“ Partager sa passion à l'aide de projets pédagogiques ”
Jean-Lin et Monique Lebrun, pépiniéristes à Grigny, dans le Pas-de-Calais, construisent leur entreprise autour d'un objectif principal : le partage des connaissances. Avec la pédagogie pour coeur de métier et la sélection variétale pour passion, ils portent à bout de bras leur exploitation.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Dans le Pas-de-Calais, Jean-Lin Lebrun et son épouse Monique, conjoint collaborateur, connaissent les difficultés inhérentes à la recherche de main-d'oeuvre pour le travail en pépinière ou de terrain pour l'agrandissement, ainsi que les coups durs, comme lorsqu'ils ont perdu la totalité de leur collection de rosiers anciens et botaniques en 2009 à la suite d'un « vent d'antigerminatif » issu d'un terrain agricole voisin, ou les rigueurs de cet hiver... Mais à Grigny, près d'Hesdin, c'est la pédagogie qui sert d'abord de fondement à l'entreprise Mela Rosa. Et avec la même patience que Jean-Lin met à créer ses variétés de rosiers pour en assurer la qualité, il tisse autour de lui un réseau de clients réguliers et s'inscrit sans tambour ni trompette dans la tendance croissante du jardin naturel.
– La production se compose de rosiers greffés et d'anciennes variétés fruitières régionales choisies pour leurs qualités gustatives, leur résistance aux maladies, la volonté de les préserver localement et des « rentrées économiques rapides ». Le pépiniériste connaît parfaitement ces variétés qu'il a plantées, hybridées et observées en tant que responsable des collections fruitières au verger conservatoire du Centre régional des ressources génétiques (CRRG, Villeneuve-d'Ascq). « À notre installation, le relais dans la presse nationale et locale a été très rapide, car j'ai été correspondant pendant des années dans différentes revues de jardinage, comme L'Ami des jardins. Nous avons reçu des clients rapidement puis le bouche-à-oreille a fonctionné : c'est la meilleure publicité qu'on puisse avoir ! »
– « Nous souhaitions développer des projets pédagogiques sur le jardinage et l'environnement. La pépinière était un moyen de partager notre connaissance du végétal... », avoue Jean-Lin Lebrun, qui précise qu'il a toujours été passionné par les plantes. « C'est une passion qu'il faut savoir partager. Pour nous, il ne s'agit pas de faire uniquement du commerce et surtout pas du commerce additionnel (accessoires...) ; nos clients repartent avec du conseil. Aujourd'hui, le principe en distribution est 'moins on en dit, plus on en vend'. Nous, nous faisons l'inverse. Nous passons du temps à expliquer... même si c'est du temps perdu pour la production. » Le pépiniériste s'appuie sur des années de travail de sélection pour pouvoir dire à ses clients : « Non, cette variété de rosier n'est pas pour vous. » Son savoir, il le transmet aussi à travers des formations – pour le CNFPT (*) à Lomme il y a une dizaine d'années – et des stages sur l'exploitation, où il a installé un verger pédagogique. « Je n'ai pas suivi de formation horticole ; j'ai été obligé de comprendre ce que je faisais, ce qui marchait et ne marchait pas. Cette expérience, je la restitue. Mais l'échange ne va pas dans un seul sens, les gens nous apprennent aussi en retour. »
– Jean-Lin propose des stages sur la taille et, depuis le début d'année, sur la vie du sol et la plante. « Le principe de la formation chez nous, c'est 40 % d'observation, 40 % de diagnostic, et 20 % d'intervention. Certaines personnes ne savent pas observer, d'où l'importance de la pédagogie pour les aider à établir le bon diagnostic. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui que tout le monde parle de phytothérapie, de jardinage naturel... Or il s'agit d'emploi de principes actifs : un purin d'ortie utilisé à mauvais escient brûle la plante. » Le pépiniériste décomplexe le jardinier en prônant un minimum d'interventions, comme ce qu'il applique sur son propre terrain : enherbement, aucun apport d'amendement... « Une chose que j'expulse complètement du jardinage, c'est la propreté. » Le producteur fait confiance à la strate herbacée pour participer à l'activité du sol, avec comme corollaire un développement moins rapide que s'il fertilisait mais des plantes plus vigoureuses.
La création d'un gîte en 2006 « coulait de source » et entrait dans le projet pédagogique de Jean-Lin et Monique Lebrun. « Un quart de nos clients en gîte viennent pour le jardinage, le reste pour le tourisme. » Qu'à cela ne tienne, il participe également de la logique de réseautage social du couple. Il représente un chiffre d'affaires minime (1,4 % du chiffre d'affaires global), comme les confitures et les jus de pommes vendus aux particuliers. Quant à la possibilité de déguster quatre-vingts variétés de pommes à couteau, c'est gratuit. « Ces activités annexes ne sont pas évidentes à gérer avec la production, mais elles contribuent à la communication autour de l'entreprise et tout cela constitue un ensemble. »
> L'observation, mais aussi la patience qu'il enseigne à son public, Jean-Lin l'applique à la sélection variétale. Il a commencé les hybridations de rosier bien avant de s'installer comme pépiniériste et a créé sa première variété, 'Mela Rosa', en 1995 « née de l'hybridation d'un pied trouvé sur un terril et d'un autre trouvé chez un collègue ». Il a mis dix ans pour en examiner toutes ses caractéristiques, les comparer avec celles des autres variétés en production. « Je cherche à remonter dans la généalogie, car certains rosiers botaniques nécessitent de 'faire un détour' pour en récupérer les caractéristiques. Il existe cent cinquante espèces sauvages dans le monde, dont seulement quinze présentes génétiquement dans les rosiers modernes. Et 95 % de ces derniers ont deux parents en commun : Rosa chinensis et le rosier thé. » Le pépiniériste regrette que les caractères de résistance des rosiers aient été oubliés, jusqu'ici, au profit de la remontée de floraison et de l'attrait de la fleur. « Mais les gens commencent à vouloir des végétaux 'costauds' dans un jardin plus naturel ; là, nos rosiers ont leur place. »
Pour chacune de ses vingt-cinq créations, Jean-Lin Lebrun réalise un dépôt de marque commerciale (minimum 200 euros par variété). La communication ainsi que la commercialisation sont réalisées sous la marque « Crea Mela Rosa® ». Le site Internet www.creamelarosa.com leur est spécifiquement dédié, tandis que www.melarosa.fr présente l'ensemble de l'entreprise pas-de-calaisienne. À terme, le producteur souhaite ne plus proposer que ses propres obtentions et en intégrer certaines dans un réseau de pépiniéristes multiplicateurs.
Valérie Vidril
(*) Centre national de la fonction publique territoriale.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :