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" Intégrer les cimetières dans la biodiversité est encore un long chemin "

« Zéro pesticides dans les cimetières c'est possible, mais zéro entretien, ça n'existe pas », indique Mikaël Paris, salarié d'AQUI'Brie.

Depuis 2002, l'association AQUI'Brie, dont le rayon d'action se situe sur un territoire de 2 600 km2 à l'est de Paris, des portes de la capitale jusqu'aux limites de la Champagne-Ardenne, incite les collectivités à mieux raisonner la gestion de l'herbe dans leurs espaces publics. La loi Labbé est venue renforcer la légitimité de la démarche, qui mixe des solutions végétales et minérales.

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Ce n'est pas l'évolution du cadre législatif qui a amené la création d'AQUI'Brie. L'association a en effet démarré son activité dès 2002, à une époque où les produits phytosanitaires n'étaient pas encore les parias qu'ils sont devenus. Ce sont deux événements survenus localement à l'époque qui ont présidé à sa mise en place : la baisse du niveau de la nappe phréatique locale, dite du Champigny, qui avait débuté dans les années 1990 et qui mettait des forages à sec, et l'apparition de triazines dans cette réserve d'eau potable alimentant plus d'un million d'habitants de la région. AQUI'Brie n'est pas à proprement parler une association technique chargée de l'appui à la gestion des espaces verts, son but est de mieux connaître et de protéger la nappe du Champigny. Une fonction qui l'a rapidement amenée à intervenir auprès des agriculteurs, mais aussi des collectivités, afin d'influer sur leurs habitudes. Au début, une vingtaine de communes ont été convaincues. Aujourd'hui, elles sont près de 200, sur les 223 que compte le territoire d'intervention, allant du village de moins de 300 habitants à la ville de plus de 50 000 âmes. Une cinquantaine sont passées au zéro phyto sur tous leurs espaces, 53 en sont au même stade dans les cimetières, 109 sur la voirie et 144 sur les seuls espaces verts.

Adapter les moyens aux objectifs poursuivis. Mikaël Paris fait partie des premiers salariés qui ont été recrutés par l'association pour assurer, justement, ce travail d'appui auprès des collectivités dans le but de faire évoluer leur manière de travailler. La démarche était à l'époque avant-gardiste, elle a depuis été rattrapée par la poussée de la demande sociale et la législation... Mais ce n'est pas parce que l'usage des produits phytosanitaires est aujourd'hui en grande partie interdit que l'association a baissé la garde et que les problèmes techniques, sur le terrain, ont été résolus. Le travail d'information continue, et une conférence sur le cas particulier des cimetières, finalement non concernés par la nouvelle législation mais qui restent un point noir dans les communes, a été proposée dans le cadre de la dernière édition de Salonvert, en septembre dernier, à Saint-Chéron (91).

« Zéro pesticides dans les cimetières c'est possible, mais zéro entretien, ça n'existe pas, a insisté d'emblée Mikaël Paris. Il faut toujours entretenir, mais, surtout, il faut se fixer des objectifs et des moyens pour atteindre l'objectif. Et ne pas se focaliser sur des problèmes d'esthétique, qui restent subjectifs. Vous n'aimez pas le béton ? Qu'à cela ne tienne, il y a d'autres solutions possibles », a rappelé le technicien. Pour lui, ce qui importe, c'est de se mettre en mode « projet ». Les cimetières sont des sites particuliers où les surfaces susceptibles de subir un enherbement important sont nombreuses et où la tolérance vis-à-vis des adventices est faible, voire nulle. Il faut donc bien raisonner le ratio entre les moyens et les objectifs. « Si ce ratio n'est pas cohérent, les choix techniques feront vite face à un point de rupture, explique Mikaël Paris. Si la décision est de tout passer en désherbage thermique, il faut augmenter les moyens humains ou aménager différemment l'espace. »

Une tonte peu fréquente comme mode d'entretien. En fait, il est surtout intéressant de saisir l'occasion pour requalifier entièrement l'espace auquel on a affaire, un cimetière, mais la démarche peut être adaptée à tous les espaces. Et pour atteindre l'objectif, l'idée directrice défendue par AQUI'Brie est de combiner minéral et végétal, de diversifier les techniques choisies, puis d'expliquer aux habitants. « Certaines communes ont choisi de laisser la nature s'installer dans leur cimetière. Ce n'est pas forcément une mauvaise solution, estime Mikaël Paris. Mais la phase de transition pour qu'une flore adaptée s'installe peut durer 3 ans. Ce n'est pas facile à faire accepter à la population. »

Pour mieux gérer les phases de transition, AQUI'Brie aide les collectivités à raisonner à partir des besoins et des moyens qui pourront être mis à disposition à long terme. Dans certaines allées, le mieux est de bétonner pour permettre un accès facile par tous les temps et par tous les publics, y compris les personnes à mobilité réduite (PMR), et ne plus avoir à entretenir. Mais il ne faut pas non plus imperméabiliser de trop grandes surfaces, les allées peuvent donc être tout simplement enherbées. Et cela peut se faire sans aucun apport de terre végétale. Sur des surfaces semi-perméables, genre stabilisé, il est possible de réenherber en conservant le côté carrossable par tous les temps et avec un rendu esthétique immédiat. La tonte régulière mais peu fréquente devient alors le mode d'entretien. « Pour que cela réussisse, il faut qu'un élu référent porte le projet, qu'un technicien le mette en oeuvre, que la finalité soit comprise de tous, et que les usagers soient informés. »

