paysagiste, en dehors de toute considération économique, la météo peut faire fluctuer le chiffre d'affaires. Les plantations en altitude doivent impérativement être terminées au 30 octobre. Au-delà, on s'expose à de forts risques d'enneigement…
Claude Thiery
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