Sur le terrain, des essais d'appropriation sont proposés aux communes pour tenter d'enherber certaines zones. Un désherbage non chimique est réalisé, suivi d'un nettoyage superficiel des matériaux. Le sol est alors travaillé légèrement en surface et un apport de matière organique peut être effectué sur 1 à 2 cm. Le semis est ensuite réalisé, idéalement au printemps ou à l'automne. Sur les zones de type terre-pierre, des mélanges, contenant 40 % de fétuques ovines ou de micro-trèfles, ont été testés avec la société DLF ; ils donnent des résultats encourageants. Mais certaines communes préfèrent suivre leur propre protocole, réaliser le désherbage initial avec des produits chimiques, par exemple, pour effectuer les travaux au plus vite.

Entre un couvert naturel et une flore horticole, il faut choisir. La pauvreté du sol alliée à un bon choix de palette végétale permet de limiter le nombre des tontes entre 4 et 8 par an. Ces allées jaunissent en été, mais une information bien ciblée aux usagers permet d'expliquer que le couvert reverdira à l'automne. Les agents de terrain rencontrent parfois des problèmes de planéité avec l'apparition de flaques d'eau : « Nous ne réalisons pas les travaux et ne pouvons pas les suivre au quotidien, explique Mikaël Paris. Nous devons insister, lors des formations, sur la nécessité de bien niveler le sol avant le semis. Parfois, nous avons des surprises, certaines villes croient bien faire en ramenant dans les allées des substrats riches, mais le résultat n'est pas forcément intéressant, le sol risque de manquer de portance lors des pluies. »

Avec le temps, le couvert végétal peut évoluer vers un mélange naturel, avec des inversions de flore qui voient du trèfle, par exemple, occuper l'essentiel du terrain. Certaines communes préfèrent garder un couvert plus horticole, et effectuent de temps à autre des sur-semis. « Il y a aussi des communes qui n'hésitent pas à consacrer des budgets importants à ces réaménagements, et qui vont dérouler du gazon de placage pour un effet immédiat, ce n'est pasrédhibitoire. Le seul risque est que ces mélanges horticoles installés sur des sols pauvres vieillissent mal », poursuit le technicien.

Des mélanges couvre-sol à base de Sedum ont été testés ; ils ne demandent pas d'entretien en théorie. « Mais la mauvaise herbe prend le dessus. Il faut donc quand même prévoir 4 à 6 désherbages par an et le Sedum n'est pas fait pour être piétiné. Il doit être réservé à certaines zones uniquement », prévient Mikaël Paris.

De simples allées bétonnées à un fleurissement sophistiqué. L'association conseille, forme, appuie le personnel de terrain, insuffle une dynamique, mais ce sont ensuite les communes qui effectuent les travaux et font leurs propres choix, dans leurs cimetières mais pas uniquement : la technique de semis sur sols semi-perméables a été adoptée par quelques villages sur les trottoirs, leur permettant de conserver un aspect « nature ».

Les cimetières restent toutefois des objectifs prioritaires pour les élus. Lieusaint (77) a choisi de cimenter les principaux axes de circulation et d'enherber les petites allées. Un enherbement a été réalisé dans certaines zones en retravaillant les sols en profondeur. À deux pas, la commune de Nandy (77) a préféré conserver ses grandes allées gravillonnées et enherber toutes les autres. « Dans ce genre d'espace, il faut bien soigner la séparation entre l'herbe et les gravillons, qu'elle soit nette, sinon les limites visuelles de l'allée ne sont jamais perceptibles », estime Mikaël Paris. Des panneaux expliquent au public en quoi consiste la démarche et pourquoi elle a été menée. Enfin, Cesson (77), qui jouxte la préfecture du département, Melun (77), a choisi une formule particulièrement sophistiquée : des allées principales gravillonnées, des allées secondaires enherbées et, le long de l'allée centrale un fleurissement à base de vivaces. Ces trois communes sont représentatives des choix les plus fréquemment réalisés par les décideurs des collectivités. Malgré l'évolution de la législation et le recul sur les actions, il « reste des esprits à convaincre, même si le profil des élus a évolué, est devenu plus urbain et plus ouvert aux nouvelles approches, constate Mikaël Paris. Aujourd'hui, nous en sommes même à travailler avec des golfs pour les faire évoluer. Mais pour en revenir aux cimetières, l'idée est d'aller plus loin que d'en faire de simples lieux paysagers. Il s'agit de les intégrer comme zones de biodiversité ». Là, il reste du chemin à parcourir, tant chez les élus que chez les citoyens...

Pascal Fayolle

La commune de Lieusaint (77) a choisi de cimenter les principaux axes de circulation de son cimetière et d'enherber les petites allées.

Nandy (77) a préféré conserver ses grandes allées gravillonnées et enherber toutes les autres.

À Cesson (77), de grandes allées gravillonnées bien délimitées par des bordures permettent d'accéder à des allées secondaires enherbées, le tout accompagné d'un fleurissement à base de vivaces.

Les espaces entre les tombes restent compliqués à gérer.Un travail important sur les joints est à faire.

Bien informer le public est l'une des clés de la réussite dans le réaménagement de l'espace, que ce soit dans un cimetière ou en dehors.

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